Elections européennes : la majorité présidentielle confrontée à la désertion de la jeunesse
C’est une petite vidéo de 12 secondes, publiée le 19 avril sur le compte TikTok de Jordan Bardella, fort de 1,2 million d’abonnés. "Bonsoir, est-ce que vous savez qu’il y a les élections européennes qui arrivent bientôt ?", demande une militante du camp présidentiel, étiquetée "macroniste" par la communication du Rassemblement national. "Ouais, Bardella", lui rétorquent deux jeunes hommes en s’éloignant.
Sur l'un des réseaux sociaux favoris de sa tête de liste, le mouvement d’extrême droite met en scène ce qu’il prétend incarner : le parti des jeunes. Une ambition qui se confirme dans les sondages, où le RN arrive en tête et réalise de très bons scores auprès de cette catégorie d’âge. Selon la quatrième vague du baromètre d’Ipsos pour le Cevipof (lien PDF) au mois d’avril, ils sont 32% des 18-24 ans et 33% des 25-34 ans à vouloir voter pour Jordan Bardella. "Il ne faut pas oublier que la participation chez les jeunes est de seulement 32%. En gros, il fait 32% de 32%", relativise immédiatement Mathieu Gallard, directeur d’études chez Ipsos. C'est que, plus que jamais, l’abstention reste le premier parti chez la génération Z.
En face, la formation présidentielle fait grise mine. Seuls 8% des 18-24 ans et 11% des 25-34 ans entendent glisser dans l'urne un bulletin pour la liste de Valérie Hayer le 9 juin. "Ça me rend malade", soupire Victor Albrecht, président du parti Renaissance dans l'Yonne. "Cela m’interpelle et m'inquiète", appuie le député Renaissance Ludovic Mendes, bien conscient que les jeunes "sont de plus en plus nombreux à aller vers le RN". "On est évidemment déçus quand on regarde les chiffres, mais on va se donner les moyens d’aller récupérer une partie de ces jeunes !", veut croire Ambroise Méjean, le président des Jeunes avec Macron (JAM).
"Difficile de se faire une place"
Les militants des JAM, qui revendiquent encore 3 500 membres actifs, eux, s'impatientent. "On dit qu’Emmanuel Macron est le président des jeunes, il serait temps de le montrer", s'agace un cadre du mouvement de jeunesse. Lors du premier tour de 2017, 28% des 25-34 ans avaient voté pour le candidat En marche, et 18% des 18-24 ans, selon Ipsos. Cinq ans plus tard, ils n'étaient plus que 23% des 25-34 ans à voter pour Emmanuel Macron, tandis que la part des 18-24 ans augmentait un peu, à 20%, toujours d'après Ipsos. "Il avait trouvé un écho dans cette catégorie, mais il y a eu un effet de déception, de normalisation de l'exercice du pouvoir", assure Christelle Craplet, directrice de BVA Opinion.
"Emmanuel Macron n’a jamais réussi, malgré son jeune âge, sa proposition de rupture avec la vieille politique et la remise en cause du clivage gauche-droite, à convaincre les jeunes", nuance Anne Muxel, directrice déléguée du Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Ainsi, en 2022, c’est Jean-Luc Mélenchon qui était plébiscité par la jeunesse, suivi de près par Marine Le Pen.
"Les radicalités qui s’expriment aux extrêmes collent davantage aux préoccupations des jeunes."
Anne Muxel, directrice déléguée du Cevipofà franceinfo
Les jeunes sont "beaucoup plus sensibles à certaines thématiques, comme les violences sexistes et sexuelles, le harcèlement, le bien-être animal ou les discriminations. Ce sont aussi des thématiques moins portées par Renaissance", poursuit Anne Muxel. Mais ces thèmes ne sont pas vraiment la spécialité du Rassemblement national, dont l'argumentaire porte plutôt sur la sécurité, l'immigration ou l'inflation. "Une partie de l'électorat juvénile, heurté sur les questions de pouvoir d'achat, défend une logique antisystème", explique Mathieu Gallard, d'Ipsos.
Dans le camp présidentiel, une partie des troupes a acté la défection de la génération Z. "Entre 'la jeunesse Gaza' captée par LFI et 'la jeunesse du travail' captée par le RN, dans une catégorie peu motivée par les européennes, difficile de se faire une place", concède Robin Reda, député Renaissance de l’Essonne.
Outre les sujets de fond, le RN, contrairement à la majorité, a aussi massivement investi les réseaux sociaux qui touchent un public plus jeune. "Bardella, c’est le candidat TikTok", moque un ponte de la majorité. "C'est très bien de faire un selfie à Cambrai, mais où est le projet du RN ?", raille une ministre. Si Valérie Hayer n'est pas sur ce réseau social contrôlé par la Chine, en raison des "risques d'espionnage", elle est en revanche sur Instagram. Mais la tête de liste du camp présidentiel pâtit de son manque de notoriété et ne cumule que 9 400 abonnés. "On n'est pas très bons sur les réseaux sociaux sur lesquels les jeunes s’informent, on est trop peu présents", déplore un membre du bureau exécutif de Renaissance.
