Législatives 2022 : comment les ambitions d'Edouard Philippe ont semé la zizanie au sein de la majorité
Alors que la liste des candidats investis par LREM est en cours de discussion, le parti d'Edouard Philippe veut mener la danse dans certaines circonscriptions. Et crée au passage des tensions inédites entre l'ex-Premier ministre et Emmanuel Macron.
Tensions en hauts lieux. Ce n'est pas le nom de la toute dernière série politique produite par Netflix, mais bien l'ambiance qui règne du côté de l'Elysée depuis la réelection d'Emmanuel Macron. Au cœur du conflit : son ex-Premier ministre Edouard Philippe, bien décidé à prendre sa part du gâteau lors des élections législatives des 12 et 19 juin. Quitte à irriter le chef de l'Etat.
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Contrairement à 2017, où les accords avec le MoDem de François Bayrou s'étaient noués quasiment sans encombre, Emmanuel Macron doit cette fois composer avec une kyrielle de partis pour s'assurer une majorité à l'Assemblée nationale. Pas moins de cinq mouvements politiques alliés ont en effet vu le jour en cinq ans : Territoires de progrès, Fédération progressiste et En commun, pour l'aile gauche et écologiste de la majorité ; Horizons et Agir, pour sa frange la plus à droite.
L'appétit d'ogre Edouard Philippe
Tous tentent désormais d'imposer leurs conditions à La République en marche. Car ces formations, dont certaines jouent leur survie lors des législatives, rêvent de constituer leur propre groupe au Palais Bourbon. Parmi les plus gourmands, on trouve le parti d'Edouard Philippe. Conscient que le scrutin est décisif pour la suite de sa carrière et la présidentielle de 2027, l'ancien Premier ministre a longtemps lorgné sur 140 circonscriptions étiquetées Horizons. Une ambition démesurée aux yeux des autres partenaires d'Emmanuel Macron. Se considérant lésés, des représentants du MoDem montent depuis plusieurs jours au créneau.
"Au-delà du fait qu'Edouard Philippe doit tout à Emmanuel Macron, et qu'il a sacrément tendance à l'oublier, il ne peut pas transgresser le 'deal' qu'on s'est fixé tous ensemble."
un proche de François Bayrouà franceinfo
Parmi les règles établies lors des discussions avec toutes les parties prenantes : l'obligation de laisser la priorité au député sortant, quand celui-ci s'est montré "loyal" au président de la République. "Et dans le cas où le sortant est disqualifié pour cette raison ou ne souhaite pas se représenter, le candidat de la majorité présidentielle doit appartenir au même parti que celui à qui il entend succéder, sauf exception", rappelle ce cadre du Modem.
Edouard Philippe et ses troupes ne respectent pas toujours ces conditions. Ronan Loas, référent d'Horizons en Bretagne et maire de Ploermel, s'est déclaré candidat dans la cinquième circonscription du Morbihan sans attendre la fin des négociations. "J'ai mon tempo et j'ai le soutien de tous les élus locaux, qui ont compris qu'Horizons avait une vraie utilité pour apporter une majorité à Emmanuel Macron", assure l'intéressé à franceinfo. Il est pourtant en conflit ouvert avec Lysiane Métayer, une candidate Territoires de Progrès soutenue par Jean-Yves Le Drian, l'actuel ministre des Affaires étrangères. "J'espère que le bon sens et la modération l'emporteront. Mais je serai candidat jusqu'au bout et je ne céderai rien", promet Ronan Loas.
Scénario inverse mais mêmes conséquences dans la quatrième circonscription du Loiret, où le probable parachutage de Jean-Michel Blanquer passe très mal, selon La République du Centre. Christophe Bouquet, le maire d'Amilly et représentant local d'Horizons, se voyait déjà profiter de la place laissée par le député LR Jean-Pierre Door, qui tenait ce bastion de la droite depuis vingt ans. Mais c'était sans compter sur l'intention d'Emmanuel Macron d'offrir une porte de sortie du gouvernement à son ministre de l'Education nationale.
"Tout le monde veut montrer les muscles"
Les tensions n'ont fait que s'accroître ces derniers jours. Europe 1 affirme même que des noms d'oiseaux ont été prononcés à l'Elysée. "Aucune circonscription pour Horizons, ce sont des cons !", aurait lancé le président à l'un de ses proches. Avant d'ajouter, au sujet d'Edouard Philippe : "Il me doit tout et il pense qu'on est égaux ? Il a fumé les vapeurs du port du Havre ?". Selon la radio, l'entourage d'Emmanuel Macron dément ces propos, assurant que "le sujet du chef de l'Etat est de rassembler le pays".
Mais une fébrilité inédite agite les rangs de la macronie. "Ces périodes de négociations intenses sont forcément des moments tendus car tout le monde veut faire grimper les enchères pour avoir un maximum de députés. C'est un grand classique", témoigne Thomas Rudigoz, élu LREM du Rhône et candidat à sa réélection.
Un sentiment que partage Renaud Muselier, président de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et soutien d'Emmanuel Macron lors de la présidentielle. "Tout le monde veut montrer les muscles, à chaque fois ce sont les mêmes luttes d'influence", souligne l'ex-membre des Républicains. Mais le chef d'Etat sortant "a gagné tout seul l'élection présidentielle et il est donc le grand patron des négociations pour les législatives".
Nicolas Sarkozy manœuvre en coulisses
Du côté d'Edouard Philippe, on veut aussi calmer le jeu. Interrogé mardi 3 mai par plusieurs médias, l'ancien locataire de Matignon a assuré que les petites phrases à son sujet n'étaient que "des clapotis". Gilles Boyer, eurodéputé et bras droit du leader d'Horizons, ajoute que "les discussions se passent bien et que le parti vise la constitution, au minimum, de son propre groupe à l'Assemblée".
"Beaucoup de gens parlent, mais ce ne sont pas ceux qui sont autour de la table. Nous souhaitons vraiment trouver un accord avec le président Macron."
Gilles Boyer, eurodéputé et soutien d'Edouard Philippeà franceinfo
En revanche, exit le "grand mouvement politique d'unité et d'action", souhaité par Emmanuel Macron au soir du second tour de la présidentielle. L'idée d'un parti unique, qui ne plaît ni à Edouard Philippe ni à François Bayrou, semble écartée. A la place, la majorité veut privilégier l'indépendance des différents courants, rassemblés par groupe politique.
On pourrait y trouver, aussi bien chez Horizons que dans les rangs de LREM, d'anciens membres des Républicains déçus par la cuisante défaite de leur candidate, Valérie Pécresse. De potentiels ralliements à la majorité présidentielle encouragés par Nicolas Sarkozy en personne. Selon le Figaro, l'ancien chef de l'Etat a rencontré Emmanuel Macron à l'Elysée en toute discrétion, pour parler des législatives. "Il souhaite que notre courant de pensée soit représenté au sein de la majorité", garantit Renaud Muselier, qui reproche à son ancienne famille politique d'être "la seule à ne pas avoir compris qu'il fallait se marier pour survivre".
En attendant l'annonce des candidats investis par LREM, sans doute à la fin de la semaine, et leur présentation officielle le 10 mai, les tractations entre le parti présidentiel et ses nombreux partenaires vont se poursuivre. Si un accord est trouvé dans les circonscriptions qui bloquent encore, les macronistes ont la possibilité de renouveler l'exploit de 2017. Emmanuel Macron et ses alliés avaient alors remporté 350 sièges sur 577, soit la majorité absolue.
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