"C'est un message que Paris doit recevoir" : les nationalistes corses bien partis pour avoir leurs premiers députés
Sur l'île de Beauté, les candidats nationalistes se sont qualifiés pour le second tour dans trois circonscriptions sur quatre. Deux d'entre eux sont favoris et pourraient devenir les premiers députés nationalistes de l'histoire de l'Assemblée nationale.
Au téléphone, Michel Castellani savoure. "Je suis dans les rues de Bastia, tout le monde vient me saluer", se félicite le militant nationaliste. Dimanche 11 juin, ce professeur d'université de 72 ans est arrivé nettement en tête du premier tour des législatives dans la 1re circonscription de Haute-Corse avec 30,42% des voix et neuf points d'avance sur le député sortant Les Républicains, Sauveur Gandolfi-Scheit. Une avance qui ne le surprend pas. "Notre courant d'idées devient majoritaire en Corse. Il nous a permis de gagner les municipales de Bastia en 2014, les territoriales de 2015 et de devenir le premier parti de Corse" , déroule le troisième adjoint de Bastia. Dans l'île, la vague Emmanuel Macron s'est, de fait, brisée sur le roc nationaliste.
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Pè a Corsica, la coalition qui regroupe depuis 2015 les autonomistes de Gilles Simeoni, président du Conseil exécutif de Corse, et les indépendantistes de Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée territoriale, a rassemblé 33 925 voix dans les quatre circonscriptions de l'île, devant Les Républicains (28 350 voix) et La République en marche (25 523 voix). Trois de ses candidats se sont qualifiés pour le second tour. Deux, Michel Castellani et Jean-Félix Acquaviva, sont bien partis pour entrer à l'Assemblée nationale, une première historique. "Très franchement, je leur donnais cinq points de moins. Ce sont des résultats d’autant plus étonnants que les principaux chefs de parti ne se présentaient pas", analyse André Fazi, politologue à l'université de Corse.
En 2012, il y avait un écart faramineux entre les chefs de file et les autres candidats. Là, il y a une véritable cohérence, qui ressemble à une dynamique de fond.
André Fazi, politologue à l'université de Corseà franceinfo
"Il n'y a pas de fin de l'état de grâce"
Arrivé en tête dans la circonscription de Corte (2e de Haute-Corse) avec treize points d'avance, Jean-Félix Acquaviva explique sa performance par le travail de l'exécutif régional, auquel il appartient, depuis la victoire de décembre 2015. "Contrairement à ce qu'on a pu dire, il n'y a pas de fin de l'état de grâce. Depuis janvier 2016, nous avons travaillé à un rythme soutenu, assure l'élu, en citant la crise des transports maritimes ou des déchets ménagers. Je crois que ça a consolidé notre base et l'a élargie." Le politologue André Fazi voit deux autres raisons à ce succès : l'effondrement des autres forces politiques et la puissance militante des nationalistes. "Quand vous avez 2 000 militants et sympathisants motivés et impliqués sur une île de 324 220 habitants, cela a de l'effet. Ni En marche !, ni aucune famille politique n'avait cette puissance militante", constate l'universitaire.
Désormais aux portes de l'Assemblée nationale, Michel Castellani et Jean-Félix Acquaviva ont une idée très précise de ce qu'ils veulent y faire.
Si on va à Paris, c'est pour travailler et faire comprendre à Macron qu'il a l'occasion de marquer d'une pierre blanche l'histoire de la Corse.
Michel Castellani, candidat aux législativesà franceinfo
Les deux hommes veulent porter en priorité les revendications déjà au cœur du programme nationaliste pour les territoriales de 2015. "C'est un message que Paris doit recevoir (...) On veut un statut pour la Corse, qui lui donne un pouvoir législatif et réglementaire de plein droit, la 'coofficialité' de la langue corse, le statut de résident [pour répondre à la hausse des prix de l'immobilier] et l'amnistie des prisonniers politiques" , appuie Jean-Félix Acquaviva, avant de préciser qu'il compte aussi amender les lois générales pour faire valoir les intérêts insulaires.
"Ambassadeur de la Corse à Paris"
Autant de sujets que deux députés auront du mal à imposer à l'Assemblée nationale. Le statut du résident, qui crée une distinction entre Français, demande par exemple une révision de la Constitution. "Je ne crois pas qu'être peu nombreux soit plus terrible que d'être noyé dans un groupe parlementaire. Si nous sommes élus, nous serons les représentants de la majorité territoriale", balaye Michel Castellani. "A mon avis, on peut faire beaucoup de choses", estime Jean-Félix Acquaviva, qui s'imagine "ambassadeur de la Corse" à Paris.
La majeure partie du travail, c'est le lobbying et le travail de fond. Ce n'est pas d'avoir 45 minutes de parole sur cinq ans. Ça, c'est l'apparat.
Jean-Félix Acquaviva, candidat aux législativesà franceinfo
Dans ce travail, les deux hommes comptent sur le poids politique de leur mouvement. "On ne peut pas nier l'histoire. Si on vient à l'Assemblée, c'est avec tout ce qu'il y a derrière, nos 50 ans de combat politique et un fait démocratique depuis 2015. Il faudra que le sens de ce message soit pris à sa juste mesure", prévient Jean-Félix Acquaviva. En janvier 2016, Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni avaient été reçus à Matignon après leur victoire aux territoriales. Ils n'avaient obtenu que la création de groupes de travail, qui avaient abouti quelques mois plus tard à des avancées jugées "en deçà non seulement des attentes, mais aussi et surtout des enjeux" par Gilles Simeoni.
Alors que de nouvelles élections territoriales – provoquées par l'instauration d'une collectivité unique au 1er janvier 2018 – se profilent en décembre 2017, les nationalistes comptent bien obtenir davantage. "Il y a eu 18 mois de dégel, il faut maintenant franchir un cap supplémentaire. Ces législatives montrent qu'il y a une adhésion à notre projet", appuie Jean-Félix Acquaviva. Si leurs succès électoraux continuent, "peut-être que le pouvoir central n'aura d'autres solutions que d'ouvrir des discussions sur le statut de la Corse, analyse André Fazi. Sauf à courir le risque de développer de nouvelles radicalités, ou, à tout le moins, une distanciation croissante entre la Corse et le continent". Le politologue évoque la "sécession invisible" entre le nord et le sud de l'Italie, diagnostiquée à la fin des années 1990 : "Ce risque-là existe pour la Corse."
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