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Sept questions sur la Légion d'honneur attribuée à Jean-François Cirelli, le patron de BlackRock France

Le patron de la filiale française du fonds d'investissement américain a été promu au rang d'officier de la Légion d'honneur, sur proposition d'Edouard Philippe.

Article rédigé par franceinfo
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Jean-Francois Cirelli, le 23 avril 2014 lors d'une conférence de presse à Paris, lorsqu'il était vice-président de GDF-Suez. (FRANCOIS GUILLOT / AFP)

Une Légion d'honneur épinglée, et pas seulement sur le veston. La promotion au rang d'officier de la Légion d'honneur de Jean-François Cirelli, mercredi 1er janvier, reste en travers de la gorge des opposants à la réforme des retraites. L'homme de 61 ans est actuellement à la tête de la branche française de BlackRock, un puissant gestionnaire d'actifs accusé d'être le cheval de Troie de la retraite par capitalisation. Franceinfo vous résume ce que l'on sait de cette promotion qui a du mal à passer.

>> On vous explique la polémique sur BlackRock, ce fonds d'investissement soupçonné de vouloir imposer la retraite par capitalisation en France

Qui est Jean-François Cirelli ? 

Jean-François Cirelli est une figure bien connue du monde de la politique et des affaires. Enarque, l'homme de 61 ans a été conseiller économique de Jacques Chirac à l'Elysée, puis directeur de cabinet de Jean-Pierre Raffarin à Matignon, avant de devenir patron de Gaz de France et numéro 2 du groupe après sa fusion avec Suez, en 2008.

Son nom a trouvé un écho particulier, dans la mobilisation contre le projet gouvernemental de réforme des retraites, qui a démarré début décembre. Jean-François Cirelli est aujourd'hui à la tête de la branche française du groupe BlackRock. Créé en 1988, ce puissant fonds d'investissement américain est actuellement le plus important gestionnaire d'actifs au monde, avec près de 7 000 milliards de dollars de fonds, dont près d'une trentaine confiée par des clients français. 

Pourquoi a-t-il été récompensé ?

Celui qui a déjà été fait "Chevalier du 25 avril 2006" est présenté dans le décret du Journal officiel publié le 31 décembre 2019 comme "président d'une société de gestion d'actifs" et "ancien vice-président et directeur général délégué d'un groupe industriel énergétique". Pourtant, ni le nom de BlackRock (pour la "société de gestion d'actifs"), ni celui de GDF-Suez (pour le "groupe industriel énergétique") ne sont mentionnés. "Rien d'étonnant, explique la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur, que franceinfo a joint. Il est tout à fait normal qu'aucune entreprise ne soit citée, ce n'est pas une omission."

Seules les qualités sont précisées, pas les entreprises ou les établissements par lesquels sont passés les personnes promues.

la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur

à franceinfo

Qui a proposé son nom ? 

C'est le Premier ministre qui a proposé de promouvoir Jean-François Cirelli au rang d'officier de la Légion d'honneur. Dans la liste du contingent d'Edouard Philippe, on trouve aussi l'artiste Gilbert Montagné et l'astrophysicienne Thérèse Encrenaz. "Pour la promotion du Nouvel An, les ministres ont envoyé leurs propositions de noms dans le dernier trimestre 2019, continue la Grande Chancellerie de la Légion d'honneur. Elles sont accompagnées d'une biographie professionnelle détaillée. En fonction des parcours, on peut trouver des listes de publications, des avis de ministères, l'extrait de casier judiciaire…" 

Une fois l'ensemble des éléments reçus, le Conseil de l'ordre de la Légion d'honneur se réunit pour étudier chacun des noms. Composé de seize personnes, ce Conseil écarte en moyenne "entre 15 et 20% des noms", essentiellement pour "mérite insuffisant". La liste retenue est alors envoyée à l'Elysée qui dispose de la dernière main. Le président de la République, en tant que grand maître de l'ordre national de la Légion d'honneur, peut retirer des noms, "mais pas en ajouter".

Pourquoi fait-il polémique ?