Des réformes impopulaires
Il y a aussi des causes plus conjoncturelles au décrochage de Renaissance chez les jeunes. "Ce qui s'est passé depuis 2022 a eu une influence", rappelle Mathieu Gallard. La réforme des retraites, par exemple, "n'est pas une réforme populaire. Elle a coûté dans l'opinion" et auprès de cet électorat, regrette un cadre de Renaissance, qui évoque avec euphémisme un autre obstacle survenu en 2023.
"Je ne suis pas sûr que la loi immigration ait contribué de manière positive à notre popularité chez les jeunes."
Un cadre de Renaissanceà franceinfo
Pour tenter de combler ce fossé qui ne cesse de se creuser, Renaissance et les JAM veulent insister sur les mesures prises en direction des jeunes depuis sept ans. Repas à un euro pour les étudiants boursiers, gratuité de la contraception ou des protections périodiques réutilisables, "pass rail"… "On doit peut-être rappeler que beaucoup de choses ont été faites aux niveaux national et européen", avance une ministre. En interne, des voix s'élèvent contre le discours de grande fermeté tenu par le Premier ministre depuis son arrivée à Matignon.
"Parler à la jeunesse, ce n’est pas seulement avec un angle répressif. On veut répondre à la violence de la jeunesse par du répressif alors que l'on voit bien que cette violence est née de problèmes sociaux. "
Ludovic Mendes, député Renaissanceà franceinfo
Un cadre de Renaissance se dit lui aussi "étonné" par la tonalité des mots de Gabriel Attal : "Je comprends la nécessité de tenir un discours sur l'autorité, mais je trouve que l'on va trop loin. Je ne vois pas comment la séquence dans l'internat nous sert", raconte-t-il à propos de ces images, publiées sur X, du chef du gouvernement en pleine démonstration d'autorité avec des pensionnaires d'un internat pour élèves décrocheurs. "Le discours du Premier ministre donne le sentiment que le pays est à feu et à sang et que la jeunesse en est responsable. Ce discours n’aide pas à reprendre la main", poursuit-il.
"On ne peut pas dire qu’il y a une violence de plus en plus présente chez les jeunes et rester les bras croisés, il faut apporter des solutions", réplique une ministre. Ces voix critiques attendaient pourtant beaucoup de l'arrivée de Gabriel Attal à Matignon, début janvier. Le plus jeune Premier ministre de la Ve République était alors présenté comme une "arme anti-Bardella" capable de concurrencer la tête de liste RN chez les jeunes, entre autres catégories.
Renaissance, parti des retraités ?
En se focalisant sur le rétablissement de l'autorité, comme lors du discours de Gabriel Attal à Viry-Châtillon (Essonne), le gouvernement semble vouloir "soigner" en priorité les plus âgés, estime Christelle Craplet. Une stratégie loin d'être anodine : les seniors représentent le dernier bastion électoral de Renaissance, qui "n'a plus de socle solide chez les actifs", analyse Mathieu Gallard. La liste menée par Valérie Hayer récolte ainsi 27% des intentions de vote chez les plus de 70 ans, selon Ipsos, contre 26% pour Jordan Bardella. C'est la seule catégorie d'âge où la liste Renaissance devance celle du RN. "Il ne faudrait pas que l’on devienne de manière durable" le parti des retraités, s’inquiète un ponte de la majorité.
A un mois du scrutin, et face à des sondages en berne, Renaissance cherche d'abord à faire le plein dans son électorat. "Ce n’est clairement pas l’élection qui nous permettra d’aller élargir le socle. Il faut donc déjà mobiliser les nôtres et, s’ils vont voter, éviter qu’ils ne votent pas pour nous !", insiste Robin Reda. L'ancien élu LR assume d'aller chercher le vote des seniors : "Je fais ça depuis dix ans, ça ne m’impressionne pas." Autre raison de cibler les plus âgés : ce sont d'abord eux qui comptent se déplacer pour les élections européennes. D'après Ipsos, 62% des plus de 70 ans se disent sûrs d'aller voter, contre seulement 32% des 18-24 ans et 30% des 25-34 ans.
Y aura-t-il un sursaut de participation de ces classes d'âge, le 9 juin ? "Les gens se décident tard, notamment chez les jeunes, qui sont moins attachés à un parti", affirme Mathieu Gallard. Mais le raz de marée de bulletins juvéniles pour Valérie Hayer n'est pas vraiment l'hypothèse la plus probable. "Si vous arrivez à parler aux jeunes, il faut que cela se traduise par un vote, et par un vote en votre faveur, ce qui est très difficile", pointe Christelle Craplet. Un défi de taille pour les macronistes, embourbés dans une campagne qui ne décolle pas.
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