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Législatives 2022 : comment expliquer les résultats historiques du Rassemblement national au second tour ?

Passé de 8 députés à 89, le parti de Marine Le Pen va pouvoir former le premier groupe d'opposition. Une performance inédite pour le parti d'extrême droite.

Article rédigé par Yann Thompson, Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
La députée et présidente du Rassemblement national, Marine Le Pen, à l'Assemblée nationale, à Paris, le 11 février 2020.  (MAXPPP)

C'est la grosse surprise de ce scrutin. Crédité de 20 à 50 sièges dans les sondages avant le vote, le Rassemblement national a finalement décroché 89 sièges à l'Assemblée nationale, dimanche 19 juin, à l'issue du second tour des élections législatives, selon les résultats définitifs du ministère de l'Intérieur. A Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais), sa cheffe de file, Marine Le Pen, s'est félicitée de pouvoir bientôt constituer le groupe parlementaire "de loin le plus nombreux de l'histoire de (sa) famille politique". Le seul groupe jamais constitué par les frontistes avait été celui de 1986, formé à l'issue d'une élection à la proportionnelle (35 députés).

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Outre le fait d'obtenir davantage de moyens et de temps de parole, le RN pourrait notamment hériter de la commission des finances, dont la présidence revient traditionnellement au plus grand groupe d'opposition. Le parti d'extrême droite est donné devant le groupe de La France insoumise (72 sièges) et celui des Républicains (64). Franceinfo avance quatre pistes pour expliquer cette percée.

La poursuite de la dédiabolisation

Le plafond de verre a-t-il volé en éclats ? Après la débâcle du second tour en 2017, marqué par son débat d'entre-deux-tours raté et perdu avec 34% des voix contre 66% pour Emmanuel Macron, Marine Le Pen a progressé de près de 7,5 points au second tour de la présidentielle en avril dernier, obtenant 41,45% des suffrages. De quoi lui conférer une plus grande légitimité aux yeux des électeurs, selon Erwan Lecoeur, sociologue et spécialiste de l'extrême droite.

"Le score de Marine Le Pen à la présidentielle, ses 40%, lui ont donné une stature présidentielle, elle n'est plus une extrémiste hors du champ politique."

Erwan Lecoeur, spécialiste de l'extrême droite

à franceinfo

La candidature d'Eric Zemmour à la présidentielle a aussi facilité la tâche de la patronne du RN, selon le sociologue. "Eric Zemmour a contribué à la rendre sympathique, presque modérée", analyse-t-il. Là où le candidat Reconquête ! a privilégié la polémique permanente et la saturation de l'espace médiatique, sa rivale "a réalisé une campagne-thérapie, après un quinquennat de crise permanente, pour apaiser les Français", observait en avril, pour franceinfo, Raphaël Llorca, auteur des Nouveaux masques de l'extrême droite (éd. de l'Aube). 

Les résultats des législatives confirment cette dynamique. Le parti d'extrême droite avait déjà progressé de 5,5 points au premier tour, en réunissant 18,7% des voix (contre 13,2% en 2017), la meilleure performance du mouvement lors d'un scrutin législatif. "C'est un peu passé inaperçu dimanche dernier, mais la seule formation qui peut se targuer d'avoir nettement progressé en voix par rapport à 2017 et qui va progresser en sièges, c'est bien le Rassemblement national", observait samedi Brice Teinturier dans Le Parisien

L'effritement du front républicain

Les adversaires du RN se renvoient la responsabilité de la percée frontiste, chacun accusant l'autre d'avoir renoncé au front républicain durant l'entre-deux-tours. La Nupes ne digère pas d'avoir été assimilée au RN par le camp présidentiel, qui a entretenu le flou sur ses consignes de vote et disait vouloir combattre indistinctement "les extrêmes". "En mettant un signe égal entre l'extrême droite et la Nupes, les macronistes ont tourné le dos aux valeurs républicaines et donné au RN son plus gros score de l'histoire", s'est indignée la sénatrice écologiste Mélanie Vogel, sur Twitter. "Macron est le responsable direct du score du RN", a enfoncé l'eurodéputée "insoumise" Manon Aubry.

Selon un décompte de Libération publié mercredi, seuls 11% des candidats Ensemble ! battus au premier tour avaient clairement appelé à voter pour le finaliste opposé au RN. Toujours selon Libération, moins de 8% des candidats Nupes éliminés avaient demandé à leurs électeurs de soutenir le candidat opposé au RN au second tour. Un positionnement dénoncé par l'exécutif, dimanche soir. "Il y a eu des appels au front républicain qui n'ont pas forcément été entendus, ou qui n'ont pas été très clairs, notamment dans les duels Ensemble-RN", a déploré la ministre de la Transition énergétique, Agnès Pannier-Runacher, sur France Inter.

