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Crise de l'énergie : pourquoi les coupures d'électricité sont un sujet explosif pour le gouvernement

Les listes de clients prioritaires, les risques pour certains patients ou l'impact sur la production des entreprises sont autant de questions épineuses sur lesquelles l'exécutif va devoir trancher en prévision d'éventuels délestages cet hiver. 

Article rédigé par Mathilde Gracia
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Un pylône électrique à Jouy-en-Josas (Yvelines), le 4 septembre 2022.  (MAGALI COHEN / HANS LUCAS / AFP)

Emmanuel Macron appelle les Français à "être au rendez-vous de la sobriété". En encourageant la population et les entreprises à faire des efforts pour baisser leur consommation d'énergie, le gouvernement espère éviter le pire des scénarios pour cet hiver : les coupures d'électricité. Mais l'exécutif n'écarte plus cette possibilité. Franceinfo vous explique pourquoi le sujet est politiquement sensible.

Comment les Français vont-ils passer l'hiver ? Les prévisions ont rarement été aussi maussades sur le front de la production électrique dans le pays. Pas moins de 32 des 56 réacteurs nucléaires du parc EDF sont à l'arrêt, les approvisionnements en gaz sont menacés par le conflit en Ukraine et l'arrivée d'une vague de froid hivernale ne peut être exclue. "Nous avons perdu toutes nos marges pour répondre à la demande d'électricité", a averti Xavier Piechaczyk, le président du directoire de RTE (gestionnaire du réseau de transport électrique) vendredi 2 septembre, dans une interview aux Echos.

La Première ministre, Elisabeth Borne, n'a pas exclu le scénario de "délestages tournants". "C'est-à-dire qu'on coupe sur une courte période de moins de deux heures, par quartier", a détaillé jeudi 1er septembre la cheffe du gouvernement au micro de France Inter. Pour y échapper, il faudrait que "la consommation française baisse de 15% aux heures les plus tendues", a évalué Xavier Piechaczyk. 

Des délestages "là où c'est le plus efficace"

"Si les planètes se désalignent (hiver rigoureux, Français pas assez disciplinés sur les écogestes) et si on n'arrive pas à compenser le déficit d'électricité, il va falloir recourir à ce délestage et peut-être de manière régulière", prévient Clément Le Roy, associé en charge de l'énergie chez Wavestone. Le ministère de la Transition énergétique assume d'exiger des efforts aux entreprises, avant d'en demander aux ménages, "qui participent déjà à l'effort de sobriété"

"Le sujet est par nature explosif", analyse Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting. "S'il y a des coupures, ça va générer des débats et une grogne sociale difficile à gérer". La fermeture de la centrale nucléaire de Fessenheim en juin 2020, jugée par certains prématurée mais assumée par Emmanuel Macron ces derniers jours, fait notamment partie des sujets qui sont d'ores et déjà revenus sur la table.

Signe que la question de possibles coupures hivernales est épineuse, les critères de classement des usagers en vue d'éventuels délestages sont difficiles à trouver. "La population peut comprendre, à condition que le débat ait lieu", estime Julien Bayou, secrétaire national d'Europe Ecologie-Les Verts. Le député EELV ajoute cependant : "Mais on a l'impression que les choix difficiles se font dans le secret." Les interruptions auront lieu "là où c'est le plus efficace pour le réseau et le maintien d'alimentation du système et de manière à toucher les usagers les moins prioritaires", assure le ministère de la Transition énergétique, sans davantage de précisions. RTE est chargé de planifier ces délestages pour l'Etat français. 

"C'est un plan organisé, maîtrisé et ciblé. On répartit l'effort sur l'ensemble du territoire."

RTE

à franceinfo

La procédure est encadrée. Il revient d'abord à chaque préfecture d'établir la liste des sites prioritaires, non délestables. Ils sont définis par un arrêté de 1990 : hôpitaux, signalisation, éclairage, sites industriels qui présentent un enjeu de sécurité... "Par défaut, tous les autres peuvent être intégrés au plan de coupure, précise RTE. Mais parmi ceux-ci, seule une faible partie serait effectivement privée d'électricité". Des lignes électriques, représentant des blocs d'environ 100 mégawatts (environ 100 000 foyers selon RTE), peuvent ensuite être coupées pendant deux heures maximum, sur des plages horaires précises : entre 8 heures et 13 heures, puis entre 17h30 et 20h30.

Le principe du "délestage" expliqué en infographie.  (MONECOWATT.FR)

Sur le terrain, ce sont 500 "aiguilleurs de l'électricité", salariés d'Enedis (gestionnaire du réseau de distribution d'électricité), qui vont télecommander les coupures depuis des tours de contrôle qui observent l'équilibre du réseau 24h/24. Un dispositif "ajusté au plus près des besoins en électricité de chaque territoire", affirme un document d'Enedis envoyé aux entreprises et que franceinfo s'est procuré. Mais le détail de cet ajustement soulève des questions épineuses pour le gouvernement.  

