Crise de l'énergie : cinq questions sur l'envolée record du prix de gros de l'électricité
La hausse considérable du prix du gaz, accélérée par le tarissement des flux de gaz russe vers l'Europe et l'arrêt de plus de la moitié des réacteurs nucléaires français, a fait exploser le prix de l'électricité en Europe. Mais les Français sont pour le moment épargnés grâce au bouclier tarifaire.
Une hausse vertigineuse. En pleine crise énergétique, le prix de gros de l'électricité pour 2023 en France a battu un nouveau record vendredi 26 août. Il a atteint plus de 1 000 euros le mégawattheure (MWh), contre environ 85 euros il y a un an, sous le double effet de la hausse des prix du gaz et de l'arrêt temporaire de 32 des 56 réacteurs nucléaires français d'EDF. Si la hausse est actuellement contenue pour les ménages grâce au bouclier tarifaire mis en place par l'Etat, la facture d'électricité des Français pourrait malgré tout augmenter en 2023. Décryptage.
1Pourquoi le prix de gros de l'électricité explose-t-il actuellement ?
La barre du millier d'euros a été franchie vendredi dernier. En un an, le prix de gros de l'électricité a ainsi été multiplié par près de 12. Deux causes expliquent cette envolée des prix de marché, là où l'électricité est négociée et achetée par les fournisseurs aux producteurs avant d'être commercialisée.
"Premièrement, il y a la hausse considérable du prix du gaz, dont on dépend beaucoup pour produire de l'électricité, depuis un an et demi, avec une hausse de prix de 1 500% qui est historique, analyse Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre énergie de l'Institut Jacques Delors. Puis il y a un élément très spécifique à la France : une très faible production du parc nucléaire qui nous oblige à importer beaucoup d'électricité de l'étranger, où les centrales à gaz fonctionnent".
Le prix de gros de l'électricité pour livraison l'an prochain, qui tournait encore à 750 euros le mégawattheure la semaine dernière, a fortement augmenté après l'annonce par EDF, jeudi 25 août, du prolongement de l'arrêt de quatre réacteurs nucléaires affectés par des problèmes de corrosion sur leurs systèmes de sécurité, dont trois réacteurs à la centrale de Cattenom (Moselle). Résultat : 32 des 56 réacteurs nucléaires français d'EDF sont à l'arrêt, ce qui a une conséquence sur la production d'électricité et oblige la France à importer de l'électricité, dont une partie provient des centrales thermiques étrangères, qui fonctionnent au gaz.
Sur le marché européen, c'est le prix de revient de la dernière source d'électricité mobilisée pour répondre à la demande, souvent les centrales au gaz, qui détermine le prix qui s'impose à tous les opérateurs du continent. Ce prix s'est envolé de concert avec la flambée des cours du gaz liée à la baisse drastique des livraisons gazières russes à l'Europe. Selon Thomas Pellerin-Carlin, "on parlait déjà de choc gazier en octobre 2021", notamment avec la reprise économique post-Covid-19, mais la guerre en Ukraine a accéléré cette hausse avec le tarissement des flux de gaz russe vers l'Europe.
2Cette hausse est-elle passagère ?
Selon les experts interrogés par franceinfo, la question réside moins dans la durée de cette flambée des prix de l'électricité (et du gaz) que dans son intensité. "Tous les indicateurs le disent : les prix élevés vont continuer pour les trois ou quatre prochaines années. Mais dans quelle mesure vont-ils rester excessivement élevés ?" s'interroge Nicolas Goldberg, expert énergie au cabinet de conseil en stratégie Colombus Consulting.
"Depuis l'invasion russe, il y a un risque de pénurie [de gaz] énorme, et ce pour au moins cinq ans. Sauf bouleversement géopolitique majeur en Russie, on sera indépendants du gaz russe, mais dépendants du gaz naturel liquéfié (GNL), qui coûte plus cher", complète Thomas Pellerin-Carlin. La Commission européenne veut ainsi réduire la consommation de gaz de 15% dans l'UE pour faire face au tarissement de gaz russe vers l'Europe.
3Pourquoi la facture d'électricité des ménages n'augmente-t-elle pas ?
Début 2022, face à l'envolée des prix de l'électricité et du gaz, le gouvernement avait mis en place un bouclier tarifaire sur l'énergie afin de contenir la hausse du prix réglementé de l'électricité à 4% en 2022 et de geler le tarif réglementé du gaz, qui ne doit pas dépasser le tarif d'octobre 2021.
Alors que les tarifs de gros de l'électricité explosent, les prix de détail pour les consommateurs en France sont actuellement régulés – pour ceux qui bénéficient des tarifs réglementés – par l'Etat, qui a ainsi amorti la hausse des prix. "L'Etat a baissé les taxes sur l'électricité et a augmenté la quantité de nucléaire régulé, c'est-à-dire qu'EDF vend davantage de tarifs régulés. Une part [de ce bouclier] est assurée par l'Etat, l'autre par EDF", résume ainsi Nicolas Goldberg. Les prix de l'électricité sont ainsi régulés jusqu'à février 2023.
"Sans bouclier tarifaire, les prix auraient augmenté pour les ménages. Il suffit de regarder la hausse au Royaume-Uni", juge Thomas Pellerin-Carlin. De l'autre côté de la Manche, les tarifs réglementés de l'énergie vont augmenter de 80% à partir d'octobre.
4Faut-il s'attendre à une hausse de la facture d'électricité des ménages français ?
La question dépend du maintien ou non du bouclier tarifaire, qui a déjà coûté plus de 20 milliards d'euros à l'Etat. Dans Le Parisien (article payant), la Première ministre, Elisabeth Borne, a promis que l'exécutif n'allait "pas laisser les prix de l'énergie exploser" pour les ménages, tandis que le ministre de l'Economie, Bruno Le Maire, a assuré que la hausse de l'électricité et du gaz en 2023 serait "contenue".
Le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a malgré tout reconnu que le gouvernement ne pourrait "pas indéfiniment geler les prix". "La facture d'électricité et de gaz va augmenter, c'est inévitable. Mais quand ? Et de combien ? Ça, c'est un choix politique", argue Thomas Pellerin-Carlin.
5Quelles sont les pistes du gouvernement pour contenir cette hausse des prix ?
"Nous prendrons des dispositions spécifiques pour accompagner les plus fragiles", a annoncé Elisabeth Borne, alors que le bouclier tarifaire doit normalement se terminer à la fin de l'année 2022. Le gouvernement en appelle maintenant régulièrement aux "petits gestes du quotidien", afin d'économiser de l'énergie. Olivier Véran a notamment appelé à "débrancher son wifi" avant de partir en week-end.
"Face au risque de pénurie, il n'y a qu'une seule voie : la baisse de la consommation d'énergie", a encore martelé la Première ministre à l'ouverture de la Rencontre des entrepreneurs de France du Medef, lundi, en incitant les entreprises à établir leur propre plan de sobriété. Le ministre délégué chargé de l'Industrie, Roland Lescure, réfléchit aussi à la possibilité d'instaurer un marché de l'énergie de gré à gré entre entreprises, qui pourraient se revendre entre elles ce qu'elles n'ont pas consommé, sur le modèle des droits à émettre du CO2 en Europe.
Le ministère de la Transition énergétique propose enfin de relancer l'offre Tempo, en incitant les particuliers et les petites entreprises à modérer leur consommation d'électricité lors des pics de demande liés au froid, en échange de tarifs avantageux le reste de l'année.
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