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"Panama Papers" : l'aventure de l'"Homme assis", le tableau disparu de Modigliani

Le propriétaire de Homme assis (appuyé sur une canne) d'Amedeo Modigliani aurait été retrouvé grâce aux révélations des "Panama Papers". Francetv info retrace l'épopée de cette toile.

Article rédigé par Marthe Ronteix
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Une exposition Modigliani à Villeneuve-d'Ascq (Nord) au Lille Métropole, musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut, en février 2016. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

Sa tête, légèrement penchée, est surmontée d'un chapeau. L'homme moustachu se repose, assis sur une chaise et appuyé des deux mains sur sa canne. L'Homme assis (avec une canne) refait surface. Peinte en 1918 par Amedeo Modigliani, cette toile du maître italien vaudrait 22 millions d'euros. Son propriétaire a été dévoilé par les "Panama Papers", ces millions de documents analysés par un consortium international de journalistes, dont ceux du Monde. Cette enquête a mis au jour un important système d'évasion fiscale orchestré via le cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca

Ce tableau serait stocké aux Ports Francs de Genève (Suisse), une vaste zone d'entrepôts non soumise aux droits de douane. La justice suisse y a d'ailleurs procédé à une perquisition vendredi 8 avril. Francetv info revient sur les pérégrinations de ce tableau, passé de mains en mains depuis plus de soixante-dix ans.

1944 : le propriétaire de l'Homme assis est spolié par Vichy

Au commencement était le peintre Amedeo Modigliani et son œuvre Homme assis (appuyé sur une canne). Le premier propriétaire connu du tableau est le galeriste britannique de confession juive Oscar Stettiner, installé avenue Matignon, à Paris. Dès 1939, il se réfugie en Dordogne, où il passera toute la guerre. Durant l'Occupation, il tente de faire passer la propriété de sa galerie à sa femme et à son fils, catholiques. En vain. Les biens d'Oscar Stettiner sont vendus entre 1941 et 1944 lors de ventes aux enchères à Paris. C’est au cours de la dernière vente qu’apparaît "un tableau de Modigliani", sans plus de précisions, cédé pour 16 000 francs, raconte Le Monde. Sans doute L'Homme assis.

A la fin de la guerre, le galeriste spolié cherche à retrouver son trésor. Il sait que la toile a été achetée par un autre collectionneur, John Van der Klip, qui l'a lui-même confiée à un certain M. Mariage Eu de Saint-Pierre. Le tableau aurait ensuite été revendu à un officier américain en 1944. La traque s’arrête là pour Oscar Stettiner, qui meurt en 1948, deux ans après avoir déposé une plainte pour récupérer la toile. Mais l'aventure continue pour l'œuvre.

1996 : le tableau réapparaît dans une vente publique à Londres

L'Homme assis réapparaît en 1996, dans une vente publique chez Christie's, à Londres. C'est une société panaméenne, International Art Center (IAC), qui s'en porte acquéreuse pour 3,2 millions de dollars. Créée en 1995 par le cabinet d'avocats Mossack Fonseca spécialisé dans les montages financiers offshore et la banque UBS, qui gèrera les affaires de l'entreprise par la suite, IAC cache une famille multimilliardaire incontournable dans le commerce de l'art : les Nahmad. 

Le collectionneur d'art David Nahmad et son frère Ezra Nahmad devant un tableau de Picasso, au Grimaldi Forum, à Monaco, le 12 juillet 2013. (VALERY HACHE / AFP)

Le patriarche sexagénaire, David Nahmad, ne cache pas son acquisition. Son neveu Helly Nahmad expose la toile dans sa galerie londonienne en 1998 et son fils, lui aussi nommé Helly Nahmad, fait de même à New York en 2005. C'est d'ailleurs peut-être l'étroit lien existant entre le tableau d'IAC et la famille Nahmad qui a attiré l'attention de la justice américaine, mais aussi de Mondex Corp, une société canadienne spécialisée dans la récupération d'œuvres volées.

