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"Grand débat" contre "vrai débat" : les cinq différences entre la plateforme du gouvernement et celle des "gilets jaunes"

Un collectif de "gilets jaunes" a créé son propre site de débat, avec les mêmes outils que celui mis en place par le gouvernement mi-janvier. 

Article rédigé par Camille Caldini, Benoît Jourdain
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Les pages d'accueil des deux plateformes de débat : à gauche, celle des "gilets jaunes" et à droite, celle du gouvernement, le 31 janvier 2019. (FRANCEINFO)

"C'est génial, on a une bombe atomique dans les mains, avec le même outil que le gouvernement et nous, on est hyper légitimes", s'enthousiasme Lydie Coulon. Cette "gilet jaune" est l'une des administratrices du "vrai débat", une plateforme concurrente du "grand débat" du gouvernement mise en ligne mercredi 30 janvier. Le site repose sur les mêmes outils que son double gouvernemental, fournis par la société Cap Collectif, mais a vocation, selon Lydie Coulon, à offrir un espace à "l'intelligence collective". Une démarche qu'elle oppose à celle du gouvernement, qu'elle qualifie de "baudruche" dont "l'objectif n'est pas clair, pas défini". Mais quelles sont les vraies différences entre les deux sites ? Franceinfo les a testés et a trouvé cinq différences majeures.

Sur les thèmes proposés

Tous les thèmes doivent-ils être abordés, dans un débat national ? Pour le gouvernement, non. Mais pour les "gilets jaunes", pourquoi pas : la plateforme du "vrai débat" laisse les internautes libres d'aborder tous les sujets qu'ils souhaitent. Dans les deux cas, une "corbeille", garantie de "transparence", est consultable. On y trouve les propositions qui ont été modérées, pas retenues car elles ne respectent pas la charte du site mais accessibles à la lecture.

Le "grand débat". Après avoir tergiversé (sur la question de l'immigration notamment), le gouvernement s'est arrêté sur quatre grands thèmes : "Transition écologique", "Fiscalité et dépenses publiques", "Démocratie et citoyenneté" et "Organisation de l'Etat et des services publics".

  (GRANDDEBAT.FR)

Le "vrai débat". Les "gilets jaunes" ont visé plus large, avec neuf thèmes, "simplement pour s'y retrouver", affirme Lydie Coulon à franceinfo. Le premier, "Expression libre", permet d'aborder tout ce qui n'entrerait pas dans les autres catégories. Voici les huit autres : "Sport, culture", "Education, jeunesse, enseignement supérieur, recherche et innovation", "Economie, finances, travail, comptes publics", "Santé, solidarité", handicap", "Europe, affaires étrangères, outre-mer", "Justice, police, armée", "Transition écologique et solidaire, agriculture et alimentation, transport" et enfin "Démocratie, institutions".

  (LE-VRAI-DEBAT.FR)

Sur la marche à suivre pour exprimer une revendication

"Je vous invite à essayer de poster une revendication (sur le site du grand débat), je n'ai jamais trouvé où faire ça", nous défie Lydie Coulon. Elle assure s'être retrouvée "avec plein de questions qui n'ont pas de lien avec ce que j'ai envie de dire". On a donc tenté de publier un message sur les deux plateformes, pour le vérifier.

Le "grand débat". Pour soumettre une proposition sur le site du gouvernement, il faut s'inscrire, puis, dans un onglet "contributions", choisir le thème qui vous intéresse, où s'affichent aléatoirement toutes les idées déjà publiées. Un clic sur "Déposer une proposition" ouvre une nouvelle fenêtre avec un long questionnaire : 16 questions, dont quelques "oui/non", pour une proposition dans la catégorie "Transition écologique", par exemple. Il n'est toutefois pas indispensable d'y répondre pour valider puis publier une contribution et certaines invitent à préciser sa proposition. Mais la navigation n'est pas très directe et cette liste de questions peut décourager.

  (GRANDDEBAT.FR)

Le "vrai débat". Le processus est plus direct. Il faut également être inscrit pour participer, mais ce n'est pas nécessaire pour lire les contributions des autres. Sur la page d'accueil du site, les neuf thèmes s'affichent immédiatement. Surtout, chacun d'eux, une fois ouvert, est précisément décrit, avec des exemples de sujets qui y sont liés. Et là, pour soumettre une revendication, il suffit d'indiquer un titre, de décrire son idée et d'expliquer "les bénéfices" qu'elle pourrait apporter. 

