: Témoignages "Pour les entreprises, vous êtes morts à 55 ans" : la laborieuse recherche d'emploi des seniors
"Il ne faut absolument pas perdre son emploi à partir de 50 ans." C'est l'amer constat de Serge, après cinq ans passés à rechercher du travail. Comme lui, de nombreux seniors peinent à trouver un emploi. En France, 56% des 55-64 ans avaient un poste en 2021, contre 60,5% en moyenne dans l'Union européenne, selon les données d'Eurostat. Le taux d'emploi tombe même à 35,5 % pour les 60-64 ans, d'après les chiffres, portant sur 2021, publiés en janvier par le ministère du Travail.
Alors que la réforme des retraites prévoit le report de l'âge légal de départ à 64 ans, la question de l'emploi des seniors est au cœur des débats. Franceinfo a recueilli le témoignage de six d'entre eux, autrefois carreleur, cadre dans l’aéronautique, ou encore restauratrice. Au chômage, ils nous racontent leur recherche d'emploi.
Serge, 57 ans, ex-cadre commercial : "Les recruteurs préfèrent un candidat de 40 ans"
Le scénario se répète encore et encore. La dernière fois, c'était il y a trois mois. Serge a postulé dans une entreprise allemande : l'ancien cadre commercial raconte avoir franchi les étapes de recrutement avec brio. Jusqu'à ce qu'ils ne soient plus que deux en lice. "Mais à la fin, les recruteurs préfèrent embaucher un candidat de 40 ans environ", regrette-t-il. "Ça m'est arrivé une vingtaine de fois déjà. Au début, je me remettais en question, j'essayais m'adapter, mais ça ne change rien."
Directeur au sein d'une entreprise de produits électroniques jusqu'à ses 53 ans, Serge dit avoir été poussé vers la sortie au moment du rachat de sa société en 2018. "J'ai fini par accepter la rupture conventionnelle, on se dit : 'C'est les autres qui ne retrouvent pas de travail.' En réalité, il ne faut absolument pas perdre son emploi à partir de 50 ans." Depuis, impossible pour lui de retrouver un poste adapté à ses compétences.
Alors le quinquagénaire a dû se tourner vers une autre profession : chauffeur de bus à temps partiel. Il gagne désormais entre 700 et 900 euros, contre 5 000 auparavant. Après des mois au chômage, Serge s'est aussi séparé de sa compagne. Dans cette histoire, c'est surtout l'impression de "gâchis" qui domine pour lui. "Je pourrais apporter des compétences, une expérience qu'un plus jeune n'aurait pas. Je considère que tout le monde a le droit de travailler."
Sandrine, 55 ans, ex-femme de ménage : "C'est direct 'candidature non retenue'"
Sandrine a eu plusieurs vies. Pendant dix ans, elle s'est occupée de ranger les marchandises dans différents supermarchés, au rayon fruits et légumes, poissons, et charcuterie. Après la grande distribution, elle a été embauchée en intérim à l'usine, avant de faire des ménages chez les personnes âgées. Jusqu'à ce qu'une sciatique l'empêche de travailler. "A l'époque, on ne nous disait pas comment porter les charges. Le médecin m'a demandé quel métier j'avais fait, puis il m'a dit : 'Ne cherchez pas, votre dos a craqué !'".
Depuis, Sandrine essaie de se reconvertir dans les métiers de l'accueil, pour "pouvoir travailler en position assise". Mais pour l'instant, cette perspective semble bien loin. "On a beau envoyer des CV, on ne trouve même pas un mi-temps." Selon elle, son âge est un vrai frein pour retrouver un emploi : "Je tente, mais on sait très bien qu'ils préfèrent les jeunes."
"A 50 ans, on me convoquait encore en entretien, mais maintenant, c'est direct 'candidature non retenue'. Le plus souvent, ils ne répondent pas du tout, même s'ils cherchent de la main d'œuvre." Sandrine dit avoir envoyé plus de 50 CV au mois de janvier. Elle essaie dorénavant de ne pas noter sa date de naissance, "mais les employeurs font vite le calcul, et ne rappellent jamais".
Thierry, 58 ans, ex-carreleur : "On en arrive à devoir mentir"
Pour Thierry, le travail a commencé tôt, dès 16 ans, comme apprenti carreleur. Après une carrière passée sur les genoux, à faire un travail difficile, son épaule gauche a lâché. "En tant que carreleur, on a souvent les bras en extension", explique-t-il. Quelques mois plus tard, c'est l'autre épaule qu'il a fallu opérer. "Après ça, j'ai encore continué pendant trois ans, puis le genou a pété, raconte l'ouvrier. Ma société n'a pas pu me reconvertir au sein de l'entreprise, donc j'ai été licencié pour inaptitude en octobre 2022."
Depuis six mois, Thierry cherche du travail, mais, souligne-t-il, les options sont désormais limitées. "Je ne peux plus porter de charges lourdes ou avoir les bras au-dessus des épaules." Malgré ses incapacités, il assure que Pôle emploi lui a proposé des offres d'auxiliaire de vie. "Mais c'est un job où il faut porter des personnes âgées, c'est impossible pour moi, et le salaire est bien moins élevé que les 2 500 euros que je touchais avant."
