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Mise en examen, échec aux régionales, contestation… L'année désastreuse du ministre de la Justice Eric Dupond-Moretti

Entré au gouvernement en juillet 2020, l'ancien avocat surnommé "Acquittator" est le premier garde des Sceaux en exercice mis en examen, au terme d'une année mouvementée.

Article rédigé par franceinfo
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Le ministre de la Justice, Eric Dupond-Moretti quitte l'Elysée, à Paris, le 7 juillet 2021. (LUDOVIC MARIN / AFP)

A ce stade, il n'est pas question de démission. "Le Premier ministre renouvelle toute sa confiance" à Eric Dupond-Moretti, a écrit, sans ambiguïté, Matignon, vendredi 16 juillet, après la mise en examen du ministre de la Justice pour "prise illégale d'intérêts".

La position d'Eric Dupond-Moretti est-elle tenable ? Sans préjuger de son maintien en poste, force est de constater que rien ne s'est passé comme prévu pour l'ancien avocat entré au gouvernement en juillet 2020 et désormais premier garde des Sceaux en exercice mis en examen. Les projecteurs médiatiques ont été bien plus braqués sur ses démêlés judiciaires que sur ses réformes place Vendôme. Retour sur cet annus horribilis.

Juillet 2020 : sa nomination provoque un tollé chez les magistrats

Certains ont d'abord cru à une plaisanterie. La nomination du tonitruant Eric Dupond-Moretti à la Justice, le 6 juillet 2020, est immédiatement interprétée par les magistrats comme "une déclaration de guerre à la magistrature", selon les mots de Céline Parisot, présidente de l'Union syndicale des magistrats sur franceinfo.

Les relations du célèbre pénaliste avec ses confrères en robe rouge ont souvent été frontales avant sa promotion à la Chancellerie. Depuis le fiasco de l'affaire Outreau, Eric Dupond-Moretti, qui représentait l'un des acquittés, ne cache pas son mépris à l'égard de certains juges et de leur formation à l'Ecole nationale de la magistrature. La décision d'Emmanuel Macron de le placer à la tête de l'institution judiciaire aggrave la fracture, malgré les mots d'apaisement de l'ex-ténor lors de la passation de pouvoir avec Nicole Belloubet : "Je ne fais la guerre à personne", promet-il.

Septembre 2020 : les robes rouges l'accusent de "conflits d'intérêt"

Juste avant la nomination de celui que l'on surnommait "Acquittator", la presse avait révélé l'existence d'une enquête du Parquet national financier (PNF) dans l'affaire des écoutes. Les factures téléphoniques détaillées de plusieurs avocats, dont Eric Dupond-Moretti, ont été épluchées pour identifier l'éventuelle taupe qui aurait informé Nicolas Sarkozy et son avocat, Thierry Herzog, qu'ils étaient sur écoute dans une affaire de corruption, jugée depuis.

L'Inspection générale de la justice (IGJ), saisie le 1er juillet 2020 par la garde des Sceaux Nicole Belloubet, rend son rapport le 15 septembre et dédouane le PNF. Aux yeux du nouveau ministre, qui avait porté plainte pour "atteinte à la vie privée" avant de se rétracter au soir de sa nomination, ce rapport relève "peut-être un certain nombre de dysfonctionnements". Il ordonne ainsi une enquête administrative de l'IGJ sur trois magistrats du PNF.

Dans une lettre ouverte au président de la République, les syndicats de magistrats dénoncent "une atteinte inédite à l'indépendance de la justice". Les deux plus hauts magistrats de l'ordre judiciaire, Chantal Arens, première présidente de la Cour de cassation, et François Molins, procureur général près la Cour de cassation, prennent la plume dans Le Monde pour dénoncer un "conflit d'intérêts". Dans toute la France, la profession en appelle à Emmanuel Macron et estime que son ministre de tutelle, "juge et partie" dans cette affaire, a "perdu définitivement toute crédibilité".

Octobre 2020 : Jean Castex prend la main sur certains dossiers

L'annonce d'une hausse record (8%) du budget de la Justice ne met pas fin au tollé et passe même inaperçue. Pour temporiser, Jean Castex signe le 23 octobre un décret qui prévoit que les dossiers impliquant des parties dont Eric Dupond-Moretti a été l'avocat ou dans lesquels il a été impliqué soient désormais gérés par le Premier ministre. C'est donc le chef de l'exécutif qui décidera des suites à donner aux conclusions de l'enquête administrative sur le PNF. Pour les détracteurs du garde des Sceaux, c'est une reconnaissance implicite de la situation de conflit d'intérêts dans laquelle se trouve Eric Dupond-Moretti.

Décembre 2020 : les syndicats de magistrats déposent une plainte contre leur ministre

C'est une décision inédite et historique. Mi-décembre, l'Union syndicale des magistrats et le Syndicat de la magistrature déposent une plainte commune devant la Cour de justice de la République (CJR), la seule juridiction qui peut enquêter sur des ministres en exercice, pour "prise illégale d'intérêts". Ils reprochent également à Eric Dupond-Moretti d'avoir ouvert une autre enquête administrative à l'encontre du juge Edouard Levrault. Avant de devenir ministre, le pénaliste avait été l'avocat d'un des policiers mis en examen par ce magistrat et avait critiqué les méthodes du juge, le qualifiant de "cow-boy" dans Monaco-Matin (article payant). Trois autres plaintes pour "prise illégale d'intérêts" sont déposées devant la CJR par des élus (le député LFI Ugo Bernalicis et le maire adjoint de Grenoble Raymond Avrillier) et par l'association Anticor.

