Les restrictions pour faire face au surtourisme dans les espaces naturels en France portent-elles leurs fruits ?
Le soleil et les montagnes se réfléchissent dans l'eau translucide du lac d'Allos. Ce havre de paix se niche au cœur du parc du Mercantour, à cheval entre les Alpes-Maritimes et les Alpes-de-Haute-Provence. Mais voilà que la quiétude est brisée par la musique électro qui s'échappe d'une enceinte portative. Sur le bord du bassin naturel sont installées 80 tentes : celles de vacanciers venus fêter les beaux jours de l'été au rythme de soirées arrosées. Cette scène a eu lieu pour la première fois en 2020. "Au moment du Covid-19, on a connu une explosion de la fréquentation, avec beaucoup de gens qui ont eu un besoin de nature", souligne Emmanuel Gastaud, chargé de mission au parc du Mercantour.
En France, 80% de l’activité touristique se concentre sur 20% du territoire, d'après le ministère de Transition écologique. Et en 2020, avec l'enchaînement des confinements et les restrictions de déplacement à l'étranger, les espaces naturels ont été particulièrement prisés. Selon l'Office français de la biodiversité (OFB), leur fréquentation a augmenté de 20 à 30% par rapport à 2019.
Ce phénomène, aussi connu sous le nom de "surtourisme", dérange les animaux et agresse la flore. Les déchets éparpillés dans la nature "peuvent devenir des pièges pour la faune" et les bruits des visiteurs "effraient les animaux sur leur lieu de vie, perturbent parfois leur reproduction ou leur repos vital", cite en exemple l'OFB. Concernant la végétation, "le passage répété par un grand nombre de pratiquants entraîne le piétinement, puis l’érosion du sol", poursuit l'organisme.
Des avancées timides au lac d'Allos
Cette surfréquentation s'observe l'été et souvent autour du 15 août. Le lac d'Allos a par exemple enregistré un pic de 1 800 personnes le 9 août 2021, dépassant largement le seuil maximal de fréquentation fixé à 750 visiteurs journaliers. Depuis, le parc national a instauré un système de réservation pour les places de stationnement les plus proches du bassin. "Avant, les gens se garaient sur le bord de la route. Maintenant, on ferme la barrière quand le parking est plein", explique Emmanuel Gastaud.
"Cela a permis de diminuer la fréquentation en 2023, mais on a quand même eu des pics à 1 300 personnes."
Emmanuel Gastaud, chargé de mission au parc du Mercantourà franceinfo
Des avancées timides donc, car il faut parfois du temps avant d'avoir de vrais résultats, selon Soline Archambault, directrice du réseau Grands sites de France (RGSF), un label attribué aux espaces qui préservent le paysage. A Saint-Guilhem-le-Désert, village de l'Hérault inscrit au patrimoine mondial de l'Unesco, "on pouvait se retrouver en 2002 avec 80 jours de pics, avec jusqu’à 8 000 visiteurs", rappelle-t-elle. De quoi provoquer la colère des quelque 250 habitants à l'année. Les autorités ont, là encore, réduit le nombre de places de parking et reculé le stationnement de l'entrée du village. Vingt ans plus tard, le nombre de jours de surfréquentation a été divisé par quatre, "avec 3 500 personnes maximum", assure Soline Archambault, précisant que ces chiffres n'ont pas bougé en 2023.
Objectif : préserver "les zones de quiétude"
Il y a les touristes qui défilent sur une journée, et ceux qui prennent racine. Au lac du Salagou, toujours dans l'Hérault, "il y avait un gros problème de stationnement de camping-cars le long des berges, ce qui était interdit", raconte Soline Archambault. Les autorités ont commencé en 2011 par dresser des "faux PV" sur les pare-brise, qui se révélaient être des flyers de sensibilisation (document PDF), avant de passer aux vraies amendes l'année suivante. Résultat : "On est passé d’une moyenne de 110 stationnements non autorisés en 2009, à 27 en 2022", détaille la directrice du RGSF.
"La pollution engendrée par le stationnement nocturne, qui pesait sur la biodiversité, a diminué."
Soline Archambault, directrice du réseau des Grands sites de Franceà franceinfo
Pour préserver les végétaux et les animaux des nuisances, le parc du Mercantour a de son côté délimité des zones de quiétude par des cordes. "Sur des portions de sentiers, on sait qu’il y a une faune qui niche et qui va se reproduire l'été, illustre Emmanuel Gastaud. On propose, à ces endroits-là, d’éviter de parler, de crier. Ce n'est pas réglementaire, mais on se rend compte que les visiteurs respectent ces recommandations".
Sur les dunes du Porge, en Gironde, agir contre la surfréquentation a eu un impact positif sur la nature. En 2016, face à un flux toujours plus important de touristes l'été, la municipalité a elle aussi décidé de limiter le stationnement aux abords de la plage, initialement pour des raisons de budget, rapporte La Tribune Bordeaux. "Avec moins de piétinements et de perturbations, la flore s'est redéveloppée. Elle limite l'érosion de la dune par le vent, qui peut entraîner sa déstabilisation, néfaste pour la biodiversité", assure à franceinfo David Rosebery, responsable technique du littoral à l'Office national des forêts.
