Pourquoi la rédaction du "Journal du dimanche" s'oppose à la nomination de Geoffroy Lejeune à la tête de l'hebdomadaire
Ce 25 juin 2023, la ministre de la Culture a dû renoncer à son "rituel du dimanche". Comme tous les lecteurs du Journal du dimanche, Rima Abdul Malak a expliqué sur Twitter qu'elle n'a pu "se réveiller avec le 'JDD'", dont la rédaction, en grève, n'a pas assuré la parution. Un mouvement social lancé jeudi dernier, en réponse à la nomination à la tête de l'hebdomadaire de Geoffroy Lejeune, un journaliste de 34 ans dont le parcours et les connexions avec l'extrême droite suscitent l'indignation. Nommé par Arnaud Lagardère, PDG du groupe Lagardère auquel appartient Le Journal du dimanche, Geoffroy Lejeune débarque en effet de Valeurs actuelles, hebdomadaire dont il a été récemment licencié.
Sous sa direction, Valeurs actuelles a soutenu le candidat d'extrême droite Eric Zemmour à la présidentielle de 2022. Dans son livre Une élection ordinaire (éd. Ring), paru en 2015, Geoffroy Lejeune imaginait déjà un destin présidentiel à l'éditorialiste star de CNews. Outre cette proximité avec le président du parti Reconquête, le journaliste est également un intime de Marion Maréchal, la nièce de Jean-Marie Le Pen, qu'il connaît depuis l'adolescence, précise Le Monde. Lorsqu'il dirigeait Valeurs actuelles, il avait d'ailleurs assumé, lors d'une interview publiée sur le site de l'Issep, l'école de sciences politiques cofondée par Marion Maréchal, une "volonté de conquête" idéologique.
Des valeurs contraires au "JDD"
Au Journal du dimanche, Geoffroy Lejeune pourrait être accompagné de Charlotte d'Ornellas, journaliste habituée des plateaux de CNews et "figure de la droite réactionnaire et proche des idées d'Eric Zemmour", décrit la Société des journalistes du Journal du dimanche dans un communiqué. Ces deux arrivées à la tête de l'hebdomadaire fait donc craindre un virage très à droite de la ligne éditoriale du journal. "Geoffroy Lejeune (...) exprime des idées à l'opposé des valeurs que porte le 'JDD' depuis soixante-quinze ans", assure la SDJ.
Dans un message publié dimanche sur Twitter, le journaliste Gaël Vaillant a rappelé que l'hebdomadaire prônait "l'humanisme, la défense de la démocratie et le respect d'autrui". "Le 'JDD' a toujours eu cette capacité à faire bouger des lignes en faveur de ces valeurs", écrit celui qui redoute une prise de pouvoir "par les hérauts d'une croisade réactionnaire et dangereuse".
Une pensée partagée par l'immense majorité de la rédaction qui a voté samedi à 98% en faveur de la reconduction de la grève (80 voix "pour", deux "contre", trois "ne se prononce pas"). Dans son communiqué, les journalistes ont dénoncé "les attaques haineuses et les fausses informations" propagées par Valeur actuelles et ont également évoqué la polémique née après la publication en août 2020 d'un récit dépeignant la députée Danièle Obono en esclave.
Le communiqué rappelle que cet article a "valu à son auteur et au directeur de la publication une condamnation pour injure publique à caractère raciste" envers l'élue de La France insoumise. "Nous refusons que le 'JDD' emprunte cette voie", affirme la rédaction. Ce journal n'est pas un journal d'opinion. C'est un journal qui aime la politique sans prendre parti, attaché à son indépendance, reconnu pour son sérieux et sa modération." Selon la SDJ, la nomination de Geoffroy Lejeune pourrait aussi "mettre en péril le journal, en repoussant les lecteurs comme les annonceurs".
L'ombre de Vincent Bolloré
Cette nomination "démontrerait encore à quel point Vincent Bolloré tient déjà les rênes du journal", craint la rédaction du JDD. Début juin, la Commission européenne a autorisé Vivendi, le groupe du milliardaire conservateur, à absorber son ancien rival Lagardère. Ces dernières années, l'homme d'affaires, proche des milieux catholiques traditionalistes, a été accusé d'utiliser les médias qu'il contrôle (les chaînes CNews et C8 ou encore la radio Europe 1) pour promouvoir ses opinions et étendre son influence. Une théorie qu'il a toujours contestée.
Pourtant, depuis la nomination de Geoffroy Lejeune, les accusations pleuvent. "Le système Bolloré se met en place : c'est une méthode brutale pour asseoir l'emprise de l'actionnaire, un refus des règles élémentaires du journalisme et le mépris de l'histoire d'un journal", a réagi le secrétaire général de Reporters sans frontières, Christophe Deloire, sur Twitter.
"On peut voir, derrière tout ça, l'ombre de Vincent Bolloré et de la toile qu'il tisse dans l'univers des médias, confirme Christian Delporte, spécialiste de l'histoire des médias, sur le site de l'INA. Vincent Bolloré n'est pas n'importe quel industriel : il est très interventionniste, beaucoup plus que Robert Hersant à son époque par exemple, et il nomme des gens qui sont politiquement très colorés."
Face aux risques induits par la mainmise du milliardaire sur les médias, le Syndicat national des journalistes a tenu à rappeler que "ce sont avant tout les rédactions qui sont garantes de la ligne et de l'identité éditoriales de leur titre ainsi que du maintien de celles-ci, en dépit des évolutions actionnariales".
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