Janvier 2021 : une enquête pour "prise illégale d'intérêts" est ouverte

Jugées recevables par la commission des requêtes de la CJR, les plaintes d'Anticor et des syndicats de magistrats débouchent sur l'ouverture, le 13 janvier 2021, d'une enquête de la CJR pour "prise illégale d'intérêt" visant Eric Dupond-Moretti. Interrogé en marge d'un débat sur la justice des mineurs devant la Commission des lois du Sénat, le ministre de la Justice se dit "totalement serein" et estime n'avoir "rien à craindre". "Si l'objectif de tout cela, comme c'est d'ores et déjà exprimé par certains, c'est de m'interdire de travailler, ceux-là en seront pour leurs frais", déclare-t-il.

Juin 2021 : il est sèchement battu aux régionales

L'annonce de sa candidature avait fait grand bruit. "Oui, je m'engage pour la région", clame, le 7 mai, Eric Dupond-Moretti dans une interview à La Voix du Nord. "Je serai au premier rang dans le Pas-de-Calais sur la liste de Laurent Pietraszewski", précise le garde des Sceaux. Le lendemain, le tout nouveau candidat débarque, avec une nuée de journalistes, dans le Nord. Tout sourire, il gravit, sous l'œil des caméras, le terril 74a de Loos-en-Gohelle (Pas-de-Calais) tout en lançant des piques à Marine Le Pen. "Je ne veux pas chasser sur les terres du RN, je veux chasser le RN. Cette terre d'immigration, de fraternité, de générosité mérite mieux que la haine que propage le RN", lance, dans une formule bien sentie, Eric Dupond-Moretti. Mais la campagne piétine.

Envoyé au front pour officiellement combattre le parti de Marine Le Pen, le ministre est aussi là pour gêner Xavier Bertrand qui a lié sa réélection à la tête des Hauts-de-France à sa candidature à la présidentielle. "L'opération, manifestement, ne fait pas recette", constate Médiacités ;(article payant). Dans les urnes, le résultat est cruel. La liste de Laurent Pietraszewski ne parvient pas à se qualifier pour le second tour, avec un faible score de 9,1%, très loin derrière le RN, la liste de Xavier Bertrand et celle de la gauche. Une déculottée électorale. "Je voterai sans état d'âme pour Xavier Bertrand", réagit Eric Dupond-Moretti.

1er juillet 2021 : son ministère est perquisitionné

Fait rarissime, une perquisition est menée pendant quinze heures au ministère de la Justice par les magistrats de la CJR, le 1er juillet. Toute la journée, des voitures de police et des enquêteurs défilent au cœur du ministère régalien place Vendôme. Une vingtaine de gendarmes et des magistrats enquêteurs passent au peigne fin le bureau d'Eric Dupond-Moretti. Les policiers forcent à la meuleuse l'ouverture de vieux coffres-forts. Selon l'un des trois avocats du ministre, ils ne trouvent rien à l'intérieur. Christophe Ingrain dénonce un dispositif disproportionné et assure que son client reste "très serein" face à cette procédure. Quatre jours plus tard, le 5 juillet, le garde des Sceaux est convoqué devant les magistrats de la CJR.

7 juillet 2021 : la presse révèle qu'il a omis de déclarer 300 000 euros de revenus

Il a fallu vite éteindre ce nouvel incendie. Début juillet, Mediapart et L'Opinion révèlent que le ministre de la Justice a omis de déclarer 300 000 euros de revenus en 2019. Une information confirmée à franceinfo par l'entourage d'Eric Dupond-Moretti, qui parle d'une "erreur" comptable depuis rectifiée. Le garde des Sceaux a fait, comme tous les ministres, l'objet d'une vérification fiscale. Dans sa déclaration pour 2018-2019, alors qu'il était encore avocat, il a omis de déclarer 300 000 euros tirés de droits d'auteur et liés au spectacle qu'il jouait alors au théâtre, qui auraient dû générer 180 000 euros d'impôts, précise son entourage.

"L'ancien comptable se trompe en oubliant de payer les impôts mais il déclare cette somme à l'Urssaf. Cela témoigne de la bonne foi et de l'absence de volonté de dissimulation, assure l'entourage d'Eric Dupond-Moretti à franceinfo. C'est pour cela que le principe de la bonne foi et du droit à l'erreur a été retenu par l'administration fiscale." Si aucune suite judiciaire ou administrative n'est donnée à cette affaire, le garde des Sceaux doit de nouveau se justifier devant les médias.

16 juillet 2021 : il est mis en examen pour "prise illégale d'intérêts"

Il est 15 heures, vendredi 16 juillet, lorsque les avocats d'Eric Dupond-Moretti se présentent devant la presse pour annoncer la mise en examen de leur client. Depuis six heures, celui-ci est interrogé par la commission d'instruction de la CJR dans l'enquête sur de possibles conflits d'intérêts avec ses anciennes activités d'avocat. "Cette mise en examen était clairement annoncée. (...) Ses explications n'ont malheureusement pas suffi à renverser cette décision prise avant l'audition. Nous allons évidemment désormais contester cette mise en examen", déclare son conseil Christophe Ingrain, annonçant qu'il déposerait "une requête en nullité".

Dans la foulée, le Premier ministre lui renouvelle sa confiance, mais certains appellent déjà sa démission. Le groupe socialiste au Sénat a ainsi demandé le départ du ministre, dénonçant "une première dans l'histoire de la Ve République". "Il ne peut tout simplement pas rester au gouvernement", écrit également le patron d'EELV, Julien Bayou. "Il s'est placé lui-même dans une situation de conflit d'intérêts qu'il aurait pu éviter et dont il avait connaissance", réagit de son côté Christophe Clerc, l'avocat de l'Union syndicale des magistrats. "C'est à lui de décider en conscience", précise-t-il sur franceinfo au sujet d'une éventuelle démission.

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