Des entreprises "qui ne peuvent pas s'arrêter"

Quelles entreprises figureront parmi les clients prioritaires ? L'article 2 de l'arrêté du 5 juillet 1990 précise qu'en cas de coupures, il faut préserver les "installations industrielles qui ne sauraient souffrir, sans subir de dommages, d'interruption dans leur fonctionnement, particulièrement celles d'entre elles qui intéressent la défense nationale"Une phrase soumise à interprétation. "Ce qu'on est en train de regarder, c'est d'abord les entreprises qui ne peuvent pas s'arrêter : les hôpitaux, les entreprises de défense, un certain nombre d'entreprises agroalimentaires", a détaillé le ministre délégué en charge de l'Industrie, Roland Lescure, lundi 5 septembre sur franceinfo

"Ça rappelle les débats que l'on a eus sur le Covid", souligne Thomas Pellerin-Carlin, directeur du Centre Energie de l'Institut Jacques-Delors. "Toute l'alimentation n'est pas essentielle. Comment catégorise-t-on une usine de confiserie par exemple ?" Si des directives précises vont être envoyées aux préfectures, elles n'ont pas vocation à être rendues publiques, confirme le ministère de la Transition énergétique. 

De leur côté, certains opposants de droite posent une autre question : pourquoi favoriser les ménages plutôt que les entreprises ? "Pour qu'on puisse jouer à la PlayStation en hiver à 19 heures, on va sacrifier les outils de production. Je trouve ça inacceptable", regrette Raphaël Schellenberger, député du Haut-Rhin et secrétaire général adjoint Les Républicains.

"On a besoin d'un vrai débat pour savoir qui est prioritaire."

Raphaël Schellenberger, député LR

à franceinfo

Mêmes interrogations pour les particuliers : certaines aires géographiques seront-elles préservées et d'autres sacrifiées ? "Le risque, c'est que les délestages concernent la France des 'gilets jaunes', et pas le 16e arrondissement de Paris, alerte Thomas Pellerin-Carlin. Il y a un enjeu essentiel de justice sociale." Si des délestages devenaient nécessaires, leur répartition dépendrait d'abord des caractéristiques techniques du réseau électrique, assure RTE. "On choisit la zone la plus à même de soulager le réseau", détaille Clément Le Roy, associé en charge de l'énergie chez Wavestone.

Les campagnes plutôt que les villes ?

Certaines régions françaises sont effectivement plus fragiles. "Historiquement, la Bretagne et la région Paca sont des 'péninsules énergétiques', car elles sont moins interconnectées au réseau et n'ont quasiment pas de moyen de production propre", poursuit Clément Le Roy. Elles sont donc plus exposées aux risques de coupures. Et il faut aussi répartir l'effort pour que le réseau reste stable. "On ne peut pas, par exemple, concentrer toutes les coupures sur une partie de la France. Il faut équilibrer l'ensemble", précise RTE. 

Mais au-delà des contraintes techniques, les villes peuvent-elles être privilégiées par rapport aux campagnes ? "Ce serait la pire des solutions. On ne peut pas traiter différemment les urbains et les non urbains", s'inquiète Bruno Millienne, député MoDem des Yvelines et vice-président de la commission développement durable à l'Assemblée nationale. Si les scénarios sont communiqués, "ils seront étudiés de manière très attentive", affirme l'élu, persuadé que la France échappera à cette situation extrême.

"Aujourd'hui, les gens attendent une égalité de traitement absolue entre tout le monde. Ce serait compliqué d'expliquer seulement à certains qu'ils sont pénalisés."

Bruno Millienne, député MoDem

à franceinfo

Les coupures pourraient même concerner "les patients à haut risque vital". "Des personnes avec respirateur à la maison, il n'est même pas interdit de leur couper le courant", déplore le député LR Raphaël Schellenberger qui voudrait qu'on utilise le réseau de compteurs électriques intelligents Linky pour procéder à des coupures plus ciblées chez les particuliers.

Pour l'heure, Enedis prévoit "une communication graduelle, à mesure que les hypothèses se confirment" pour ces 4 800 patients sensibles. En cas de délestages, ils recevront un SMS leur indiquant l'heure et la date à laquelle ils seront privés d'électricité. "En France, on n'a pas connu ça depuis tellement longtemps que ça paraît impensable", relève Nicolas Goldberg, expert énergie chez Colombus Consulting. "Ça peut créer un sentiment de déclassement". 

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