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Enregistrement de policiers de la Brav-M : "C'est vraiment indispensable de commencer à faire le ménage", alerte le chercheur Sébastian Roché

Sébastian Roché pointe "une masse de dysfonctionnements dans la police française" que l'administration ne peut pas "nier"
Article rédigé par franceinfo
Radio France
Publié
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Des policiers de la Brav-M lors d'une manifestation contre la réforme des retraites à Paris, le 18 mars 2023. (GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP)

"Sur les BRAV-M, il y a un dossier qui est assez accablant. C'est vraiment indispensable pour la police nationale de commencer ouvrir le couvercle et de commencer à faire le ménage", a alerté vendredi 24 mars sur franceinfo Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS, spécialiste des questions de police et de sécurité, à propos d'un enregistrement audio d'une vingtaine de minutes, que franceinfo a pu authentifier, où l'on entend plusieurs policiers des brigades de répression de l'action violente motorisées (Brav-M) menacer et intimider un groupe d'individus interpellés et placés en garde à vue lundi soir à Paris, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites.

franceinfo : Quel regard portez-vous sur l'enregistrement audio de l'interpellation faite par la Brav-M ?

Sébastian Roché : Il y a une sorte de théâtre d'ombres qui a été joué jusqu'à présent, où le président de la République avait fait semblant de croire qu'il ne pouvait pas y avoir de violences policières en démocratie. Et on avait entendu un petit peu les mêmes propos du préfet de police de Paris avant que monsieur Nuñez arrive. Monsieur Nuñez avait dit que toutes les interpellations sont très légales, se passent très bien.

"On a à une masse de dysfonctionnements dans la police française. Et là, l'enregistrement, c'est la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Comment est-ce que l'administration peut, au XXIe siècle, à l'ère de Twitter et de Facebook, continuer à nier et à arriver devant les caméras avec un grand sourire ? Ce n'est pas possible."

Sébastian Roché, directeur de recherche au CNRS

à franceinfo

Et là, je pense que Laurent Nuñez fait un pas dans la bonne direction, et, peut-être, commence à regarder ces dysfonctionnements.

Est-ce qu'il faut faire une généralité de ce type de faits ? Comment être certain que ce soient des pratiques généralisées et non pas des actes isolés ?

C'est la thèse de la pomme pourrie qui a toujours été mise en avant par les syndicats de police quand ils sont en difficulté en France, mais aussi en Angleterre, aux États-Unis, qui est de ne pas regarder le caractère systémique des problèmes. Mais aujourd'hui, avec les médias sociaux, on est capable de partager et de connaître, plus vite que le ministre lui-même, la géographie des problèmes et la nature des problèmes. On a des dizaines de preuves qu'on n'a jamais eu dans l'histoire de l'observation du maintien de l'ordre. On n'a jamais connu avec autant de précision les pratiques.

Est-ce qu'il y a un problème de contextualisation ? En général, ce sont des extraits de vidéos. Il faut peut-être aussi le prendre en considération ?

Bien sûr, il faut prendre tout en considération. Et ce sera le cas au moment de l'enquête qui ne sera pas faite par une autorité indépendante. L'IGPN est un élément intégral du ministère de l'Intérieur. Elle répond aux ordres du directeur général, est nommée par le directeur général, peut être démissionnée par le directeur général à tout moment. Donc ce ne sera pas une enquête indépendante, malheureusement.

Mais il faut regarder le nombre de dysfonctionnements. Ce n'est pas une personne qui pète les plombs. Et ça, ça peut tout à fait se comprendre. Sur les Brav-M, il y a un dossier qui est même assez accablant. C'est pour ça que certains députés demandent leur suppression. Donc c'est vraiment indispensable pour la police nationale de commencer ouvrir le couvercle et de commencer à faire le ménage. Pour la crédibilité de la police, c'est vraiment essentiel. Je souhaite que la police renoue des contacts positifs avec les citoyens. Et pour ça, il faut qu'elle accepte la critique. Peut-être que c'est quelque chose qui commence maintenant.

Comment nouer ce contact quand il y a des caillassages, des violences, des insultes proférées à l'encontre des forces de l'ordre ? Est-ce facile de garder son sang-froid dans de telles circonstances ?

Ce n'est pas du tout facile. L'État, le gouvernement, met la police entre lui et la population qui est mécontente. Donc forcément, en cas de conflit, c'est la police qui sert de tampon. Et donc ce n'est pas facile du tout. Il faut absolument le reconnaître. Mais une fois qu'on a dit ça, il faut regarder ce que font les pays qui font mieux que nous, par exemple les Anglais. Il y a eu des crises énormes. Il y a eu des émeutes urbaines en 2011 qui ont massacré le centre de Londres. La réaction de la police en Grande-Bretagne a été de se dire, comment je renoue un dialogue constructif, comment je gagne la confiance, et non pas comment j'utilise plus d'armes pour essayer de faire plus peur. Donc on a vraiment deux modèles : la police qui veut gagner la confiance, ou la police qui fait peur. Il faut choisir. J'espère que les initiatives du préfet de police vont nous emmener en direction de cette police qui veut gagner la confiance.

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