Il a fini par perdre confiance dans l'organisme, et cherche maintenant de son côté. L'ex-carreleur a récemment postulé pour un stage pour devenir ambulancier. "Je n'ai pas mentionné mes trois maladies professionnelles, on en arrive à devoir mentir…" Thierry se montre désarçonné par le projet de réforme des retraites. "Il y a 20 ans, c'était 58 ans, là, ça serait 63, comment je fais ? Deux ans au chômage et deux ans au RSA ?"
Isabelle, 55 ans, ex-salariée dans le marketing : "Dans six mois, je n'ai plus rien"
Isabelle a toujours travaillé dans le marketing, mais s'est sentie un peu dépassée ces dernières années. Le secteur s'est largement tourné vers le numérique et embauche beaucoup de jeunes en alternance. Alors, quand la quinquagénaire a perdu son emploi au moment de la crise du Covid-19, elle a su qu'il serait difficile de retrouver du travail. "Même mon conseiller Pôle emploi sait bien que ça va être compliqué pour moi", lâche-t-elle
Malgré tout, Isabelle a répondu aux offres d'emplois, envoyé une multitude de candidatures spontanées, et s'est souvent déplacée pour déposer son CV en main propre. "J'ai changé quatre fois de boulot dans ma carrière, je n'ai jamais eu de mal à retrouver du travail, se souvient-elle. Mais aujourd'hui, j'ai beau postuler, ça ne passe pas".
Son conseiller lui a proposé une reconversion dans des métiers en tension. "C'était soit infirmière, soit chauffeuse routière, mais je ne m'en sens pas capable, et puis à 55 ans, c'est compliqué de faire une formation trop longue." A mesure que le temps passe, l'angoisse monte pour la Vendéenne. "Dans six mois, je n'ai plus rien, je vais certainement finir en usine, ou alors au RSA, dans ce cas je devrai vendre ma maison."
Monika, 60 ans, ex-restauratrice : "J'ai enlevé ma photo et ma date de naissance de mon CV"
Serveuse, commise de cuisine, vendeuse ou livreuse… Monika postule à tour de bras dans des secteurs qui recrutent. L'Ariégeoise a un diplôme dans la vente, et beaucoup d'expérience en restauration. Elle a tenu un bar pendant plusieurs années, travaillant souvent 12 heures par jour, avant de devoir vendre pour s'occuper de son mari, handicapé.
Elle souhaite retrouver un emploi moins prenant. Cependant, même dans ces secteurs en pénurie de main d'œuvre, c'est un chemin de croix. "J'ai tout essayé, j'ai fait des centaines de candidatures et en quatre ans, je n'ai eu que cinq ou six entretiens qui n'ont rien donné." A court d'idées, sa conseillère Pôle emploi lui a proposé un recrutement en insertion, dans une cantine centrale. Mais, là encore, elle a été refusée.
Monika en est persuadée : elle est victime de discrimination à l'embauche. "On le sent tout de suite, les recruteurs abordent le sujet, ils demandent : 'Vous êtes capable de travailler encore quatre ou cinq ans ?' 'Et les maladies alors ? Vous avez bientôt 61 ans...' Une fois une dame m'a dit directement qu'avec mon âge, ça allait être compliqué." Alors, elle tente de cacher ses années. "J'ai enlevé ma photo et ma date de naissance, mais en voyant mes expériences, les employeurs comprennent. Je ne me vois pas leur mentir."
Mohamed, 56 ans, ex-cadre dans l'aéronautique : "Je coûte trop cher"
Mohamed compare sa recherche d'emploi à "un mur". Depuis deux ans, il se connecte tous les jours à Pôle emploi, postule, relance, par mail ou par téléphone. "Une fois qu'ils connaissent votre âge, le ton change", regrette-t-il. Pendant 35 ans, ce cadre dans l'aéronautique a travaillé dans la même entreprise... jusqu'à ce que son usine prenne feu. Il est alors licencié pour motif économique. "Si j'avais eu 15 ans de moins, ça n'aurait pas posé de problème, mais à 56 ans, j'ai trop d'expérience, je coûte trop cher à l'employeur."
A force d'essuyer des refus, l'ancien responsable production a fini par candidater à des postes de chef d'équipe, un niveau "en dessous dans la hiérarchie" par rapport à son expérience. Rien n'y a fait. "Un recruteur m'a dit qu'il avait peur que ça se passe mal avec le manageur qui était plus jeune que moi."
Mohamed a tenté de se reconvertir. Après un bilan de compétences, il s'est payé une formation reconnue grâce à son CPF (compte personnel de formation). Mais "ça n'a rien changé." Dans une telle situation, l'ancien cadre voit d'un très mauvais œil la réforme des retraites du gouvernement. "On va vous demander de partir à 64 ans, mais pour les entreprises, vous êtes morts à 55 ans. Avec cette réforme, on va créer des pauvres, tout simplement."
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