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Législatives 2022 : trois questions sur l'abstention record du premier tour

Comme en 2017, plus de la moitié des électeurs ne sont pas allés voter dimanche. La participation a même diminué de plus d'un point en cinq ans, atteignant un niveau jamais vu dans l'histoire de la Ve République.

Article rédigé par Fabien Jannic-Cherbonnel
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Un bureau de vote à Dinan (Côtes-d'Armor), le 12 juin 2022, lors du premier tour des élections législatives. (MARTIN BERTRAND / HANS LUCAS / AFP)

Elle n'avait jamais été aussi élevée. L'abstention a atteint 52,49% lors du premier tour des élections législatives, dimanche 12 juin, selon les résultats définitifs publiés par le ministère de l'Intérieur. Sur les 48 953 984 électeurs appelés aux urnes, 25 696 476 ne s'y sont pas rendus. Le précédent record, établi lors des législatives de 2017 (51,30%), est déjà battu.

De quoi vérifier, encore une fois, l'expression consacrée qui fait des abstentionnistes les membres du "premier parti de France". Mais celui-ci est loin d'être un bloc uniforme. Ces électeurs n'ont pas tous les mêmes raisons de ne pas aller voter. Franceinfo répond à trois questions soulevées par l'ampleur de ce phénomène.

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1Quel est le profil des abstentionnistes ?

Plus un électeur est jeune, plus le risque qu'il ne vote pas est grand. La majorité des électeurs de moins de 60 ans se sont abstenus dimanche, selon un sondage Ipsos-Sopra Steria pour Radio France, France Télévisions, France 24, RFI et LCP. L'abstention a été particulièrement forte chez les 18-24 ans (69%) et les 25-34 ans (71%). Elle est restée au-dessus de la moyenne chez les 35-49 ans (59%), tandis que les 50-59 ans sont 52% à avoir boudé les urnes.

Pour Vincent Tiberj, chercheur en sociologie électorale à Sciences Po Bordeaux, ce taux de participation était attendu : "On observe de façon générale qu'avec le renouvellement des générations, on vote de moins en moins. C'est la génération des 'baby boomers' qui vote le plus, notamment parce qu'ils croient encore en la politique". "La jeune génération est un peu blasée à l'égard des élections et de la démocratie", confirme sur franceinfo Olivier Galland, sociologue et directeur de recherche émérite au CNRS. 

Un constat qui ne signifie pas pour autant "que la société, et notamment les jeunes, sont dépolitisés", souligne Vincent Tiberj, interrogé par franceinfo. "Simplement, ils ne se retrouvent plus dans la façon de gouverner." Le sociologue Olivier Galland note une préférence de la jeunesse "pour des formes d'actions protestataires", à l'instar des manifestations ou de "l'affichage d'opinions sur les réseaux sociaux"

La participation diffère aussi selon le milieu social des électeurs et électrices. Toujours selon le sondage Ipsos-Sopra Steria, une majorité d'électeurs issus des classes moyennes inférieures, des catégories populaires ou défavorisées se sont abstenus. Les Français qui gagnent moins de 1 250 euros net par mois sont ceux qui ont le moins voté (61 % d'abstention).

Cette combinaison de l'âge et du milieu social a tendance à favoriser la droite et Ensemble !, la coalition de la majorité présidentielle, estime Vincent Tiberj. "Emmanuel Macron a désormais une structure électorale qui ressemble à celle des Républicains, note ce spécialiste du vote. Comme ce sont les plus vieux et les plus riches qui s'abstiennent le moins, cela explique notamment pourquoi LR est aussi haut et pourquoi Emmanuel Macron se retrouve au niveau de la Nupes."

2Comment expliquer ce rejet du vote ?

L'abstention massive observée dimanche s'inscrit "dans une évolution qui touche la majorité des scrutins depuis les années 1980", explique à franceinfo Christèle Lagier, maîtresse de conférences de science politique à l'université d'Avignon et spécialiste du sujet. De plus en plus d'électeurs passent leur tour, mais pas forcément à toutes les élections, ajoute Vincent Tiberj : "Le vote intermittent se développe de plus en plus".

