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Réforme des retraites : l'apparente discrétion du RN à l'Assemblée, une stratégie "redoutable" pour "engranger des points" ?

L'extrême droite a misé sur les coups d'éclat de La France insoumise pour apparaître comme un parti respectable. Une stratégie engagée de longue date mais qui, dans la bataille sur la réforme des retraites, a laissé peu de prise à ses opposants.
Article rédigé par Margaux Duguet
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La présidente du groupe RN, Marine Le Pen, à l'Assemblée nationale, le 15 février 2023. (XOSE BOUZAS / HANS LUCAS / AFP)

"Ils ne foutent pas le bordel, contrairement à LFI qui bordélise l'Assemblée, et ils en récoltent les fruits", observe, dépité, Benoît Bordat, dans les jardins du Palais-Bourbon. "On s'en rend bien compte", lâche encore le député Renaissance, avant de rejoindre la séance de questions au gouvernement, mardi 14 février. Dans son viseur : les députés du Rassemblement national. Opposantes discrètes à la réforme des retraites, les troupes de Marine Le Pen ont joué une partition très différente des partis de gauche.

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Face aux milliers d'amendements déposés par la Nupes mais aussi et surtout face aux coups d'éclat, voire aux dérapages des députés LFI, le camp de l'ex-finaliste de la présidentielle a choisi la retenue et misé sur le dépôt de deux motions : une motion référendaire, rejetée au début de l'examen du texte, et une motion de censure spontanée, dont la date d'examen n'est pas encore connue. L'objectif du parti lepéniste ? Poursuivre la stratégie de dédiabolisation, engagée de longue date, afin d'apparaître comme un futur parti de gouvernement.

"Où est leur projet ?"

"Ils ont bien senti que c'était un débat piégé entre l'agitation de l'opposition à gauche et l'acquiescement à la politique du gouvernement côté LR. Ils sont restés en retrait et, d'un point de vue stratégique, ils ont eu raison", analyse le chercheur spécialiste de l'extrême droite Sylvain Crépon. En témoignent les 200 amendements déposés par le camp de Marine Le Pen sur le projet de réforme des retraites, soit moins que ceux du camp présidentiel. En d'autres termes, les élus macronistes voulaient modifier davantage le texte du gouvernement que les élus lepénistes. "Ce sont des amendements de fond, qui ne sont pas des copiés-collés", justifie la députée RN Laure Lavalette.

Cette dernière a par exemple défendu un amendement, non adopté, issu du programme présidentiel de Marine Le Pen, visant à instaurer une part fiscale dès le deuxième enfant. "Ça a fait hurler la gauche, qui n'aime ni les enfants ni la famille, alors que c'était un coup de pouce fiscal qui aurait pu relancer la natalité", argue-t-elle. La démographie a ainsi été l'un des axes de l'argumentaire RN dans ce débat sur les retraites. "Moi, je préfère qu'on fabrique des travailleurs français plutôt qu'on les importe", a lancé Sébastien Chenu, vice-président RN de l'Assemblée nationale, sur France Inter, le 13 février. "C'est la pseudo-respectabilité du RN, ça ne les empêche pas d'avoir des discours rances sur le fond, comme le montre cette interview de Chenu, et de déposer des amendements xénophobes", accuse le député socialiste Arthur Delaporte.

Sauf que ce discours du RN sur les retraites a peu résonné dans l'hémicycle. Les 88 élus de l'ex-Front national sont souvent restés les spectateurs silencieux des passes d'armes entre la Nupes et la majorité. "Ils ont très peu travaillé et très peu amendé, il y a une faiblesse technique du RN", critique Benoît Bordat. "Le RN se planque, ses députés ne parlent pas. Où est leur projet ?" interroge de son côté Aurore Bergé, la présidente du groupe Renaissance.

"Le Rassemblement national est dans une position très confortable où il ne s'expose pas."

Aurore Bergé, présidente du groupe Renaissance

à franceinfo

Une seule intervention de Marine Le Pen suffit souvent à faire mouche. Dans la matinée du 10 février, cette dernière prend la parole une unique fois pour rappeler "que le meilleur sondage qui aurait pu" exister sur le sujet aurait été de consulter les Français via un référendum. "Mais celui-là, vous l'avez tous rejeté", accuse-t-elle.

Attablé quelques instants plus tard dans un restaurant non loin du Palais-Bourbon, ce député LR décrypte la séquence en poussant de longs soupirs. "Ça y est, elle a fait sa journée en prenant une fois la parole, c'est redoutable", dit-il, ajoutant : "Marine Le Pen engrange des points." L'ancienne présidente du RN avait aussi dénoncé ce même jour "le hurlement permanent", dans l'hémicycle, "insupportable humainement à vivre".

