Surveillance des réseaux sociaux pour lutter contre la fraude fiscale : quatre questions sur l'expérimentation
Le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, fait cette annonce dans l'émission "Capital", diffusée dimanche soir sur M6. Explications.
Gare à vos statuts Facebook. L'administration fiscale va bientôt expérimenter la surveillance des réseaux sociaux pour lutter contre la fraude. C'est ce qu'annonce le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, dans un extrait de l'émission "Capital" de M6 qui sera diffusée dimanche 11 novembre. En quoi cette mesure consiste-t-elle ? Qui sera surveillé ? Franceinfo vous apporte des éléments de réponse.
Que dit Gérald Darmanin exactement ?
Dans cet entretien, qui sera diffusé dimanche soir dans son intégralité, Gérald Darmanin explique qu'une expérimentation va être menée pour traquer la fraude fiscale via les réseaux sociaux. "Il y aura la permissivité de constater que si vous vous faites prendre en photo (...) de nombreuses fois, avec une voiture de luxe alors que vous n'avez pas les moyens de le faire, peut-être que c'est votre cousin ou votre copine qui vous l'a prêtée, ou peut-être pas", affirme-t-il.
Souvent les Français se photographient eux-mêmes sur les réseaux sociaux et ce sont vos comptes personnels, puisqu'ils sont publics, qui seront regardés par expérimentation.
Gérald Darmanin, ministre de l'Action et des Comptes publicssur M6
"On a tous connu des gens qui nous disent : 'Regardez, ce n'est pas normal, il y a des gens qui gagnent très peu leur vie et qui ont un train de vie très largement supérieur à leurs revenus'", ajoute Gérald Darmanin. Cette expérimentation sera mise en place "sans doute au début de l'année prochaine", précise le ministre.
Cette mesure est-elle prévue par la loi ?
Sur M6, Gérald Darmanin indique que cette mesure s'inscrit dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la fraude fiscale, adoptée en octobre dernier. De source proche du dossier, il s'agit plutôt d'une mesure non législative, qui figure dans le plan du gouvernement contre la fraude fiscale annoncé début 2018. Elle n'en est pas moins légale, selon l'avocat parisien Anthony Bem, joint par franceinfo.
A l'heure actuelle, les réseaux sociaux sont déjà exploités dans le cadre d'enquêtes judiciaires. "Les enquêteurs peuvent aller chercher des données, même sur des comptes privés, rappelle-t-il. Dans le cadre d'enquêtes fiscales, il faut que ces données soient publiques", précise néanmoins l'avocat.
Il n'y a aucune violation ou atteinte à la vie privée si ces contenus diffusées sur la Toile – commentaire, vidéo ou photo – sont publics.
Anthony Bem, avocatà franceinfo
Selon nos informations, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) n'a toutefois pas encore donné son feu vert. "On travaille avec eux sur cette expérimentation", souligne-t-on au cabinet du ministre.
Quels comptes seront passés au crible ?
Facebook, Twitter, Instagram... Le périmètre des réseaux sociaux qui seront surveillés n'est pas encore arrêté, ajoute-t-on au cabinet de Gérald Darmanin. "La Direction générale des finances publiques (DGFIP) a déjà en sa possession beaucoup de données, comptes bancaires, numéros de téléphone, factures, réservations... Les éléments publiés sur les réseaux sociaux viendront s'ajouter à cette liste", complète-t-on.
La surveillance est d'abord faite à l'aveugle, grâce au "data mining", qui permet d'explorer, avec l'aide des algorithmes, des milliers de données numériques et de les croiser. Les "data scientists" de la DGFIP passeront au tamis toutes les données dont ils disposent sur les contribuables, dont les éléments publiés en mode public sur les réseaux sociaux. Les profils qui clignotent, "parce qu'ils s'éloignent de la norme statistique", seront signalés à l'administration fiscale, explique l'entourage du ministre.
Aujourd'hui, seul un contrôle fiscal sur quatre aboutit à un redressement. Cette méthode va permettre de mieux cibler les fraudeurs et d'éviter d'aller embêter les mauvaises personnes.
L'entourage de Gérald Darmaninà franceinfo
"On ne va pas scanner 60 millions de Français, ce n'est pas le sujet, assure-t-on encore à Bercy. Si vous aimez les Rolex et que vous gagnez le Smic, c'est votre problème. Ce n'est pas le 'citoyen lambda' qui est visé mais les personnes qui fraudent sciemment, à un haut niveau."
Comment ces données pourront-elles être exploitées ?
Dans un premier temps, les éléments publiés publiquement sur les réseaux sociaux qui viendraient étayer la possibilité d'une fraude fiscale seront communiqués à l'administration. Mais ils ne suffiront pas à constituer des preuves. L'enquête devra se poursuivre, dans le cadre d'une procédure fiscale ou judiciaire, selon le niveau de fraude détecté.
"La copie d'écran d'un statut Facebook, par exemple, ne suffit pas", indique l'avocat Anthony Bem. Il faut la faire valider par un constat d'huissier." Une procédure stricte, encadrée par la jurisprudence. "En cas de contentieux, les justiciables pourraient soulever des vices de procédure", ajoute-t-il.
"Le fisc continue d'avoir la charge de la preuve", confirme-t-on au cabinet du ministre. Et d'ajouter : "Le contribuable peut contester le redressement et ses droits ont été renforcés dans le cadre de la loi sur le droit à l'erreur."
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