"Ecœurés", "désenchantés"... Le blues des députés PS avant "la bérézina" annoncée aux législatives
Plus du quart des députés socialistes font le choix de ne pas se représenter aux élections législatives cette année. Plusieurs raisons expliquent cette désertion, avec en toile de fond la déroute annoncée de la majorité.
"Quand on va sortir de la tranchée en juin, ce sera le Chemin des Dames." Le député socialiste qui s'exprime ainsi, sous couvert d'anonymat, sera bel et bien candidat aux législatives de juin prochain. Lui espère même être réélu. Mais il ne se fait aucune illusion sur l'avenir de ses camarades, qu'il compare aux soldats envoyés au front dans la terrible bataille de la première guerre mondiale.
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Est-ce une conséquence de cette déroute annoncée ? En tout cas, 27% des députés du Parti socialiste élus en 2012 renoncent pour l'instant à se lancer dans la bataille cette année, selon l'enquête de franceinfo, publiée jeudi 5 janvier. En toile de fond, la perspective de la défaite : contrairement à 2012, la vague cette année s'annonce plus bleue que rose. "S'il y avait une perspective de victoire, il y en aurait moins qui ne se représentent pas", estime Gilles Savary, député de Gironde.
Certains envisagent "une vraie catastrophe"
Le calcul vaut en particulier pour les plus âgés. Au PS, sur les 79 députés qui ne se représentent pas, plus d'une soixantaine ont plus de 60 ans, plus de 25 dépassent les 70 ans. De nombreux élus de la "génération Jospin", qui avaient la cinquantaine lors de leur élection en 1997, tournent aujourd'hui la page. "Cela joue pour les plus anciens, explique un pilier du groupe socialiste. Même si nombre d'entre eux ont des chances d'être réélus, quel est l'intérêt de repartir une fois de plus pour un mandat dans l'opposition, quand on en a déjà quatre ou cinq au compteur ?"
René Dosière, 75 ans et déjà cinq mandats à son actif, n'a pas encore pris sa décision. Il attend de voir comment se déroule la primaire de la gauche, à la fois en terme de participation et de résultat. Lui soutient Manuel Valls. Et n'hésite pas à parler de "bérézina" si l'ancien Premier ministre n'en sort pas vainqueur fin janvier. "Tout dépendra des conditions de la primaire, si elle arrive à créer une dynamique, estime-t-il. Si ce n'est pas Valls le vainqueur, il faut craindre une vraie catastrophe."
On peut descendre sous la barre des 50 députés à l'assemblée, et n'être que le quatrième groupe parlementaire, derrière Les Républicains, les centristes, le FN, voire les élus de Macron !
René Dosièreà franceinfo
Le député de l'Aisne prendra donc sa décision fin janvier ou février, quand il pourra mieux jauger ses chances de l'emporter.
"Jeunes ou vieux, ils ont été traumatisés"
Un de ses collègues pointe aussi une forme de lassitude, de "désenchantement" chez les socialistes, après un quinquennat particulièrement difficile pour eux, marqué par les discordes avec les frondeurs, sur 49.3, la loi Travail ou la déchéance de nationalité. "Beaucoup des 'vieux de la vieille' sont désemparés. Ils sortent abîmés de cette mandature, voire écœurés. Ils ont épousé la ligne politique de Hollande par fidélité, pas par conviction. Alors aujourd'hui, même s'ils ont été loyaux jusqu'au bout, ils rendent les armes." Dans son département, plusieurs de ses collègues ne se représentent pas. "Même s'ils ne le diront jamais comme ça, une partie de ces vieux grognards ne veulent pas prendre le risque de perdre. Ils ont fait leur devoir, ne doivent rien à quiconque."
Parmi ceux qui renoncent, il y a aussi quelques députés très jeunes, à l'image de Sébastien Pietrasanta (39 ans) dans les Hauts-de-Seine ou Laurent Grandguillaume (38 ans) en Côte-d'Or. Ils affirment vouloir changer de vie en faisant autre chose que de la politique. Ils ne cachent pas non plus leurs doutes sur l'exercice de leur fonction pendant ce quinquennat.
En interne, dans le groupe, l'ambiance était assez pourrie. Cela pèse sur l'envie de participer au cadre collectif.
Sébastien Pietrasantaà franceinfo
Et le député des Hauts-de-Seine de poursuivre : "Il a parfois fallu se mobiliser dans l'hémicycle contre ses propres camarades ! A part le mariage pour tous, on n'a pas le sentiment d'avoir eu beaucoup de victoires."
"Ils sont rentrés à l'assemblée avec des étoiles dans les yeux et en ressortent désenchantés, après avoir vu leur groupe se diviser, l'exécutif prendre la main de façon rude, éventuellement avoir dû faire une politique qui n'était pas la leur", analyse un de leurs collègues plus expérimenté. "Jeunes ou vieux, ils ont tous été traumatisés d'une façon ou d'une autre par cette mandature."
Un mandat local plutôt qu'un hypothétique siège
La perspective de la défaite se conjugue aussi à un autre facteur : le non-cumul des mandats, qui oblige cette fois les parlementaires à choisir entre leur siège de député et leur fauteuil de maire ou de président d'un département ou d'une région. Chez les socialistes, la plupart opte pour le mandat local. C'est le cas dans des territoires où ils ont toutes les chances de l'emporter, comme Philippe Martin, élu dans le Gers, qui préfère garder la présidence du conseil départemental. Et c'est vrai a fortiori dans des circonscriptions plus difficiles.
Beaucoup de parlementaires socialistes préfèrent garder leur mandat local, car au niveau national, la conjoncture n'est pas la meilleure.
René Dosièreà franceinfo
C'est sans doute une différence avec les élus du parti Les Républicains, plus motivés par la perspective de victoire. "Quand vous êtes maire, vous avez vraiment le pouvoir. Vous pouvez appuyer sur dix ou quinze boutons pour agir. Quand vous êtes député, déjà dans la majorité vous ne pouvez pas faire grand chose, mais dans l'opposition vous n'avez le pouvoir de rien du tout." Le député qui s'exprime ainsi se représente aux législatives. Mais il a perdu sa mairie en 2014.
Malgré cette ambiance morose, un ponte du groupe socialiste veut tout de même voir un progrès dans ce renouvellement massif des candidatures : "On s'est tellement habitués à des gens qui ont l'obsession du pouvoir et qui s'accrochent à leur fauteuil qu'on s'étonne quand certains arrêtent. Finalement, il y a peut-être plus de gens 'sains' qu'on ne croit."
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