C8 et NRJ12 en voie de perdre leur fréquence TNT : cinq questions sur la décision de l'Arcom
Bouleversement dans le paysage audiovisuel français. L'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom), qui attribue aux chaînes de télévision le droit de diffuser sur les fréquences de la TNT (télévision numérique terrestre), a décidé de ne pas retenir les candidatures des chaînes C8 et NRJ12 qui souhaitaient conserver leur fréquence, dans une décision publiée mercredi 24 juillet.
Pas moins de 24 candidats se disputaient les 15 fréquences remises en jeu cette année, et tous les titulaires ont été renouvelés par l'Arcom – à l'exception de ces deux chaînes. Qu'est-ce qui a motivé cette décision ? Quelles sont les prochaines étapes pour C8 et NRJ12 ? Franceinfo fait le point.
1 Pourquoi l'Arcom n'a-t-elle pas retenu les projets de C8 et NRJ12 ?
Dans son communiqué, le gendarme des médias explique avoir fondé sa décision "sur les critères mentionnés aux articles 29, 30 et 30-1 de la loi du 30 septembre 1986", "en appréciant notamment l'intérêt de chaque projet pour le public au regard de l'impératif prioritaire de pluralisme des courants d'expression socio-culturels". L'Arcom n'a pas précisé ce qui, pour chaque chaîne, avait conduit à juger le dossier insuffisant.
Si les regards sont autant tournés vers C8, c'est en grande partie parce que la chaîne détient le record du montant de sanctions infligées par l'Arcom, avec plus de 7,5 millions d'euros d'amendes ces dernières années, faisant d'elle "avec CNews, la chaîne la plus sanctionnée de l'histoire de la TNT", rappelle Nathalie Sonnac, ancienne membre du CSA, professeure à l'université Panthéon-Assas, et autrice du livre Nouveau monde des médias, une urgence démocratique. "L'Arcom a par exemple sanctionné les manquements de la chaîne concernant le respect de la diversité et du pluralisme des opinions", énumère Nathalie Sonnac. "Ces sanctions ont certainement dû peser dans la balance du régulateur quand il a pris sa décision", avance-t-elle.
Les dirigeants de la chaîne avaient tenté de présenter un mécanisme pour diffuser en différé l'émission "Touche pas à mon poste", à l'origine de la plupart des sanctions reçues par la chaîne, afin de couper toute séquence litigieuse avant sa diffusion. Le dispositif n'a visiblement pas suffi à sauver la candidature.
2 La décision de l'Arcom est-elle définitive ?
C8 et NRJ12 n'ont pas encore officiellement perdu toute chance de conserver leur fréquence TNT. La liste présentée par l'Arcom est une "présélection" "à titre de mesure préparatoire", qui doit encore être confirmée à l'issue de nouvelles discussions pour finaliser les projets de chaque candidat. Si celles-ci venaient à échouer (pour des désaccords financiers, éditoriaux…), et si une chaîne candidate venait à se retirer du processus, l'Arcom devrait choisir un autre projet pour le remplacer parmi ceux ayant déjà répondu à l'appel à candidatures.
Même en cas de décision finale défavorable, une chaîne dont l'autorisation d'émettre n'est pas renouvelée peut encore attaquer en justice la décision devant le Conseil d'Etat. La juridiction avait par exemple annulé en 2016 une décision du CSA, le régulateur de l'époque, qui avait retiré son autorisation d'émettre à la chaîne Numéro 23. Le régulateur avait accusé la société opérant la chaîne de s'être rendue coupable d'une fraude à la loi. "Puisque la décision de l'Arcom repose sur un avis motivé, les chaînes qui décideront de contrattaquer devront prendre en compte des éléments juridiques précis", complète la chercheuse en économie des médias, qui prédit une bataille juridique "sanglante" dans les prochaines semaines.
3 Quelles chaînes pourraient succéder à C8 et NRJ12 sur leurs fréquences TNT ?
L'Arcom a choisi deux nouveaux entrants déjà présents dans le monde médiatique. Parmi eux, le projet "Réels TV" est présenté par CMI France, le groupe du milliardaire tchèque Daniel Kretinsky, propriétaire de Marianne, Elle, Franc-Tireur ou Loopsider. La chaîne promet de "restaurer le concept original du débat public", en s'appuyant sur le "savoir-faire" des autres médias de CMI France, résume le site spécialisé Pure médias. Les porteurs du projet promettent 50% de documentaires principalement français et européens, 25% de débats, notamment dans une émission quotidienne d'actualité de 19 heures à 21 heures, et 25% de divertissement dans des émissions culturelles chaque soir.
