Comment La République en marche compte peser au Parlement européen
Quelques jours après les élections européennes, les négociations vont déjà bon train sur la composition des groupes parlementaires, qui siégeront au sein du nouvel hémicycle strasbourgeois. Les ambitions des 23 élus de la liste LREM pourraient remodeler le rapport de force.
"Le groupe va être une charnière qui va pouvoir, en quelque sorte, être un moteur pour une alliance progressiste, et pourquoi pas avec les Verts" projette Sibeth Ndiaye. La porte-parole du gouvernement répondait à RMC sur le rôle que joueront les 23 eurodéputés La République en marche au Parlement européen. Avec 22,41% des suffrages aux élections européennes le 26 mai, la liste Renaissance, de LREM, va devoir trouver sa place au sein du Parlement européen. Entre les ambitions que se donnent ces nouveaux élus et le jeu complexe des alliances au Parlement, franceinfo a tenté d'en savoir plus sur la place que LREM pourra réellement occuper dans l'hémicyle.
1En devenant la troisième force politique européenne
Que veut LREM ? Les nouveaux eurodéputés LREM veulent rejoindre les rangs de l'Alliance des démocrates et des libéraux pour l'Europe (ADLE). Un rapprochement qui s'opère depuis novembre 2018 et le discours prononcé par la confondatrice d'En marche devant le congrès du groupe à Madrid. Actuellement quatrième groupe en nombre au Parlement européen, le groupe des libéraux-centristes accèderait alors à la troisième place. Le Parti populaire européen (PPE) resterait le plus important, avec 179 eurodéputés, devant l'Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D) et ses 153 députés.
"Nous n'allons pas rejoindre un groupe mais former avec ce qu'était l'ADLE un nouveau groupe", explique à franceinfo Bernard Guetta, en huitième position sur la liste Renaissance. "Tout sera prêt pour le 2 juillet" et l'entrée en fonction du nouveau Parlement, espère-t-il. Et LREM veut être le pivot de cette recomposition, en devenant la première force au sein du futur groupe, comme le soutient Pascal Canfin : "La première délégation – avec 21 députés [deux députés doivent attendre la mise en œuvre effective du Brexit pour siéger] – ce sera la délégation d'En marche-Renaissance. Ça veut dire que nous allons peser de manière très considérable au sein du groupe, au sein de la future coalition et donc au sein du Parlement". L'ex-directeur général de WWF veut croire que ses colistiers et lui auront "un pouvoir colossal" dans le Parlement européen.
Pourquoi ce ne sera pas si simple ? La constitution de ce nouveau groupe comprenant les élus LREM est définitivement actée, comme nous l'ont confirmé des eurodéputés sortants et des nouveaux élus. Préparée en amont depuis plusieurs mois, cette autodissolution d'ADLE devrait être effective "au cours du mois de juin", même si la dénomination et les membres de ce groupe ne sont, pour l'heure, pas encore tranchés. "Mon groupe va être dissous et les élus vont former un nouveau groupe avec sans doute beaucoup d'anciens amis, qu'ils soient d'Allemagne, d'Italie, de Roumanie...", expose Nathalie Griesbeck, l'une des 70 eurodéputés siégeant actuellement dans le groupe ADLE et élue MoDem. Lundi 27 mai, le numéro 2 de la liste LREM, Pascal Canfin, a lui aussi précisé sur France inter que le groupe serait "refondé, y compris dans son ADN politique et sera[it] beaucoup plus écologique".
Reste que la "moitié de ses membres [seront] des députés de l'ancien groupe des libéraux", comme les Espagnols de Ciudadanos et les Britanniques du Lib-Dem, reconnaît Gilles Pargneaux, ex-membre du PS passé à LREM et conseiller des nouveaux eurodéputés. De quoi relativiser la "refondation" souhaitée. Quant au "pouvoir colossal" espéré par Pascal Canfin, rappelons que la future alliance ne restera que la troisième du Parlement, après le PPE et le S&D.
2En nouant des alliances avec d'autres groupes
Que veut LREM ? Une fois entrés au Parlement européen, les eurodéputés de la liste Renaissance devront former des majorités pour pouvoir voter des lois et prendre des décisions. "Le groupe où se retrouvent les marcheurs va être un groupe central" statue l'habitué des négociations bruxelloises, Gilles Pargneaux. Le troisième groupe parlementaire devrait "mettre fin à l'espèce de 'combines politiciennes' lorsque le PPE passait sur la tête de tout le monde avec une majorité socialistes-PPE. Aujourd'hui, ils ne l'auront plus", soutient Nathalie Griesbeck, eurodéputée MoDem sortante. Pour Gilles Pargneaux, membre de LREM depuis 2017, "il va falloir trouver des passerelles pour mener des combats communs et traiter des sujets de fonds comme la Politique agricole commune (PAC), la lutte contre le changement climatique ou encore la convergence fiscale et sociale".