Les opposants à la réforme des retraites accusent BlackRock de faire valoir auprès de l'exécutif le régime de retraite par capitalisation, sur le modèle des fonds de pension américains, au détriment du système français actuel par répartition. Dit autrement, le groupe se montrerait extrêmement intéressé pour mettre la main, par l'intermédiaire de ses clients (assureurs, banques…), sur une partie de l'épargne des Français, afin de l'orienter vers l'épargne-retraite. Ce dont il s'est défendu récemment, dans un communiqué publié par sa filiale française.

Le quotidien L'Humanité avait de son côté publié le 11 décembre un document interne d'une quinzaine de pages, attribué à BlackRock, détaillant l'intérêt de développer l'épargne-retraite par capitalisation en France, en s'appuyant notamment sur la loi Pacte, votée au printemps, même si le système de retraite par répartition "restera au cœur de l'épargne retraite française".

Comment réagissent les opposants à la réforme ? 

Les syndicats sont vent debout. A commencer par la CGT, qui dénonce "un symbole jupitérien". "L'ombre prédatrice de BlackRock plane sur nos retraites. Winter is coming", peut-on lire dans un tweet, qui fait référence à la série Game of Thrones.

A gauche comme à droite, l'opposition a elle aussi bien failli s'étouffer en prenant connaissance de cette promotion. "C'est tout sauf anecdotique, BlackRock, c'est tout simplement le côté obscur de la réforme des retraites, (...) c'est le choix d'un camp, celui des fonds de capitalisation", a dénoncé Olivier Faure, premier secrétaire du PS, sur France 2.

"C'est une provocation incroyable", a réagi Ian Brossat sur franceinfo. "Cela fait des semaines que l'on soupçonne le gouvernement de mettre en place cette réforme sur inspiration de ces fonds de pension, qui veulent faire main basse sur les retraites des Français. Désormais, il ne s'en cache même plus", a déclaré le porte-parole du PCF et maire adjoint de Paris. "Dans la République des privilèges, on élève au grade suprême les destructeurs des conquêtes sociales. Démocratie malade, Ve République à bout de souffle", écrit de son côté Mathilde Panot, députée "insoumise" du Val-de-Marne. "La totale !", fulmine de son côté Olivier Besancenot (Nouveau parti anticapitaliste).

A droite, Nicolas Dupont-Aignan y voit une "arrogance sans limite". "Ce pouvoir est corrompu", accuse le président de Debout la France.

Comment réagit Jean-François Cirelli ?

Jean-François Cirelli, qui s'est exprimé auprès de l'AFP, dit regretter d'être "pris à partie dans une polémique infondée, manifestement animée par des objectifs politiques". "BlackRock n'est pas un fonds de pension, il ne distribue aucun produit d'épargne retraite et nous n'avons pas l'intention de le faire", a rappelé celui qui dirige les activités de BlackRock depuis 2016.

L'exécutif s'est-il expliqué ?  

Contacté par franceinfo, l'Elysée qualifie la polémique de "ridicule" et met en garde contre "l'emballement de la machine complotiste". Le cheminement d'un dossier de Légion d'honneur est "long et fastidieux", explique un conseiller de l'Elysée. "La concomitance [entre la présence du patron de BlackRock sur la liste publiée le 1er janvier et le conflit social en cours] n'est pas de notre fait", insiste-t-il.

De son côté, Matignon estime également auprès de franceinfo que "c'est une polémique politicienne un peu vaine." "Stigmatiser quelqu'un parce qu'il a des responsabilités dans la finance relève d'une petite musique populiste, poursuivent les services du Premier ministre. Ce qui prévaut, c'est le parcours de M. Cirelli au service de l'Etat depuis 35 ans."

Le fait qu'il travaille aujourd'hui dans une société de gestion d'actifs, qui attire des investisseurs internationaux en France, n'entrave en rien la qualité de son engagement.

Matignon

à franceinfo

Un peu plus tôt, Bercy avait aussi justifié cette promotion. Interrogée par BFMTV, la secrétaire d'Etat à l'Economie a dit voir en Jean-François Cirelli un "monsieur (...) qui parle en termes positifs de la France comme d'un endroit où on peut investir, où on peut créer des activités, (...) il rend service à notre pays". Agnès Pannier-Runacher assure que BlackRock, n'a "pas grand-chose à gagner" dans cette réforme des retraites, car "c'est une boîte de Smarties, le marché français", "ça ne représente rien par rapport à leur gestion d'actifs".

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