RSA, permis à points, salaires des enseignants… En pleine contestation sociale post-réforme des retraites, le gouvernement multiplie les prises de parole
"Apaiser" et "agir". Le président Emmanuel Macron s'est donné, mi-avril, "100 jours" pour se réconcilier avec les Français, après la promulgation de sa contestée réforme des retraites. Depuis, l'exécutif multiplie les annonces : concessions sur les petits excès de vitesse, prolongation du bouclier tarifaire sur l'électricité, tour de vis sur l'immigration...
"La stratégie est la même que pendant les 'gilets jaunes' : un saupoudrage budgétaire qui consiste à repackager des aides déjà existantes pour faire des effets d'annonce", analyse Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po et président de MCBG Conseil. Ce plan de bataille, qui vise à séduire différentes catégories de l'électorat, permet en outre au chef de l'Etat d'occuper l'espace médiatique auparavant rempli par les opposants à la réforme des retraites, relève la politologue Virginie Martin, professeure-chercheuse à Kedge Business School : "Emmanuel Macron a promis de continuer malgré la contestation. Et c'est ce qu'il fait : en annonçant une mesure par jour, il crée une communication permanente, et donc du bruit pour enjamber la séquence." Voici un tour d'horizon, non exhaustif, des dernières prises de parole.
La fin des retraits de points pour les "petits excès de vitesse"
La mesure. Les petits excès de vitesse, inférieurs à 5 km/h, ne seront plus sanctionnés par un retrait de points sur le permis à compter du 1er janvier 2024, a annoncé le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, le 19 avril. Mais "il ne s'agira pas de dépénaliser ces infractions, qui demeureront sanctionnées par une amende", a-t-il rappelé.
Le décryptage. Dès mai 2022, le ministère de l'Intérieur avait annoncé réfléchir à ne plus retirer de points "si vous êtes à 5 km/h au-dessus" de la vitesse autorisée. Il s'agissait alors d'une "réflexion", sans calendrier d'expérimentation. Le vice-président de la Ligue contre la violence routière, Pierre Lagache, a dénoncé auprès de l'AFP "une décision politique qui vise à soigner l'image du gouvernement et dont le prix humain sera cher".
Un meilleur suivi pour les patients atteints de maladie chronique
La mesure. Lors de son allocution du 17 avril, Emmanuel Macron a souhaité des "résultats concrets à court terme" en matière de santé. Il s'est notamment engagé à ce que les 600 000 patients atteints de maladies chroniques qui ne sont pas suivis par un médecin traitant puissent l'être d'ici à la fin de l'année.
Le décryptage. Cette annonce n'est pas nouvelle. Le ministre de la Santé, François Braun, s'était déjà engagé, en janvier, à ce que l'Assurance-maladie contacte ces patients "d'ici juin". A l'occasion de ses vœux aux acteurs de la santé, en janvier également, le chef de l'Etat avait déjà annoncé le recrutement de 6 000 nouveaux assistants médicaux, une mesure de nouveau évoquée mercredi par Elisabeth Borne. Pourquoi répéter ces annonces ? "Le gouvernement appuie sur la pompe à finances pour les catégories contestataires, comme les enseignants et les personnels de santé, relève Philippe Moreau-Chevrolet. L'objectif est de désamorcer les crises" pour ne pas nourrir la colère déjà existante sur le dossier des retraites.
Des mesures sur les conditions de travail et la rémunération
La mesure. Lors de son allocution du 17 avril, Emmanuel Macron a annoncé vouloir "bâtir un nouveau pacte de la vie au travail" qui sera "construit dans les semaines et les mois qui viennent par le dialogue social" entre organisations syndicales et patronales. Ces discussions doivent porter sur les dispositions de la réforme des retraites invalidées par le Conseil constitutionnel, mais aussi sur d'autres aspects, allant du CET universel à l'assurance-chômage. Un texte spécifique sur le partage de la valeur en entreprise sera aussi présenté sous trois mois.
Le décryptage. La réflexion sur les sujets liés au monde du travail était déjà engagée avant la réforme des retraites, l'exécutif ayant notamment réformé l'assurance-chômage fin 2022. Le ministre du Travail, Olivier Dussopt, a d'ailleurs réceptionné fin avril les conclusions des assises du travail pour nourrir la réflexion du gouvernement sur ces sujets. Et l'exécutif a déjà invité à plusieurs reprises, ces derniers mois, les branches professionnelles à réévaluer leurs grilles de salaires. La censure du Conseil constitutionnel de certaines mesures de la réforme des retraites, et la nécessité de renouer le dialogue avec les syndicats, ont néanmoins remanié le contenu et le calendrier de cette réflexion.
Une réforme du revenu de solidarité active (RSA)
La mesure. Les contours de France Travail, qui doit succéder à Pôle emploi, ont été présentés mercredi 19 avril par le Haut-commissaire à l'Emploi, Thibaut Guilluy. En contrepartie d'un parcours simplifié pour les allocataires du RSA, ces derniers devront consacrer 15 à 20 heures hebdomadaires à leur insertion, sous la forme d'une activité. Il pourra s'agir "d'immersions en entreprise, de remises à niveau, de formations", a expliqué Thibaut Guilluy. En cas de non-respect de ces engagements, il propose notamment de suspendre l'allocation, puis de la verser sans perte si le parcours est repris.
