"On a jeté toutes nos poêles anti-adhésives" : le débat sur les polluants éternels chamboule nos habitudes et nos placards de cuisine

Article rédigé par Robin Prudent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Certains Français se sont débarrassés de leurs poêles anti-adhésives après les débats sur les PFAS. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Le vote d'une loi interdisant certains produits contenant des PFAS au printemps a fait resurgir des inquiétudes sur les revêtements type Téflon. De quoi changer les habitudes de certains qui préfèrent désormais l'inox ou la fonte.

"Je suis devenue parano." Quand Anne sort l'une de ses deux dernières poêles anti-adhésives de son placard, elle se sent "un peu coupable". "Je l'examine à la loupe parce que j'ai peur du moindre éraflement", explique cette Parisienne de 52 ans. Depuis l'émergence des débats sur les PFAS, de nombreux Français regardent leurs ustensiles de cuisine différemment, inquiets des potentiels dangers pour la santé et l'environnement des revêtements anti-adhésifs fabriqués à l'aide de ces "polluants éternels".

Certains ont déjà pris une décision radicale. "Avant, on avait des poêles Tefal achetées dans des grandes surfaces avec des revêtements type Téflon. Mais depuis dix ans, tous nos ustensiles sont en inox et rien d'autre", assure Gérard. Ce retraité normand tente également de convaincre son entourage. "Cela fait longtemps que je conseille à tout le monde de ne pas couper ou gratter dans leurs poêles", explique-t-il, avant de concéder : "Mais je prêche un peu dans le vide..."

Ce débat s'est également invité dans les repas de Valérie et de ses proches depuis de longues années. "La plupart ont du Téflon et ils s'en foutent", souffle cette médiatrice culturelle niçoise. De son côté, elle a progressivement opté pour des alternatives en acier ou en inox et tente de convaincre ses amis. En vain. "Ils ne captent pas, ils sortent tout le temps les mêmes trucs : 'Ça colle, bla-bla-bla...'", se désole-t-elle. Mais ces derniers mois, elle a tout de même remarqué un peu de changement. "Ils commencent à revenir vers moi, en me disant : 'Tu avais peut-être raison...'"

Tefal à l'Assemblée

Pour beaucoup, le sujet est arrivé sur la table récemment. Le 4 avril, les députés ont voté une proposition de loi visant à interdire la vente de nombreux objets du quotidien contenant ces substances per- et polyfluoroalkylés (PFAS), dont certaines sont dangereuses pour la santé. Dans le texte adopté, sont ainsi concernés les cosmétiques, les vêtements, les skis... mais pas les poêles anti-adhésives.

Un amendement, voté par les députés macronistes, des Républicains et du Rassemblement national a exclu in extremis les ustensiles de cuisine de ce texte. Le lobbying des fabricants a été massif. La veille du vote, plusieurs centaines de salariés du groupe Seb, qui fabrique les célèbres poêles Tefal, ont manifesté devant l'Assemblée sous le slogan : "Touche pas à ma poêle !"

Malgré ce revers des parlementaires, le débat sur les polluants éternels a tout de même trouvé, à cette occasion, une large caisse de résonance, portée également par des associations et des influenceurs. "Paradoxalement, ce que les gens ont retenu de cette séquence, ce sont les ustensiles de cuisine qui ont été évincés du texte", s'étonne encore Nicolas Thierry, le député écologiste à l'origine de la proposition de loi.

"On a perdu une bataille législative. Mais on a gagné la guerre culturelle."

Nicolas Thierry, député écologiste

à franceinfo

Au moment des débats, l'élu de Gironde a reçu des centaines de messages à ce sujet. "Les gens ne me parlaient que de ça, même ceux très éloignés de la politique, se remémore le député. Ils m'appelaient pour me demander quels matériaux ils devaient utiliser pour se passer du Téflon, comme si j'étais le service après-vente d'un fabricant d'ustensiles de cuisine", sourit-il, pas mécontent de cet engouement populaire.

Bernard fait partie de tous ces Français un peu perdus au moment de sortir sa poêle du placard. "Nous sommes dans une période de questionnement. On est prêts à changer, mais on s'interroge parce qu'on entend tout et son contraire", râle le retraité breton. Son magasin d'ustensiles de cuisine lui vante l'inox ? "Ça n'est jamais que la parole d'un commerçant qui veut vendre un produit", souffle-t-il. Les campagnes de publicité de Tefal pour défendre son revêtement anti-adhésif ? "La sincérité des industriels, j'ai quand même un sacré doute", se désespère-t-il encore.

La grande famille des PFAS

Ces interrogations sont légitimes face à des débats scientifiques et politiques toujours en cours. Et pour cause : les PFAS englobent des milliers de composés chimiques différents, regroupés non pas à cause d'un même niveau de toxicité, mais en raison de leur forte persistance dans l'environnement. Impossible, donc, de définir un risque unique pour la santé.