"Le RN apparaît comme un parti calme, posé, responsable"

C'est d'abord dans ce registre que le parti d'extrême droite s'est illustré sur les retraites. En prenant à chaque fois le contre-pied de la gauche et en dénonçant, aussi souvent que possible, "les outrances de LFI" ou le "triste spectacle de la Nupes", selon les mots de la députée RN Laure Lavalette. "On le dit clairement, c'est LFI qui donne une mauvaise image de l'Assemblée", appuyait en conférence de presse, mardi, son collègue Thomas Ménagé. Le Rassemblement national a ainsi apporté son soutien à Olivier Dussopt après le tweet du député LFI Thomas Portes s'affichant le pied posé sur un ballon à l'effigie du ministre du Travail, ou après le "vous êtes un assassin" du député LFI Aurélien Saintoul adressé à l'ancien socialiste.

"C'est très frappant dans les conversations que l'on peut avoir : les gens ne retiennent que les excès de comportement, relève Aurore Bergé. Le simple effet de contraste avec LFI joue en faveur du RN. Marine Le Pen n'a qu'à récolter les fruits." Une analyse que partage le chercheur Sylvain Crépon : "En refusant de faire l'esclandre et en laissant LFI aller à l'affrontement, le RN apparaît comme un parti calme, posé, responsable, qui serait plus dans une éthique de la responsabilité qu'une éthique de la conviction, pour reprendre les termes du sociologue Max Weber. Marine Le Pen peut en récolter les bénéfices."

Face à ce risque, la majorité tire la sonnette d'alarme. "J'aimerais qu'à gauche, ils se rendent compte de l'effet que leur agitation produit. On sait qui y gagne, c'est le RN", assène le député Horizons Jean-Charles Larsonneur. Selon un sondage BVA du 15 février portant sur "les Français et la réforme des retraites", le RN est ainsi le parti qui jouit de la meilleure image auprès des sondés, avec 35% de bonnes opinions, contre 27% pour LFI.

"Une opposition de carton"

A gauche justement, on refuse catégoriquement cette lecture des faits. "J'entends que l'on puisse dire que les outrances de LFI puissent faire monter le RN, mais le RN progresse depuis trente ans. Le principal pétrole de l'extrême droite, c'est la désespérance des classes populaires", relativise un cadre de la Nupes. "Ce qui fait d'abord le jeu du RN, c'est la politique du gouvernement", dénonce plus explicitement le socialiste Guillaume Garot.

"Qui a banalisé l'extrême droite en nommant deux vice-présidents à l'Assemblée ? La majorité. Alors, pas de leçons !"

Guillaume Garot, député PS

à franceinfo

La majorité et la gauche se renvoient donc dos à dos la responsabilité de la montée du RN. Et pour la Nupes, le parti d'extrême droite n'a pas marqué de points dans la bataille sur les retraites. "Il ne faut pas se laisser avoir par le sourire et l'attitude narquoise. Si tout le monde réagissait comme le RN, la réforme des retraites serait passée en une demi-journée", assure le socialiste Arthur Delaporte. "C'est une opposition de carton, les députés du RN n'appellent ni à la grève ni à la mobilisation", critique de son côté la députée LFI Danielle Simonnet. Pour l'élue parisienne, "le RN n'est clairement pas le grand gagnant de la séquence retraites".

Que se passerait-il en cas de dissolution prochaine de l'Assemblée ? "Ils n'ont rien obtenu sur les retraites, mais une dissolution bénéficierait au RN", avance le député Benoît Bordat. Une position partagée par un grand nombre de ses collègues macronistes qui, depuis plusieurs semaines, se font peur sur le sujet. Rien n'est moins sûr, nuance pourtant Sylvain Crépon. "Ils profitent de la situation car ils ne sortent pas du bois. Mais une dissolution entraîne une campagne électorale et il peut se passer beaucoup de choses, explique le chercheur. Quatre-vingt-neuf députés RN [88 à présent], c'était inespéré, y compris pour les responsables du RN eux-mêmes..."

Une analyse que reprend à son compte Mathieu Gallard, directeur de recherches à l'institut Ipsos. "Les équilibres ne bougeraient pas beaucoup par rapport à juin dernier, car les camps politiques et leur électorat sont assez stables. On parle énormément d'une dynamique du RN en ce moment, mais il faut rester prudent."

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