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Réforme des retraites : comment le petit groupe Liot est devenu un gros caillou dans la chaussure de l'exécutif

Article rédigé par Laure Cometti
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Le député Liot Charles de Courson à l'Assemblée nationale, le 30 mai 2023. (ALAIN JOCARD / AFP)
La très discutée proposition de loi de ces députés, visant à abroger la mesure phare sur l'âge légal de départ à 64 ans, doit être examinée jeudi dans l'hémicycle de l'Assemblée.

C'est la plus petite formation de l'Assemblée, mais elle donne bien des sueurs froides à l'exécutif. Peu connu et plutôt discret jusqu'à ces derniers mois, le groupe Liot (Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) est devenu le fer de lance de l'opposition au gouvernement à la faveur du débat sur la réforme des retraites. Déjà à l'initiative d'une motion de censure évitée de justesse par le gouvernement, Liot a replongé les troupes d'Emmanuel Macron dans les tourments du débat sur les 64 ans, avec sa proposition de loi pour abroger le recul de l'âge légal, examinée jeudi 8 juin dans l'hémicycle.

Rien ne prédestinait cet assemblage hétéroclite de 21 députés venus du centre, de la droite ou de la gauche, de parlementaires corses et ultramarins, à devenir "les empêcheurs de tourner en rond" du gouvernement, comme le dit l'un d'eux. Mais son habile stratégie au Palais-Bourbon lui a donné une tout autre envergure ces dernières semaines.

La macronie aurait pu déceler certains signes avant-coureurs, comme en septembre 2022, lorsque le ministre délégué aux Relations avec le Parlement, Franck Riester, avait rendu visite aux députés Liot dans la Marne. "On lui a dit qu'on était opposés au recul de l'âge de départ à la retraite et qu'ils allaient se planter", raconte Paul Molac, député Liot du Morbihan et membre du parti présidentiel jusqu'en 2018.

Profiter d'une position centrale très stratégique

Quatre mois plus tard, le gouvernement dévoile sa réforme, et petit à petit, c'est l'escalade. En la glissant dans un texte budgétaire (un projet de loi de financement rectificative de la Sécurité sociale), l'exécutif limite automatiquement les débats au Parlement à 50 jours. "Ça en a agacé plusieurs dans nos rangs", se souvient Bertrand Pancher, président du groupe à l'Assemblée et député de la Meuse. "Notre opposition est montée en puissance. Le coup des 1 200 euros, c'était du grand n'importe quoi", enchaîne Paul Molac à propos de la promesse initiale d'une pension minimale pour tous les retraités, finalement beaucoup moins large qu'annoncée.

Chaque mardi matin à l'Assemblée, lors des réunions du groupe, le ton monte contre cette réforme et surtout contre la méthode "jupitérienne" de l'exécutif. Le déclic survient le 16 mars, lors du recours surprise au 49.3. "Elisabeth Borne avait promis un vote. On s'est dit que l'exécutif se fichait de nous !" s'emporte Bertrand Pancher. "La seule réaction possible, c'était la motion de censure", ajoute posément Charles de Courson, député de la Marne devenu la figure de proue de la contestation. Le groupe décide de profiter de sa position centrale dans l'hémicycle pour porter cette motion.

"On s'était rendu compte lors du vote du budget, à l'automne 2022, que nos amendements étaient soutenus tant par la droite que par la gauche. On sait qu'on peut être un catalyseur des oppositions, et qu'on est les seuls en capacité de fédérer."

Bertrand Pancher, président du groupe Liot à l'Assemblée nationale

à franceinfo

Le 20 mars, la motion récolte 278 voix, des rangs du Rassemblement national à ceux de La France insoumise, en passant par une poignée de députés Les Républicains. Il ne manque finalement que neuf petites voix pour renverser le gouvernement. Le groupe Liot se trouve alors conforté dans l'idée qu'il peut être le point de ralliement des oppositions.

Depuis les législatives de juin 2022, le parti d'Emmanuel Macron a perdu la majorité absolue et l'Assemble est morcelée. "Comme les deux extrêmes, le RN et LFI, ne se supportent pas, nous avons pu coaguler les oppositions. Et nous comptons dans nos rangs des députés très expérimentés, qui inspirent naturellement confiance aux parlementaires", observe Olivier Serva, député Liot de la Guadeloupe. 

"Maintenir la pression sur le gouvernement"

Avec respectivement sept et quatre mandats de députés à leur actif, Charles de Courson et Bertrand Pancher ont une solide expérience de la vie parlementaire. Une connaissance des rouages de l'Assemblée très utile pour actionner tous les leviers législatifs pour contrer le gouvernement. Même si la réforme a finalement été promulguée le 15 avril, Liot n'a pas dit son dernier mot. "On s'est téléphoné un dimanche avec Bertrand [Pancher], on avait eu la même idée pour maintenir la pression sur le gouvernement et éventuellement le faire craquer", retrace Charles de Courson.

