Grève du 6 décembre : les "cars Macron" profitent-ils du mouvement social pour augmenter leurs prix ?
Les deux entreprises de transport par autocars exerçant en France, FlixBus et BlaBlaBus, sont accusées de tirer avantage de la grève qui a débuté jeudi pour revoir leurs tarifs à la hausse. Mais dans les faits, ce n'est pas aussi simple.
Les "cars Macron" profitent-ils de la grève ? Alors que le mouvement social, qui a débuté jeudi 5 décembre, paralyse encore une grande partie des transports en commun vendredi, des lecteurs de franceinfo ont signalé des augmentations de tarifs pour les billets vendus par les deux compagnies FlixBus et BlaBlaBus. Un constat partagé par d'autres internautes sur Twitter.
De son côté, l'association de consommateurs UFC-Que choisir affirme elle aussi que les tarifs des bus ont flambé, après avoir comparé les prix du jeudi 5 décembre et du jeudi précédent, en tentant de réserver un billet trois jours avant le départ. L'échantillon de référence ? Les "vingt liaisons les plus fréquentées, qui transportent près du tiers des voyageurs." Le résultat est sans appel : 116% d'augmentation pour BlaBlaBus et 141% pour FlixBus entre les deux dates, avec de fortes hausses sur les lignes Lyon-Grenoble, Paris-Lille, Paris-Rennes et Paris-Lyon.
Sur Twitter, les deux entreprises démentent pourtant jouer avec leurs tarifs pour profiter de la grève. FlixBus explique que "l'évolution des prix n'est liée qu'à la logique offre/demande en périodes fortes. En effet, les bus se remplissent très rapidement en ce moment !"
Bonjour ! FlixBus n'augmente pas les prix pendant la période de grève. L'évolution des prix n'est liée qu'à la logique offre/demande en périodes fortes. En effet, les bus se remplissent très rapidement en ce moment !
— FlixBus (@FlixBus) December 3, 2019
Anna
Tandis que BlaBlaBus (ex-Ouibus) affirme que sa "grille tarifaire n'a pas changé pour les grèves."
Bonjour, notre grille tarifaire n'a pas changé pour les grèves.
— BlaBlaBus (@BlaBlaBus_FR) December 3, 2019
Les prix plus élevés sont dus aux résas de dernière minute. Si vous souhaitez réserver pour ce week-end, jetez un œil aux covoiturages : les prix restent fixes.
Alors, qu'en est-il réellement ?
Des prix qui dépendent des places vendues
Pour fixer leurs tarifs, les deux entreprises pratiquent le "yield management" (pour "gestion du rendement" ou "tarification flexible"), c'est-à-dire qu'elles proposent des places à prix variables, comme l'expliquait franceinfo sur les tarifs de la SNCF – méthode qui est monnaie courante pour les compagnies aériennes et ferroviaires. Les contours exacts de cette politique de tarification légale restent cependant confidentiels et extrêmement complexes.
Comme l'explique un porte-parole de l'entreprise BlaBlaBus, "tous les tarifs sont fixés à l'avance selon une grille tarifaire. Le seul critère, c'est le remplissage du bus." Autrement dit, les billets seront vendus selon des quotas tarifaires : un certain nombre sera proposé à un prix d'appel ("4,99 euros par exemple pour les distances les plus courtes", selon le communiquant). Puis, lorsque ceux-ci sont épuisés, un autre groupe de places est délivré pour un tarif supérieur, et ainsi de suite. "Le prix plafond est fixé à l'avance, comme les autres, et on reste toujours en-dessous des tarifs des trains", assure BlaBlaBus.
Raphaël Daniel, porte-parole de FlixBus en France, confirme que l'entreprise adopte les mêmes méthodes, ajoutant qu'"il n'y a aucune corrélation par rapport au climat social". Avec le contexte de la mobilisation du 5 décembre, le remplissage des bus a été plus important et rapide que d'habitude et a commencé plus en amont, "environ deux semaines avant la grève, alors qu'un client lambda réserve habituellement entre zéro et trois jours avant son départ", d'où des prix plus élevés pour les places restantes de dernière minute. Raphaël Daniel critique ainsi la comparaison d'UFC-Que choisir, portant sur des billets achetés à trois jours du départ : "Le contexte n'est pas le même, ça fait deux mois qu'on parle [de la grève] du 5 décembre, les gens ont pris leurs dispositions" bien plus tôt que d'habitude.
En clair, les prix des billets dépendent donc, selon les deux opérateurs, du nombre de places vendues et d'une grille tarifaire "fixe" qu'il est impossible de consulter. Une pratique qui diffère donc par exemple de celle des compagnies aériennes qui, elles, modulent souvent leurs prix en fonction du moment de la réservation (nombre de jours avant le départ, jour de la semaine, heure) et du traçage de l'adresse IP du client, comme l'affirme Ouest-France.
Une hypothèse confirmée par des chercheurs
Trois économistes semblent appuyer l'idée d'une modulation des prix des bus uniquement en fonction du nombre de sièges vendus. Dans un article publié en septembre 2019 dans la revue scientifique Economics of Transportation (accès payant), Alberto A. Gaggero, Lukas Ogrzewalla et Branko Bubalo ont étudié empiriquement les tarifs de FlixBus à partir d'un échantillon diversifié de cinq liaisons en Allemagne et en Italie, entre 28 jours et une journée avant le départ. Leur analyse a permis d'identifier qu'en effet, les tarifs n'augmentaient qu'en fonction du nombre de sièges vendus.
Comme l'expliquent les chercheurs, "ce résultat découle certainement de la composition de la demande assez homogène des services de transport par bus, puisqu'elle est presque exclusivement constituée de voyageurs sensibles au prix". Autrement dit, une clientèle de personnes voyageant pour des raisons autres que professionnelles, et qui donc prendraient le temps de comparer les moyens de transports, d'où la stratégie des entreprises de cars. Une analyse que confirme le communiquant de FlixBus : "Le client est volatile et le secteur est très large, entre la voiture individuelle, le covoiturage, les cars, les trains [...] Il regarde quel est le moyen de transports le plus intéressant, et particulièrement d'un point de vue financier."
Il n'en reste pas moins que des associations déplorent ce système de tarification face à la brusque hausse des prix en période de forte demande (particulièrement dans le cadre de la grève des transports). Christian Perrot, président de la section Occitanie de la Fédération nationale des associations d'usagers des transports (FNAUT) affirme que "le yield management, c'est une technique de vente qu'on dénonce. Beaucoup de gens qui prennent le bus sont peu fortunés, cela les défavorise."
En revanche, les compagnies de bus profitent de la grève d'une autre façon. Elles ont ainsi augmenté leur capacité de 10%, en ajoutant des cars sur certaines lignes à fort trafic et en vendant les places selon la même méthode de tarification progressive. Une façon de capitaliser sur les usagers de la SNCF touchés par la grève à compter du 5 décembre, quitte à faire ostensiblement de la publicité à ce sujet. Un e-mail a ainsi été envoyé jeudi matin aux clients de FlixBus, titré sans détour : "Voyagez malgré les grèves !"
La sélection de franceinfo sur la réforme des retraites
• Décryptage. Pourquoi le projet coince auprès d'une majorité de Français
• Explication. Cinq questions sur la très discutée "clause du grand-père"
• Analyse. Pourquoi les enseignants se mobilisent-ils massivement ?
• Vrai ou fake. Les régimes spéciaux ne concernent-ils que 3% des actifs ?
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.