"On est de moins en moins certains que les gens vont se déplacer. Et les abstentionnistes ne sont pas les mêmes à chaque fois."

Vincent Tiberj, chercheur à Science Po Bordeaux

à franceinfo

Cette tendance s'explique par de multiples facteurs. D'abord, "la défiance grandissante vis-à-vis des représentants politiques et d'une offre qui ne satisfait plus les électeurs, qui se sentent déconnectés de leurs élus", souligne Christèle Lagier. Olivier Galland pointe une "fatigue démocratique" chez les jeunes. Il note "un discrédit moral du personnel politique". Un constat qu'il met en relation avec son enquête menée avec Marc Lazar, Une jeunesse plurielle, parue en février 2022, dans laquelle 69 % des 18-24 ans interrogés "estiment que les hommes politiques sont corrompus".

Autre explication : l'inversion du calendrier électoral depuis 1997. L'élection des députés suit désormais toujours de quelques semaines celle du président, ce qui a contribué à désintéresser les électeurs et électrices des législatives, notamment quand leur candidat favori n'a pas réussi à accéder à l'Elysée. "Quand les législatives servent à désigner qui va vraiment gouverner, comme en 1986, 1993 ou 1997 [trois élections qui ont conduit à une cohabitation], on voit que le taux d'abstention baisse nettement", souligne Vincent Tiberj.

Dans le contexte politique de 2022, cette forte abstention s'explique aussi par "le manque de débats entre la présidentielle et les législatives", explique le chercheur bordelais. "Il y a eu une stratégie de la part d'Emmanuel Macron de mettre en place une 'campagne chloroforme', comme l'avait qualifiée L'Obs (lien réservé aux abonnés), pour éviter de mobiliser et de cliver l'électorat, et diminuer l'adversité contre le camp d'Ensemble !. C'est peut-être intelligent électoralement, mais de nombreux électeurs ne se sont pas déplacés. Et ça, c'est problématique."

3La montée de l'abstention est-elle inéluctable ?

Les travaux d'Olivier Galland font le constat inquiétant d'un "recul chez les jeunes de l'attachement à la démocratie". Pour le sociologue, une des explications de leur abstention pourrait être la sous-représentation de la jeunesse parmi le personnel politique. "Il faudrait un renouvellement plus important", plaide-t-il. Mais au-delà de cette question, il observe que les jeunes déplorent "une certaine impuissance de la politique à changer les choses, pour l'urgence climatique notamment". 

Le retour des abstentionnistes vers les urnes pourrait passer "par la mise en place de la proportionnelle, ainsi que le recours fréquent au référendum", suggère Vincent Tiberj. Mais Christèle Lagier juge qu'une "réforme technique (...) ne suffira pas" : "Cela passe aussi par de l'éducation à la politique. Nos dirigeants font des écoles, comme Sciences Po, Polytechnique... Il faut éduquer nos concitoyens et leur donner les moyens de se former une culture politique". La chercheuse y ajoute d'autres propositions : "un renouvellement de la classe politique" et "une limitation du cumul des mandats dans le temps".

Ces pistes seront-t-elles suivies par l'exécutif ? Rien n'est moins sûr. Pendant sa campagne présidentielle, Emmanuel Macron a proposé la formation d'une "commission transpartisane" chargée de "rénover les institutions", et il s'est déclaré favorable à l'instauration de la "vraie" proportionnelle aux législatives. Mais il avait déjà promis "une dose de proportionnelle" en 2017, avant d'abandonner ce projet au cours de son premier mandat. "Notre premier devoir collectif, c'est de faire reculer l'abstention"a réagi Elisabeth Borne au vu du taux de participation dimanche, selon Le Figaro. Mais la Première ministre n'a pas détaillé en quoi consisterait la "réforme des institutions" qu'elle promet, ni comment elle ramènerait les Français sur le chemin des bureaux de vote.

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