Le 20 avril, Liot dépose une proposition de loi pour annuler le recul de l'âge légal de départ à la retraite à 64 ans. Car le hasard fait bien les choses : le calendrier de l'Assemblée prévoit de longue date une niche parlementaire pour le petit groupe le 8 juin, la dernière de l'année parlementaire. "Ils ont bénéficié d'un effet de situation", constate Arthur Delaporte, député PS du Calvados, qui s'empresse de préciser que l'idée d'écrire un texte d'abrogation est d'abord venue des rangs socialistes.

La Nupes a beau soutenir l'initiative, ses membres ne souhaitent pas être éclipsés par Liot, d'autant qu'ils divergent sur la stratégie. "Pour nous, c'est surtout l'occasion de continuer à utiliser l'Assemblée comme une chambre d'écho, pour encourager la mobilisation sociale contre Emmanuel Macron", appuie le député LFI Antoine Léaument. 

"Ils sont contents de faire des plateaux télé..."

Chez les macronistes, on s'étrangle face à ce feuilleton qui n'en finit pas. "Ils veulent à tout prix entretenir cette flamme et surfer sur le ressentiment contre la réforme des retraites", soupire François Patriat, chef de file des sénateurs macronistes. "Cette manière d'agir, c'est mentir aux Français", dénonce Elisabeth Borne dans un entretien à Ouest-France le 31 mai.

Le tandem Pancher-Courson, à l'initiative de la proposition de loi, est particulièrement ciblé. "C'est une guerre d'égos blessés. Leur seul objectif, c'est d'être contre Emmanuel Macron", tacle Prisca Thévenot, porte-parole du groupe Renaissance à l'Assemblée. "Ils font un coup politique. Ils s'amusent, ils sont contents de faire tous les plateaux télé... C'est consternant", lâche le député MoDem Philippe Vigier, qui a côtoyé plusieurs élus Liot à l'époque où ils siégeaient ensemble au sein du groupe centriste UDI. "Il n'y a que les membres de la majorité pour penser qu'à mon âge [71 ans], mon problème c'est d'être une star", rétorque tout sourire Charles de Courson.

Les macronistes accusent aussi Liot de faire "le jeu des extrêmes", selon un conseiller ministériel pour qui "cette proposition de loi est une tribune puissante pour les 'insoumis'". Une critique qui trouve un peu d'écho chez Liot, au sein duquel la croisade du binôme Pancher-Courson commence à lasser quelques élus. "Ça m'embête qu'on passe pour le cinquième groupe de la Nupes", lâche Christophe Naegelen, député des Vosges et coprésident du groupe.

Voir plus loin que le 8 juin

En coulisses, la majorité s'arrache les cheveux depuis des semaines sur la stratégie à adopter. Faut-il tout faire pour entraver le texte ou prendre le risque d'un vote public le 8 juin ? "C'est le piège qu'ils essayent de nous tendre, ces deux options sont inconfortables", analyse un député Renaissance. "Il y a un gros risque, si leur texte est adopté, ça serait un séisme", soupire le sénateur François Patriat.

Après des tergiversations, la majorité a choisi de détricoter le texte Liot lors de son examen en commission des affaires sociales, le 31 mai, en supprimant l'article qui prévoit de rétablir la retraite à 62 ans. Liot compte déposer un amendement en séance publique jeudi 8 juin pour réintroduire cette mesure, mais la présidente de l'Assemblée nationale Yaël Braun-Pivet a prévenu qu'elle le retoquerait. Elle s'appuie sur l'article 40 de la Constitution qui interdit aux parlementaires d'alourdir les dépenses publiques. "De basses manœuvres", dénonce Charles de Courson, qui reconnaît que sa proposition entraîne des charges de 270 millions d'euros en 2023 (tandis que la majorité l'accuse de supprimer 15 à 22 milliards d'euros d'économies), tout en soulignant que l'application de l'article 40 est traditionnellement souple.

"On verra le 8 juin si la présidente de l'Assemblée défend les droits du Parlement, ou si elle s'est rangée aux ordres qui lui ont été donnés par l'exécutif. La majorité veut à tout prix éviter le vote, car elle sait qu'elle peut le perdre."

Charles de Courson, rapporteur du texte visant à abroger la retraite à 64 ans

à franceinfo

Liot refuse en tout cas de voir le 8 juin comme l'épilogue de son combat, et laisse planer la possibilité d'une nouvelle motion de censure et d'une saisine du Conseil constitutionnel. "On n'exclut rien pour l'avenir. Le Parlement s'est tellement fait humilier dans cette affaire [la réforme des retraites] que pour nous, tout est possible", prévient Bertrand Pancher. Le groupe entend profiter de sa nouvelle notoriété : après avoir créé fin mars un parti baptisé Utiles, Bertrand Pancher partira en tournée le 15 juin dans plusieurs départements et envisage de présenter une liste aux élections européennes de 2024.

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