  (LE-VRAI-DEBAT.FR)

Sur les interactions entre les contributeurs

Et si une contribution postée par une autre personne vous intéresse, que pouvez-vous en faire ? On s'est penché sur ce point. 

Le "grand débat". Sur le site lancé par le gouvernement, il est seulement possible de "partager" la proposition, par e-mail, sur Facebook, Twitter ou LinkedIn. En revanche, impossible de commenter ou d'appuyer la proposition d'un autre participant.

  (GRANDDEBAT.FR)

Le "vrai débat". La plateforme de débat des "gilets jaunes" intègre des fonctions incitant au débat. Les internautes peuvent d'abord voter, sur chaque idée, avec trois choix : "d'accord", "mitigé" ou "pas d'accord". S'affiche alors, à côté de la proposition, un camembert coloré, indiquant à quel point la proposition suscite l'approbation ou non. "Comme ça, on verra ce qui rassemble et ce qui divise", explique Lydie Coulon. Le mot débat prend tout son sens, grâce à la possibilité de répondre à une proposition avec un "argument pour" ou un "argument contre".

  (LE-VRAI-DEBAT.FR)

Sur le calendrier de la consultation

Le gouvernement a lancé sa plateforme le 15 janvier, deux semaines avant celle des "gilets jaunes". "On y travaille depuis décembre, avant que n'émerge l'idée du grand débat", assure Lydie Coulon à franceinfo. Les "gilets jaunes" ont donc établi leur propre calendrier.

Le "grand débat". Les débats, en ligne et dans des réunions locales, vont durer deux mois, jusqu'au 15 mars. Une synthèse doit être produite courant avril, sous la houlette d'un collège de cinq garants, désignés pour assurer l'indépendance du processus. Dans une lettre aux Français, Emmanuel Macron s'est engagé à "rendre compte directement" de cette synthèse, dans le mois suivant le grand débat, en avril donc. 

Le "vrai débat". La page "processus" du site détaille un calendrier en cinq phases. Le dépôt des propositions est possible depuis le 30 janvier et jusqu'au 4 mars. Les organisateurs se donnent ensuite jusqu'au 17 mars pour réaliser une synthèse, avant d'organiser, jusqu'au 24 mars, un cycle de "conférences citoyennes délibératives" pour proposer "des solutions co-construites". Ensuite, les participants seront invités à porter ces revendications collectives pour les mettre en œuvre.

Sur les ambitions de l'après-débat

C'est la grande question qui concerne les deux plateformes. Que vont devenir les propositions des participants ?

Le "grand débat". "Sous le contrôle et la responsabilité des garants, toutes les contributions seront analysées et restituées au président de la République et au gouvernement", précise le site du grand débat national. Ces propositions "permettront de forger un nouveau pacte économique, social et environnemental et de structurer l'action du gouvernement et du Parlement dans les prochains mois", assure encore la rubrique "foire aux questions" du site lancé par le gouvernement. 

Le "vrai débat". De son côté, Lydie Coulon reproche à Emmanuel Macron d'avoir promis "des arbitrages" sans plus de précisions sur ce qu'il fera des propositions. "Il n'y a aucune visibilité", déplore-t-elle. Concernant la synthèse des débats, les organisateurs cherchent toujours les personnes et organismes qui pourraient s'en charger. "C'est en cours", assure Lydie Coulon. Sur le site, les administrateurs en appellent à des "laboratoires travaillant sur la lexicométrie via des outils informatiques puissants, des chercheurs en analyse argumentative et tous autres professionnels de l'analyse de données". Cette étape s'annonce complexe.

Quant à la suite des opérations : "Nous ne sommes pas décisionnaires, donc on ne va pas promettre des lois", en revanche "on veut que tout le monde puisse se saisir de nos outils, pour que le gouvernement soit obligé de nous entendre." Au risque de n'être tout de même pas entendus, puisque le gouvernement a sa propre plateforme. Lydie Coulon poursuit : "Mais on défendra les revendications, on ira saisir la Cour constitutionnelle, la Cour européenne s'il le faut."

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