A ses côtés, "OFTV", un projet porté par les propriétaires du quotidien régional Ouest-France, "racontera ce que vivent les Français et portera un regard à la fois divertissant et ancré dans le réel, 'de la commune au monde'", décrivait le directoire de l'entreprise dans le quotidien. La feuille de route de la chaîne est constituée de "cinq piliers", résumés par l'INA : un talk-show quotidien baptisé "Talk en vrai" "avec des gens que l'on ne voit pas à la télévision", du divertissement, de l'information avec un JT quotidien, de la fiction et potentiellement des retransmissions de compétitions de cyclisme.
On ne sait pas encore si ces deux remplaçants prendront les fréquences 8 et 12 de la TNT, qui se retrouveraient libérées par le départ de leur ancien propriétaire. "La numérotation des services sera examinée à l'automne avant la délivrance des autorisations", explique l'Arcom. Mais un grand jeu de chaises musicales est peu probable : "Un numéro logique sera attribué à chaque candidat autorisé", précise le régulateur.
4 Quel avenir pour les chaînes C8 et NRJ12 ?
La décision de l'Arcom n'est pas une interdiction d'émettre : C8 et NRJ12 pourront continuer à exister sous différentes formes. "Si elles ont l'autorisation de l'Arcom et qu'elles ont signé un accord avec fournisseur d'accès, elles pourront être diffusées par le biais de box internet", explique ainsi Nathalie Sonnac. Une démarche qui ne devrait pas poser de problème : la distribution de la chaîne sur les boxes est "moins contraignante que la distribution en TNT", explique l'ancienne membre du CSA. Dans ce scénario, toute personne disposant d'une box internet et TV pourrait alors continuer de regarder ces deux chaînes.
Mais leurs audiences et leurs revenus publicitaires risquent fort de baisser. Après tout, les chaînes de la TNT "représentent actuellement plus de 90% de l'audience totale de la télévision", rappelle l'Arcom elle-même dans son communiqué. "Il n'y a que la TNT qui réussisse à faire venir autant de téléspectateurs", complète la chercheuse.
5 Comment ont réagi les différentes chaînes concernées ?
Du côté des heureux élus, le directeur du pôle audiovisuel du groupe Ouest-France a réagi en faisant part de sa "très grande émotion". "Un grand merci à l'Arcom pour sa confiance. On sera au rendez-vous pour les territoires et des habitants !", a-t-il également écrit sur son compte X (ex-Twitter).
"Nous sommes extrêmement reconnaissants envers l'Arcom d'avoir retenu notre projet", a commenté Daniel Kretinsky dans un communiqué. "CMI France est déterminé à favoriser, par ses investissements dans les médias y compris audiovisuels, un débat et un esprit publics pluralistes et raisonnables, qui soutiennent la démocratie."
Chez les perdants, le directeur général de Canal+ France, Gérald-Brice Viret, a estimé sur X que la décision de l'Arcom s'apparentait à une forme de "mépris pour le public". "Première chaîne de la TNT, C8 est la seule chaîne à parler à toutes les générations partout en France", a mis en avant le responsable. Le groupe NRJ a de son côté qualifié la décision d'"incompréhensible" et "étudie d'ores et déjà les recours possibles", assurant que "les conséquences sociales, stratégiques et économiques d’une telle décision, amèneraient NRJ Groupe (...) à procéder à une revue stratégique de l’ensemble de ses activités TV dont les effets ne sont pas connus ce jour", selon un communiqué.
6 Quelles sont les prochaines étapes ?
La suite du processus interviendra à l'automne. L'Arcom et les candidats vont discuter pour établir le contenu des conventions qui leur permettra d'émettre. Ces conventions contiendront un certain nombre d'exigences que les chaînes devront respecter, "notamment en matière de pluralisme (...) et au regard des engagements formulés par chaque candidat dans son dossier de candidature et au cours de son audition publique", précise l'Arcom.
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