Remaniement : pourquoi le rattachement de l'Energie au ministère de l'Economie suscite une inquiétude sur la poursuite de la politique climatique
Où est passée l'Energie dans le gouvernement de Gabriel Attal ? En regardant de près la liste de l'équipe resserrée du nouveau Premier ministre, annoncée jeudi 11 janvier, un portefeuille semble avoir disparu, et pas des moindres : l'Energie. Exit le ministère de la Transition énergétique, piloté par Agnès Pannier-Runacher depuis 2022. En 2024, l'Energie tombe sous la coupe du ministère de l'Economie, selon Bruno Le Maire lui-même, qui en a fait l'annonce dans les colonnes du Figaro, quelques heures après sa reconduction au sein de l'équipe gouvernementale.
Après avoir absorbé le Budget et le Numérique, ce fidèle d'Emmanuel Macron depuis 2017 récupère ce portefeuille stratégique qui échappait à Bercy depuis dix-sept ans. Un changement de tutelle qui peut avoir de lourdes conséquences sur la politique énergétique et climatique de la France, redoutent les défenseurs de l'environnement. "On arrache l'Energie aux griffes des méchants écolos de l'hôtel de Roquelaure [siège du ministère de la Transition écologique] pour faire de la relance du nucléaire", cingle Arnaud Gossement, avocat et professeur associé en droit de l'environnement à l'université Paris 1.
Le nucléaire avant tout ?
A peine devenu patron de l'Energie, Bruno Le Maire a marqué son territoire avec un premier déplacement dans la centrale nucléaire de Gravelines (Nord), lundi. "Ce n'est pas parce que l'Energie est à Bercy que nous allons reculer sur la transition climatique", a voulu rassurer le numéro 2 du gouvernement, en affirmant qu'il travaillerait "en parfaite intelligence" avec son homologue de la Transition écologique, qui, lui, a dégringolé à la toute fin de l'ordre protocolaire. "Je pense que c'est franchement un sujet qui peut être partagé entre Economie et Ecologie", a tenté de concilier de son côté Christophe Béchu, mercredi sur France Inter.
En réalité, il faudra attendre la publication des décrets d'attributions pour connaître la répartition précise des différentes compétences au sein des ministères. L'hypothèse qui tient la corde est la nomination d'un ministre délégué auprès de Bruno Le Maire, en poste à Bercy, chargé de l'Industrie et de l'Energie, selon plusieurs sources dans la majorité.
Mais pas question d'attendre ces ajustements pour les associations et les ONG. "On a peur qu'avec ce transfert, la question de l'énergie ne soit traitée que sous le prisme du nucléaire et que l'on oublie le développement des énergies renouvelables et les économies d'énergie", alerte Anne Bringault, directrice des programmes chez Réseau Action Climat.
Un texte détricoté
Toutes ces inquiétudes n'ont pas tardé à se matérialiser au Parlement. Quelques jours après sa présentation, lundi 8 janvier, le très attendu projet de loi sur la "souveraineté énergétique" de la France a été amputé de tout objectif en matière de climat et de choix des énergies. En plein travail sur le texte, les représentants des élus, ONG, syndicats et patronat ont été informés, mercredi, de ces bouleversements, qui ont suscité l'incompréhension et la consternation des associations environnementales.
Désormais, le projet, censé fixer le cap de la France pour sortir des énergies fossiles [PDF], est privé de son titre premier consacré à la programmation énergétique. Il visait à fixer la proportion d'énergies renouvelables ou nucléaires dans la France de 2030 et de 2035 et les objectifs de réduction de consommation énergétique. Restent seulement les volets sur la régulation des prix, la protection des consommateurs et le régime des barrages hydroélectriques.
"Nous avons décidé de reporter l'inscription de ce volet programmatique [sur les objectifs fixés en termes d'énergies renouvelables notamment] dans la loi, a expliqué le ministère de l'Economie. Ce temps devrait nous permettre de finaliser le travail de consultation sur notre stratégie pour l'énergie et le climat". Pas de quoi rassurer le monde associatif. "Je veux bien qu'on nous parle de consultation. Mais il y a déjà eu un nombre incalculable de groupes de travail… On ne voit pas très bien ce qu'une nouvelle consultation pourrait apporter", tance Anne Bringault.
Quand c'est flou...
Le flou entretenu par l'exécutif sur la question de l'énergie risque aussi, selon les défenseurs du climat, de déstabiliser une partie de l'administration organisée depuis de longues années autour des enjeux climatiques. Depuis le Grenelle de l'Environnement, fin 2007, l'Energie et le Climat sont traités conjointement. En 2008 est née la direction générale de l'énergie et du climat. "C'est une organisation qui fonctionne et qui est opérationnelle, plaide David Glotin, responsable plaidoyer de l'association Déclic collectif. Le risque, avec ce changement de tutelle, est qu'on revienne dix-sept ans en arrière, avec une vision de l'énergie industrielle qui oublie le fait que les enjeux énergétiques sont complètement liés à ceux du climat."
Pour éviter cette désorganisation, un collectif de hauts fonctionnaires et de chercheurs, dont David Glotin fait partie, a publié une tribune dans Le Monde afin de rappeler que "les problématiques énergétiques, climatiques et environnementales ne peuvent plus être pensées séparément". Le collectif appelle notamment Gabriel Attal et Emmanuel Macron à maintenir la tutelle du ministère de la Transition écologique sur les thématiques énergétiques, et à placer seulement les questions relatives au nucléaire sous une tutelle conjointe avec le ministère de l'Economie.
Enfin, une semaine après le remaniement, de nombreuses questions restent en suspens. "Qui représentera la France dans les négociations européennes en cours sur la réduction des émissions à gaz à effet de serre ? Bruno Le Maire, Christophe Béchu ou quelqu'un d'autre ?", interroge par exemple Anne Bringault. Sollicité par franceinfo, Bercy botte en touche et renvoie à la publication des décrets d'attributions, qui se fait attendre.
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