2009 : le petit-fils du collectionneur entame des démarches, en vain

En 2009, le président et fondateur de Mondex Corp, James Palmer, contacte le petit-fils d'Oscar Stettiner pour lui proposer d'enquêter sur l'affaire. Philippe Maestracci, 71 ans, retiré dans la maison de La Force (Dordogne) où son aïeul avait trouvé refuge pendant la guerre, accepte. "Mais l’argent, je m’en fiche, assure-t-il au Matin dimanche. Je le fais pour la mémoire de mon grand-père."

Depuis 2011, cet ancien exploitant agricole accuse la famille Nahmad de détenir, à travers IAC, l'Homme assis vendu illégalement en 1944. Mais David Nahmad maintient qu'il n'existe aucun lien entre cette toile et le premier collectionneur. Selon lui, le Modigliani "n’a jamais appartenu à Stettiner"." Et même si ça lui a appartenu en 1930, rien ne dit que c’était encore à lui en 1944. Ce n’était pas un collectionneur, c’était un marchand de tableaux", rétorque-t-il au MondePourtant, James Palmer a retrouvé, dans les archives de la Biennale de Venise, une photographie prouvant qu'Oscar Stettiner avait prêté l'Homme assis à l'exposition de 1930. Le catalogue mentionne aussi l'œuvre comme appartenant à la "Collection Stettiner". 

Et, d'après les conclusions du Monde, la toile acquise par IAC serait bien celle de Stettiner. Lorsque la société achète le tableau en 1996, il appartient à un certain J. Livengood. Le catalogue de la vente chez Christie's précise que l'œuvre, acquise entre 1940 et 1945, a été "transmise par descendance jusqu'au propriétaire actuel". Or ce J. Livengood se trouve être le fils d'Edwin Livengood et d'une des filles de Van der Klip, le galeriste qui a acheté l'Homme assis lors de la vente des biens d'Oscar Stettiner en 1944. A présent, reste à prouver le lien entre IAC et la famille Nahmad.

2016 : les "Panama Papers" prouvent l'identité de l'actuel propriétaire de l'Homme assis

En avril 2016, le scandale des "Panama Papers" éclate et fait apparaître la famille Nahmad. Parmi les sociétés-écrans mises au jour par le consortium de journalistes, on retrouve International Art Center, propriété unique de David Nahmad. Les "Panama Papers" déroulent alors l'histoire de cette société depuis sa création en 1995. 

Au début, les actions d'IAC sont émises au porteur, comme c'est le cas lorsque la société émettrice ne connaît pas l'identité du propriétaire de l'action. Une manière de brouiller les pistes. Un an plus tard, IAC achète l'Homme assis. En 2001, les actions d'IAC sont émises au nom de Giuseppe Nahmad, le frère aîné. Par la suite, elles sont partagées avec d'autres membres de la famille. Enfin, David récupère toutes les actions et devient le propriétaire exclusif de la société offshore, comme le prouve un document de 2014 publié par Le Matin dimanche.

En 2015, l'avocat américain chargé de défendre les intérêts d'IAC s'adresse au cabinet genevois qui a récupéré la gestion de la société deux ans plus tôt. Puisqu'IAC est une société fantoche, il s'inquiète de savoir qui signe les documents à envoyer à la juge de la Cour suprême de New York qui doit statuer dans la procédure qui l'oppose à Philippe Maestracci, le petit-fils d'Oscar StettinerLe cabinet le dirige vers la filiale suisse de Mossack Fonseca, qui se charge d'obtenir les signatures de prête-noms. Coût de la manœuvre ? 32,20 dollars pour chaque document signé

Confronté à ces preuves par Ici Radio Canada, David Nahmad a fini par reconnaître qu'il était bien le propriétaire de la toile. A la question : "Seriez-vous prêt à remettre la toile à la famille Stettiner ?", il répond : "Je pense que je le ferais. S'ils peuvent prouver que la toile leur appartient, alors ils peuvent aller en cour avec les reçus de vente."

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