Réforme des retraites : la pénibilité peut-elle être la variable d'ajustement d'une possible sortie de crise ?
En restant flou sur ce sujet cher à la CFDT, le gouvernement se laisse une marge de négociation. Problème : il s'est mis à dos les syndicats réformistes avec l'instauration d'un âge pivot à 64 ans.
"Ferme sur le principe" d'un système de retraite universel, mais "pas fermé". Le Premier ministre a laissé la porte ouverte, mercredi 11 décembre, à des discussions. "J'ai indiqué à l'ensemble des organisations sociales et syndicales qu'il y avait toute une série de points sur lesquels nous pouvions améliorer la réforme", a déclaré Edouard Philippe sur TF1, évoquant notamment la prise en compte de la pénibilité. Au pied du mur, le Premier ministre même a assuré jeudi qu'il allait appeler les partenaires sociaux pour "reprendre le dialogue".
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Mais quelles sont vraiment les marges de manœuvre pour des négociations sur ce sujet ? Dans le projet présenté mercredi, le gouvernement reste plutôt flou sur le détail de ses propositions en matière de pénibilité. Une impasse, sans doute volontaire, qui permettra à l'exécutif, le moment voulu, de lâcher du lest aux syndicats.
Comment la pénibilité est-elle prise en compte actuellement ?
Les salariés du régime général qui sont exposés à des facteurs de pénibilité peuvent bénéficier d'un "compte professionnel de prévention" (C2P) sur lequel ils peuvent cumuler des points. Ces points peuvent être utilisés pour une formation, financer un temps partiel sans perte de salaire, ou bien pour partir plus tôt à la retraite.
La mise en place de ce système (alors appelé "compte personnel de prévention de la pénibilité") remonte au quinquennat de François Hollande. La gauche avait défini dix critères de pénibilité. Mais face aux protestations du patronat, qui trouvait l'évaluation de certains de ces critères trop complexe, le gouvernement d'Edouard Philippe a modifié le système dès son arrivée en 2017. D'abord en le rebaptisant, gommant au passage, symboliquement, le mot "pénibilité". Et surtout en supprimant quatre des dix critères.
Les manutentions manuelles de charges, les postures pénibles, les vibrations mécaniques et les agents chimiques dangereux ne sont donc plus des facteurs de risques permettant de cumuler des points de pénibilité. Les six critères pris en compte à ce jour sont les suivants : le travail de nuit, le travail en équipes successives alternantes (3x8 par exemple), le travail répétitif, les activités en milieu hyperbare, les températures extrêmes et le bruit.
Pour avoir droit à des points de pénibilité, le salarié doit être soumis à au moins un de ces facteurs, selon une intensité et une durée minimales. Par exemple, le travail de nuit est défini comme au moins une heure de travail entre minuit et 5 heures, et n'ouvre des droits pénibilité qu'à partir de 120 nuits par an.
Chaque année, le salarié reçoit 4 à 16 points sur son compte en fonction de sa situation, selon qu'il est soumis à un ou plusieurs facteurs de risque, et de son année de naissance. Avec une limite importante : un salarié ne peut pas cumuler plus de 100 points sur son compte sur l'ensemble de sa carrière.
Que prévoit le projet du gouvernement ?
Le gouvernement dit avoir pour ambition de "mieux prendre en compte" la pénibilité et de l'élargir "à tous les régimes". Le projet présenté mercredi prévoit donc d'ouvrir le C2P aux fonctionnaires et aux régimes spéciaux, qui en sont actuellement exclus. L'exécutif estime que 250 000 personnes supplémentaires pourraient ainsi en bénéficier, portant le total à 1,8 million de salariés concernés.
Afin d'assouplir les conditions d'accès à ce dispositif, les seuils concernant le travail de nuit seront en outre abaissés, promet le gouvernement, sans préciser dans quelles proportions. Ce geste pourrait en particulier bénéficier aux infirmières et aides-soignantes, qui seraient entre 20 et 30% à pouvoir cumuler des points.
Enfin, la limite des 100 points maximum sera supprimée, ce qui permettra aux salariés ayant travaillé pendant toute leur carrière, avec une exposition à un ou plusieurs critères, d'augmenter significativement leurs droits pénibilité. Selon les calculs du gouvernement, "les personnes exposées à un critère de pénibilité pourront bénéficier en fin de carrière de plus de trois années à mi-temps payées temps plein".
Quelles sont les concessions possibles ?
Pour les syndicats réformistes, favorables au principe d'un système de retraites par points, le projet du gouvernement ne va pas assez loin sur la pénibilité. "Concernant les mesures sociales, il y a beaucoup d'insuffisance sur la pénibilité", a ainsi déploré le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger, après l'annonce des mesures. Même son de cloche du côté de l'Unsa, syndicat très représenté dans la fonction publique : "Il n'y a pas assez de dispositifs sur la pénibilité, pas encore de garantie sur la dangerosité, pas de signes très engageants sur les secteurs de la fonction publique sensibles, notamment hospitalière et territoriale", réagit son secrétaire général, Laurent Escure, interrogé par Le Parisien.
Pendant la période de concertation, la CFDT avait notamment réclamé la réintroduction des quatre critères de pénibilité supprimés en 2017. En vain. Si le gouvernement décidait de les rétablir, cela constituerait un geste auquel le syndicat modéré ne serait pas insensible. Mais cette concession ne saurait suffire, car la CFDT, comme l'Unsa et la CFTC, jugent inacceptable l'instauration d'un âge pivot à 64 ans avec un système de bonus-malus.
S'il "revient sur la pénibilité et l'imposition forcée de l'âge d'équilibre comme mode de gestion de l'assurance chômage, pour nous, les choses rentrent dans l'ordre. Mais c'est au gouvernement de dire la suite", a expliqué sur franceinfo Frédéric Sève, secrétaire national en charge des retraites à la CFDT.
Ouvert à la discussion concernant la pénibilité, le gouvernement acceptera-t-il de faire l'impasse sur l'âge pivot ? Après les déclarations très fermes d'Edouard Philippe mercredi, le ton des responsables de la majorité s'est adouci ces dernières heures. "Nous proposons l'âge pivot à 64 ans, avec un système de bonus et de malus (...). Il peut y avoir de meilleures solutions, c'est [aux syndicats] de les apporter", a par exemple déclaré Bruno Le Maire sur France 2.
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• Décryptage. La pénibilité peut-elle être la variable d'ajustement d'une possible sortie de crise ?
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