La mollesse des appels à faire barrage au RN s'est ressentie dans les urnes, affirme à franceinfo Mathieu Gallard, directeur d'études pour l'institut Ipsos. "Quand un candidat RN faisait face à un candidat Nupes, les électeurs d'Ensemble ! ne sont pas allés voter pour le candidat de la gauche, livre-t-il. Et quand un candidat RN faisait face à un candidat d'Ensemble !, les électeurs de la Nupes ne se sont pas non plus déplacés. Il n'y a plus de front républicain, ou à la marge." 

De son côté, son collègue Brice Teinturier a mis en avant une tendance intéressante concernant le report de voix, notamment du côté des électeurs de droite.

Le rejet du macronisme

Depuis l'instauration du quinquennat en 2002, aucun président n'avait obtenu de majorité relative aux élections législatives. Les calendriers des deux scrutins ayant été alignés, les Français avaient toujours accordé la majorité absolue à la formation politique du président nouvellement élu. C'est dire le camouflet pour Emmanuel Macron et sa coalition présidentielle. "Cela traduit un mouvement de défiance, qui se mesure aussi aux ténors de la majorité qui mordent la poussière", relève auprès de franceinfo le politologue Jean-Yves Camus.

Ce rejet du pouvoir en place a-t-il profité au Rassemblement national ? "Ce scrutin a été marqué par un anti-macronisme non négligeable, sans doute sous-estimé par les observateurs politiques durant la campagne", explique le spécialiste de l'extrême droite Erwan Lecœur. 

"Par rapport à il y a cinq ans, Emmanuel Macron n'est plus une surprise, les gens le connaissent et en sont souvent mécontents. Pour beaucoup, il s'agissait avant tout de voter contre lui, quitte à voter pour Le Pen."

Erwan Lecœur, sociologue

à franceinfo

L'opposition de gauche n'a d'ailleurs pas tardé à mettre au crédit du chef de l'Etat cette percée du RN. "Si le Rassemblement national est à ce niveau dans le pays, c'est aussi la conséquence des cinq années de politique d'Emmanuel Macron, qui a détruit le pays, qui a mis à bas nos institutions républicaines et notre devise", a fustigé le député de La France insoumise Bastien Lachaud, sur France Inter.

Le choix des thèmes de campagne

Sur les plateaux, dimanche soir, les figures du RN ont vu dans ce "tsunami" électoral la récompense d'un travail de fond sur des thèmes porteurs. Premier cité : le pouvoir d'achat. "Nous avons fait des propositions tout au long de cette campagne, notamment de rendre du pouvoir d'achat aux Français", a souligné la nouvelle députée RN de Gironde Edwige Diaz, sur France Inter. Selon le président intérimaire du RN, Jordan Bardella, les candidats de son parti ont tiré profit de "l'impuissance d'Emmanuel Macron" en matière de "pouvoir d'achat".

Durant la campagne présidentielle, déjà, Marine Le Pen avait tiré son épingle du jeu sur ce thème. "Eric Zemmour est venu la concurrencer sur l'immigration, et elle s'est repliée sur le thème qui était la première préoccupation des Français", rappelait en avril à franceinfo l'historien Nicolas Lebourg. Depuis, l'inflation a flambé, s'étendant notamment à l'alimentation après avoir touché le budget carburant des automobilistes. En face, l'exécutif a peiné à trouver la parade. "Des lois d'urgence pour le pouvoir d'achat seront les premiers textes de ce quinquennat", a promis fin mai la Première ministre, Elisabeth Borne. Mais des hésitations sont apparues sur le calendrier et sur des mesures phares comme le chèque alimentaire.

Malgré un début de campagne poussif, et éclipsé par l'éclosion de la Nupes, le RN a aussi gardé l'oreille de nombreux électeurs en élargissant ses thèmes au-delà du pouvoir d'achat, selon le spécialiste de l'extrême droite Jean-Yves Camus. "Marine Le Pen a fait ce qu'il fallait faire, une campagne sur tous les sujets relatifs au quotidien des Français : le délabrement du système de santé, les déserts médicaux, la sécurité..." Les incidents du Stade de France ont par exemple permis au RN de revenir sur le terrain de la sécurité ces dernières semaines et de toucher l'électorat de droite, abonde sur franceinfo le politologue Gilles Ivaldi.

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