Le dispositif a commencé à être expérimenté dans 18 départements, pour un an. Ces mesures seront intégrées au projet de loi "plein emploi" qui sera présenté en Conseil des ministres en juin, a assuré Elisabeth Borne, mercredi.
Le décryptage. Les grandes lignes de ce rapport étaient déjà connues depuis plusieurs mois et correspondent à une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. "Le RSA, ça vient du RMI. On l'a oublié, mais c'est le 'i' de l'insertion. Il y a l'idée qu'il fallait travailler pour s'insérer (...). On ne peut pas dire : 'On verse le RSA, mais on ne l'accompagne pas'", avait notamment expliqué, en mars 2022 sur M6, le président-candidat. "Transformer un allocataire en main-d'œuvre sans droits est une régression sociale", a de son côté réagi sur franceinfo Martin Hirsch, initiateur de ce mécanisme.
Des hausses de rémunération pour les enseignants
La mesure. Emmanuel Macron a annoncé, jeudi 20 avril, des augmentations de rémunération pour les enseignants au 1er septembre. Ils percevront désormais une somme "au-dessus de 2 000 euros", peu importe leur ancienneté, grâce à une enveloppe de "trois milliards d'euros", a-t-il promis. Cette hausse sera "sans condition aucune, entre 100 et 230 euros par mois" net.
Une autre partie des augmentations annoncées, un peu plus d'un milliard d'euros en année pleine, sera liée à de nouvelles missions et basée sur le volontariat. Il pourra s'agir de remplacements de courte durée d'enseignants absents, de la participation au dispositif "devoirs faits" ou encore de la participation à des projets pédagogiques. Au total, l'ajout de ces deux types d'augmentations "permettra à des enseignants de toucher jusqu'à 500 euros par mois en plus", a assuré Emmanuel Macron.
Le décryptage. La hausse annoncée des rémunérations n'est pas une surprise. Des négociations sur le "pacte" proposé aux enseignants avaient déjà eu lieu, à l'automne 2022 puis en début d'année. Elles s'étaient arrêtées en mars, lorsque les syndicats avaient quitté les négociations, en dénonçant "un alourdissement de la charge de travail des personnels". Ces hausses correspondent par ailleurs, là encore, à une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Les syndicats estiment néanmoins que le compte n'y est pas.
Une rallonge pour le bouclier tarifaire sur l'électricité
La mesure. Le gouvernement a décidé de prolonger jusqu'à début 2025 le bouclier tarifaire mis en place en octobre 2021 pour limiter les hausses de factures des particuliers, alors qu'il était seulement prévu jusque fin 2023. En cause : des tarifs qui restent "très élevés" par rapport à la situation d'avant-crise, a expliqué vendredi 21 avril le ministre de l'Economie Bruno Le Maire, sur LCI. En revanche, cette prolongation, dont le coût n'a pas été annoncé, ne concerne ni les professionnels, ni le bouclier sur les prix du gaz.
Le décryptage. Il s'agit d'une des véritables annonces de ces derniers jours, même si ce n'est pas la première fois que l'exécutif prolonge ce dispositif. "Le Conseil constitutionnel a enlevé le côté 'doux' de la réforme des retraites", note la politologue Viriginie Martin, les mesures sur la pénibilité et l'emploi des seniors ayant été censurées. Avec ce type de mesures, qui touche un nombre important de Français, "le gouvernement cherche à remettre du 'sucré' dans la vie de chacun". Quitte à affaiblir son argumentaire sur la nécessité de la réforme, selon elle. "Le gouvernement a expliqué depuis des mois qu'il fallait absolument économiser de l'argent pour financer notre système de retraite. Et, immédiatement après la promulgation de la loi, les ministres sont envoyés dépenser cet argent."
Des mesures pour encadrer l'immigration
La mesure. Le projet de loi sur l'immigration voulu par Emmanuel Macron ne sera finalement pas présenté dans l'immédiat, a annoncé mercredi 26 avril Elisabeth Borne, repoussant à l'automne un hypothétique texte aux contours vagues. "Aujourd'hui, il n'existe pas de majorité pour voter un tel texte", a justifié la Première ministre. Elle a en revanche annoncé mobiliser, "dès la semaine prochaine, 150 policiers et gendarmes supplémentaires dans les Alpes-Maritimes" à la frontière italienne. Matignon souhaite aussi expérimenter d'ici à l'été l'utilisation d'une "force aux frontières" dans la même zone.
Le décryptage. Serpent de mer du quinquennat Macron, le projet de loi immigration, censé donner des gages à la droite, se heurte à la stratégie des LR de se distancier de l'exécutif. Néanmoins, le report de ce texte n'empêche pas "le gouvernement de parler clairement aux électeurs de droite ces derniers jours", note Philippe Moreau-Chevrolet. Outre l'annonce d'Elisabeth Borne sur la nouvelle "force aux frontières", ce dernier pointe les déclarations du ministre de l'Economie Bruno Le Maire sur la fraude fiscale dont se rendraient coupables des Français d'origine maghrébine.
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