Dès le 2 juillet, les tout nouveaux députés européens LREM vont donc s'atteler à négocier avec les autres groupes. Au lendemain des élections européennes, Pascal Canfin tablait sur "deux majorités possibles" : une première entre les élus proches de l'ADLE, les socialistes et les membres du PPE, à condition que ce soit sans le Hongrois Viktor Orbán, et une seconde, étendue aux Verts que LREM souhaite convaincre. "Si les Verts veulent rejoindre cette coalition majoritaire, ils sont les bienvenus", a lancé Pascal Canfin sur France inter. Même son de cloche du côté de Bernard Guetta : "Il faut dans un premier temps construire une étroite relation avec les Verts et les sociaux-démocrates. On essaiera dans un second temps de trouver des terrains d'entente avec le PPE ou en tout cas avec une partie du PPE".
Pourquoi ce ne sera pas si simple ? Parce qu'il va falloir convaincre bien plus de groupes que dans la précédente législature. Pour s'assurer du succès d'un vote au Parlement européen, il faut en effet remporter l'adhésion de 376 eurodéputés. Les deux premiers partis (PPE et S&D) ne pouvant pas l'atteindre, le groupe que ralliera LREM et celui des Verts sera au cœur des négociations. D'autant que, selon l'actuelle questeure au Parlement, Elisabeth Morin-Chartier, "il y a parfois deux à trois votes différents dans le même groupe politique". "On n'a jamais raison tout seul, il faut construire l'accord de tous".
"Il n'y a pas de coalition possible sans LREM, c'est vrai, mais il n'y en a pas non plus sans les Verts, sans les socialistes et sans le PPE", prévient le vice-président du PPE, Alain Lamassoure. "C'est la seule coalition qui marche et chacun se tient par la barbichette en pouvant dire non à l'autre." En France, Yannick Jadot, tête de liste des Verts, s'est montré réticent face aux appels du pied des élus LREM. Dès le lendemain de l'élection, où sa liste a emporté 13,47% des suffrages, il assénait sur franceinfo : "Le groupe que vont rejoindre les députés En marche, c'est quand même le groupe qui soutient tous les accords de libre-échange, c'est le groupe qui nous a combattus sur toutes les avancées écologistes. On ne va pas faire de coalition avec les libéraux." Autant dire que les futures discussions s'annoncent rudes.
3En visant des postes-clés au sein des instances européennes
Que veut LREM ? L'un des enjeux pour les eurodéputés de la liste Renaissance est de peser rapidement dans la course aux postes-clés des différentes institutions européennes (président du Parlement européen, commissaires, questeurs...). Bernard Guetta assure que les "négociations ont commencé" et qu'elles "ne seront pour sûr ni évidentes ni faciles". Le nouveau eurodéputé LREM se projette déjà à "une place au sein de la commission des Affaires étrangères" – "sans aucune assurance de l’avoir évidemment" – et espère "d'autres places suivant les domaines de compétences" pour ses collistiers.
Pour y parvenir, la secrétaire d'Etat aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin, a pris en charge le coaching des eurodéputés entrants. Si elle a convié tous les futurs parlementaires, sans considération de classe politique, à un briefing mi-juin au Quai d'Orsay, elle s'attardera davantage avec les députés issus de la liste Renaissance à élaborer une stratégie pour obtenir des postes stratégiques. "Pas forcément toutes les présidences de commissions. Certaines fonctions moins visibles sont plus stratégiques, comme celle du coordinateur", détaille la ministre au JDD (article payant).
Pourquoi ce ne sera pas si simple ? La répartition des postes dans les institutions européennes répond à une coutume, établie entre les "groupes qui jouent le jeu parlementaire", selon l'eurodéputé sortant Alain Lamassoure. Le PPE, le S&D, ADLE dans sa formation actuelle et les Verts sont déjà en train de se réunir pour s'attribuer les postes-clés des instances européennes. Les postes de présidence et de vice-présidence de la Commission européenne, du Conseil européen et du Parlement européen seront ainsi attribués en fonction du nombre d'élus qui composent les groupes. "Chaque groupe a un potentiel de points et plus les postes brigués sont importants, plus ils comptent de points au groupe", explique ainsi Elisabeth Morin-Chartier. Le PPE et le S&D auront donc la primauté du choix, avant le futur groupe de LREM et celui des Verts... qui prendront ce qu'ils auront réussi à négocier avec les premiers.
Mais "la loi s'applique à la proportionnelle. En fonction du nombre d'élus, on obtient les postes et les responsabilités", explique Jean Arthuis, eurodéputé sortant ayant rejoint LREM, à franceinfo. De bon augure pour LREM ? "La liste Renaissance, avec 21 élus, se présente comme l'une des délégations nationales les plus importantes et va donc nécessairement se voir confier des responsabilités", croit-il. "Dans la liste Renaissance, il y a quelques personnes dont l'expérience politique pourrait les amener à briguer un poste de questeur", confirme aussi la questeure Elisabeth Morin-Chartier, conseillère des nouveaux eurodéputés LREM.
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