Dans la calanque de Sugiton, la nature reprend doucement ses droits
Les calanques de Marseille, dans les Bouches-du-Rhône, sont, elles aussi, confrontées au risque d'érosion, car "fragilisées par le piétinement de milliers de visiteurs quotidiens", rappelle le ministère de la Transition écologique. Depuis 2022, la calanque de Sugiton n'est accessible que sur réservation pendant l'été, à raison de 400 personnes chaque jour. Le parc a installé des barrières le long des chemins pour éviter les bifurcations.
Deux ans plus tard, "dans la zone qui a été protégée contre l’érosion, on commence à voir quelques semis de pins et des chênes kermès", affirmait en mai Alain Vincent, délégué à l’action territoriale au parc national des calanques, auprès de France 2. Le site précise tout de même que "la régénération des milieux naturels a besoin de temps" et qu'"un suivi scientifique a été mis en place pour évaluer précisément les bénéfices de cette mesure dans les prochaines années".
La commune de Crozon, dans le Finistère, est allée jusqu'à interdire l'accès à la plage de l'île Vierge en 2020. La crique de galets a été victime de son succès après avoir été classée parmi les plus belles plages d'Europe en 2014 par European Best Destinations, une organisation basée à Bruxelles. Le quotidien britannique The Guardian a enfoncé le clou en 2016, citant la plage de Morgat, juste à côté, dans son classement mondial. "Une surmédiatisation dont on se serait bien passé...", souffle Sabine Le Pape-Kerdommarec, directrice adjointe de l’office de tourisme de la presqu’île de Crozon.
"Il y a eu un engouement énorme autour de ce classement et un effet boule de neige s'en est suivi avec les réseaux sociaux."
Sabine Le Pape-Kerdommarec, directrice adjointe de l’office de tourisme de Crozonà franceinfo
La surfréquentation "est dangereuse, en raison des risques d'éboulement, et pas souhaitable pour la nature", avance Sabine Le Pape-Kerdommarec. L'amende de 135 euros dissuade-t-elle les touristes ? "Malgré les panneaux et les barrières, des personnes tentent toujours d'accéder à la plage, mais il y a de la verbalisation", affirme-t-elle, sans vouloir préciser le nombre de contraventions. "On ne peut pas tout empêcher, mais la signalétique est très précise. Au fil des étés, ça s'est amélioré", garantit le maire de Crozon, Patrick Berthelot. La biodiversité du site est en tout cas moins agressée, selon la directrice adjointe de l'office de tourisme : "La nature n’est plus piétinée, il n’y a plus de déchets qui traînent."
Etretat toujours submergée par des vagues de touristes
La commune d'Etretat et ses falaises, en Seine-Maritime, attirent toujours plus de visiteurs, notamment depuis la sortie de la série Netflix Lupin, tournée en partie dans le village. "Des associations plaident pour une limitation des visiteurs. Chaque année, plus d'un million de touristes se pressent au sommet des falaises, accentuant le phénomène d'érosion des côtes", pointe le ministère de la Transition écologique. L'enjeu est aussi d’éviter les accidents : en 2022, trois personnes ont chuté de la falaise alors qu'elles prenaient une photo ou un "selfie".
La mairie a supprimé un parking en haut de la falaise, installé des clôtures pour protéger la végétation et dégainé des panneaux de prévention. Insuffisant pour Shaï Mallet, coprésidente de l’association d’habitants Etretat Demain. "La mairie est dépassée. Elle n’arrive pas à mettre en œuvre des trucs simples, comme des bornes escamotables pour réguler l’accès en voiture au centre-ville. Aujourd’hui, il y a des barrières, mais n’importe qui peut les bouger", expliquait-elle au Monde en 2023.
Des habitants poussent pour l'instauration de quotas, mais la mairie s'y refuse. "Les calanques, c'est facile de mettre une jauge. On a un point d'accès. Donc, on se met au point d'accès et on empêche d'entrer. Etretat, ce n’est pas le cas, on peut arriver par plusieurs endroits", déclarait en avril 2023 Florence Thibault-Doréneau, la présidente du syndicat mixte Grand Site Falaises d'Etretat-Côte d'Albâtre, à franceinfo.
"Si c'est pour dire 'on fait une chose, mais on n'est pas capable de la faire respecter', je ne suis pas sûre qu'on sera très gagnant sur le sujet."
Florence Thibault-Doréneau, présidente du syndicat mixte Grand Site Falaises d'Etretat-Côte d'Albâtreà franceinfo
"Le travail n'est pas terminé, confirme Soline Archambault. Il y a des enjeux de temps, de moyens... Reculer des stationnements, ça demande du foncier par exemple. Et puis il faut mettre tout le monde d’accord." Le gouvernement a présenté un plan en juin 2023 pour lutter contre les pics de fréquentation, qui comprend la récolte de données sur les flux et des campagnes pour sensibiliser les touristes. Une mesure saluée par la directrice du RGSF : "En France, on a une culture de l’accès libre à la nature. Passer de l’espace de liberté totale à l'espace de liberté attentionnée, c’est de l’éducation".
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