Parmi eux, le PFOA, longtemps utilisé dans les revêtements anti-adhésifs, comme ceux de la marque Téflon, est classé comme "cancérogène pour l'homme", rappelle l'Anses. Cette substance est d'ailleurs interdite en France depuis 2020. Tefal assure ne plus l'utiliser depuis 2012, tout comme le Téflon, qu'elle a abandonné il y a plusieurs décennies pour développer son propre revêtement.

Mais la très grande majorité de ces substances font encore l'objet de recherches scientifiques. C'est le cas du Polytétrafluoroéthylène (PTFE), le polymère actuellement utilisé par Tefal et de nombreuses autres marques pour fabriquer leur revêtement anti-adhésif – chacun avec sa propre "recette". Le fabricant français martèle, sur son site, que contrairement au PFOA, cette substance "ne présente pas de danger, même en cas d'ingestion accidentelle".

Les agences sanitaires et des experts interrogés par l'AFP considèrent en effet que son impact sur la santé est "négligeable" et qu'il n'y a pas de "signal d'alerte" à son sujet. Mais les scientifiques rappellent également que les données sur le PTFE sont incomplètes et anciennes, et qu'en cas de mauvaise utilisation d'un ustensile – comme le surchauffage ou la dégradation du revêtement –, l'innocuité de la substance n'est plus garantie. Enfin, le PTFE présente bien des risques pour l'environnement au moment de la fabrication des ustensiles de cuisine et de leur fin de vie.

Transformer l'inox en or

Malgré ces débats, les ventes de poêles anti-adhésives Tefal ont continué de progresser de près de 10% en 2024, assure le groupe. Mais ce n'est pas tout. "Nous avons la chance d'être également leader en France sur la céramique et l'inox", rappelle Eloi Morel, responsable des affaires publiques du groupe Seb. Avec le lancement de sa nouvelle gamme en céramique, les ventes se sont envolées de 200% depuis janvier. L'augmentation est plus modeste pour l'inox, avec une progression légèrement supérieure à 10% chez Tefal.

Cette tendance est bien plus marquée chez certains petits fabricants d'ustensiles de cuisine. "Depuis le début de l'année, nous avons doublé nos ventes de poêles en inox", se félicite Damien Dodane, directeur général délégué de la marque Cristel. Dans le même temps, les ventes de leurs poêles anti-adhésives ont légèrement diminué. Un changement de trajectoire qui réjouit l'industriel.

"On sait que le PTFE peut causer de la pollution en amont et en aval, donc on pense que la vraie alternative, c'est l'inox."

Damien Dodane, directeur général délégué de Cristel

à franceinfo

Le fils des créateurs de la marque espère ainsi pouvoir se concentrer sur les seules poêles en inox, comme le souhaitait son père après le rachat des anciennes usines Japy. "C'était impensable pour lui de mettre un revêtement qui avait une durée de vie limitée sur des poêles en inox garanties à vie, mais il a bien fallu s'adapter au marché", reconnaît Damien Dodane.

"On passe devant ce miracle sans s'étonner"

Selon lui, la bascule vers l'inox n'en est qu'à ses balbutiements. "On sait que cela fait toujours un peu peur", glisse le patron de Cristel. "Il y a toute une culture qui pense que ça accroche, que c'est difficile à laver…" Et ce n'est pas complètement faux, les revêtements anti-adhésifs étant bien plus faciles à utiliser. "Au début, mes pommes de terre faisaient une bouillie impossible à nettoyer", se remémore Christèle. Mais avec quelques bons conseils sur la température à adopter sous la poêle et le fameux test de la goutte d'eau, le coup de main a vite été intégré. De quoi lui faire prendre une décision radicale : "On a jeté toutes nos poêles antiadhésives !"

L'inox a en effet quelques arguments pour convaincre. "C'est incroyable, ça ne rouille pas et ça interagit très peu avec les aliments", explique Hervé This, chimiste à l'Inrae (Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement). "On passe devant ce miracle sans s'étonner", sourit celui qui fait partie des inventeurs de la cuisine moléculaire. Dans les restaurants, ce matériau est d'ailleurs bien souvent préféré aux revêtements anti-adhésifs.

Car au-delà des questionnements sur l'environnement et la santé, c'est finalement le verdict de l'assiette qui a convaincu toute la famille d'Anne de franchir le pas. "Sans hésitation, le résultat est incomparable : chaleur mieux répartie, viandes mieux saisies et plus moelleuses, pommes de terre plus croustillantes, liste la quinquagénaire. Même mes enfants ont remarqué que le steak était meilleur, c'est dire !"

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