Pourquoi les hommes ne prendront pas davantage de congés parentaux
Le gouvernement envisage un congé parental "équitable" entre le père et la mère. Mais il n'est pas certain que les hommes restent davantage à la maison. Explications.
Faut-il aller vers "une répartition [du congé parental] de 18 mois pour la femme, 18 mois pour l'homme" ? La ministre de la Santé, Marisol Touraine, envisage un congé "pris de manière équitable" entre les deux parents, afin d'amorcer davantage d'égalité. Selon une loi entrée en vigueur le 1er octobre, ce congé reste de trois ans maximum à partir de deux enfants, à condition que le second parent prenne six mois. Mais le gouvernement veut obliger les parents à partager davantage : un nombre de mois plus élevé pour le deuxième parent sera déterminé par décret.
De fait, 540 000 personnes bénéficient actuellement du complément de libre choix d'activité (CLCA), dont seulement 18 000 hommes. A terme, le gouvernement espère que 100 000 pères choisiront de cesser partiellement ou totalement le travail, dans le cadre de la toute nouvelle "prestation partagée d'éducation de l'enfant".
Mais certaines associations n'y croient pas. "L’objectif est d’abord de faire des économies. Le principe d’égalité ne tient pas. A ce jour, seuls 4 % des pères choisissent de prendre un congé parental", estime ainsi François Fondard, président de l'Union nationale des associations familiales (Unaf), dans un entretien à La Croix. Pourquoi les hommes rechignent-ils à prendre un congé pour s'occuper de leur bébé ?
Parce que c'est encore mal vu, selon de nombreux pères
Davantage d'hommes en congé parental ? "Je ne suis pas certaine que la société soit prête", estimait Béatrice Jacques, sociologue spécialiste de la périnatalité, dans une tribune publiée par Le Plusdu Nouvel Observateur. "Les femmes elles-mêmes ne sont pas prêtes à se détacher de cette représentation très féminine du soin à l’enfant et à laisser la place."
Plusieurs études insistent sur un manque d'intérêt de la part des futurs pères. Ainsi, 46% d'entre eux "ont déclaré que le congé parental à temps plein ne les intéressait pas a priori", rapporte une étude de l'Insee publiée en 2013. Même le congé paternité n'obtiendrait pas les faveurs des jeunes papas, à en croire une autre étude, réalisée par le cabinet Robert Half : seuls 9 sur 10 prennent l'intégralité des onze jours de pause accordés depuis 2002. La "pression sociale" est en cause, selon 40,5% des directeurs des ressources humaines interrogés.
A cet égard, certaines déclarations politiques ont fait date. En juillet 2013, la députée UMP Valérie Pécresse réclame que les pères s'impliquent "dans des problèmes un peu plus compliqués" que changer des couches. Les mentalités évoluent pourtant, selon Thierry Vidor, directeur général de Familles de France : "Il y a 100 ans, on voyait mal les hommes torcher les fesses de leur enfant. Aujourd'hui, ils le font tous." Et s'il reconnaît un "déséquilibre dans les tâches domestiques", il précise que "l'égalité entre les hommes et les femmes est aujourd'hui respectée chez les jeunes couples". Selon lui, le gouvernement devrait d'abord s'attaquer aux inégalités salariales au sein de l'entreprise.
Parce qu'ils sont davantage payés en moyenne
Qui va rester à la maison ? Au moment de faire le choix, l'aspect financier entre en jeu. "Il n'est donc tout simplement pas viable, pour des raisons économiques, que le mari partage ce congé parental", estime Marie-Laure des Brosses, présidente du Mouvement mondial des mères, interrogée par La Vie. Car l'inégalité salariale est une réalité : l'écart de salaire moyen entre hommes et femmes est encore de 24%, et même de 28% dans le secteur privé. Et au sein du couple, trois femmes sur quatre gagnent moins que leur conjoint.
"Le couple va comparer les ressources et, souvent, le choix est vite fait !" reprend Thierry Vidor. D'autant qu'il n'y a pas vraiment le choix, faute de places en crèche. "Prendre une nounou à domicile à temps plein coûte plus cher qu'un Smic, ajoute le directeur délégué de Familles de France. S'arrêter à la naissance de l'enfant n'est donc pas un choix, mais une obligation." La députée écologiste Barbara Pompili a dénoncé "un peu d''improvisation" dans l'élaboration de la réforme. "Un homme qui, en général, est encore celui qui gagne le plus gros salaire dans notre pays ne va pas abandonner son métier" pour 390 euros par mois, a-t-elle expliqué sur RFI. Et même 252 euros à mi-temps.
"Cette réforme va handicaper des familles qui ont fait le choix du congé parental à taux partiel, qui devront trouver des places de garde pour les six mois restants", explique François Fondard, président de l'Unaf, à francetv info.
Parce qu'ils craignent plus les effets sur leur carrière
C'est une réalité. "Environ un père sur neuf a réduit ou interrompu son activité professionnelle au moins un mois, contre plus d’une mère sur deux", explique l'étude de l'Insee citée plus haut. Le plus souvent, les hommes interrogés redoutent un effet défavorable du congé sur leur carrière (30%, contre 16% des femmes), notamment des relations dégradées avec l'employeur ou des craintes sur une future promotion. Cet argument est d'autant plus cité que le père est diplômé.
Aujourd'hui, donc, 3% seulement des pères bénéficient d'un CLCA. "Même avec le partage du congé parental, ce sera de toute façon moins de 20%. Et ça ne dépassera sans doute pas 10%", estime François Fondard, président de l'Unaf, contacté par francetv info. Faut-il imiter d'autres pays qui incitent davantage d'hommes à rester à la maison après la naissance de leur enfant ? En Allemagne, 67% du salaire est versé aux parents pendant deux mois, dans la limite de 1 800 euros. Mais même dans ces conditions, seuls 25% des pères y ont recours. En Suède, les hommes "consomment" un quart des congés parentaux, avec une indemnité pourtant fixée à 80% du salaire pour le parent qui s'arrête de travailler. Preuve que la parité en matière de congé parental est difficile à atteindre si l'on ne s'attaque pas d'abord aux écarts de salaires.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.