Résultats présidentielle 2022 : Emmanuel Macron, un président réélu nettement mais sans élan
Le président sortant bat, pour la seconde fois, la candidate d'extrême droite Marine Le Pen, mais avec un écart de voix plus resserré qu'il y a cinq ans. Une réélection qui s'explique notamment par les crises qu'a traversées le pays mais aussi par la persistance, malgré tout, du front républicain.
"On ne s'est pas projetés dans l'échec", fanfaronnait quelques jours avant le premier tour un dirigeant macroniste. C'est désormais chose faite. Emmanuel Macron restera cinq années de plus à l'Elysée. Il a décroché un second mandat, dimanche 24 avril, face à Marine Le Pen avec 58,54% des voix contre 41,46% pour la candidate d'extrême droite, selon les résultats définitifs publiés par le ministère de l'Intérieur dans la nuit de dimanche à lundi. Marine Le Pen progresse elle de 7,55 points par rapport à 2017.
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Pour ce match retour, l'ancien ministre de l'Economie de François Hollande fait moins bien qu'il y a cinq ans, où il avait totalisé 66,1% des suffrages. Ce resserrement significatif témoigne de l'avancée des idées de Marine Le Pen dans l'électorat français, malgré ce troisième échec de son camp au second tour de la présidentielle. Il sonne aussi comme un sérieux avertissement pour Emmanuel Macron et ses troupes, tant l'espoir d'une victoire de l'extrême droite demeure chez certains, en vue du prochain scrutin présidentiel, en 2027.
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Avec cette réélection, le candidat LREM réussit là où ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy (en 2012) et François Hollande (en 2017) avaient échoué. Quant à François Mitterrand en 1988, et Jacques Chirac en 2002, ils avaient été réélus après une période de cohabitation.
Un front républicain dégradé mais persistant
"A chaque élection, il y a la tentation de l'alternance, le sortant est toujours en situation défavorable, livre l'historien Mathias Bernard, président de l'Université Clermont Auvergne. Contrairement aux élections locales, où il y a une prime au sortant, à la présidentielle, il y a une prime au changement." C'est notamment ce qui avait porté au pouvoir Emmanuel Macron en 2017. Certes, le président sortant de l'époque, François Hollande, n'était pas candidat à sa réélection, mais le fondateur d'En marche ! avait su incarner la nouveauté, prônant le dépassement du clivage gauche-droite au détriment des partis traditionnels.
Sa réélection ne porte pas, cette fois, la marque du changement, encore moins de l'alternance. Elle s'explique par des raisons politiques mais aussi conjoncturelles. Premier ingrédient du succès d'Emmanuel Macron : la persistance d'un front républicain contre l'extrême droite, malgré la dédiabolisation engagée de longue date par Marine Le Pen. Si le front républicain n'a "pas la même vigueur qu'en 2002 et en 2017, il a, malgré tout, joué", soutient Mathias Bernard.
"La crainte et la détestation de l'extrême droite est malgré tout plus forte que la haine que pouvait inspirer Emmanuel Macron à certaines personnes", embraie Jérémie Peltier, directeur des études de la Fondation Jean-Jaurès. "Marine Le Pen reste inquiétante pour plus d'un Français sur deux", rappelle le sondeur de l'Ipsos Mathieu Gallard, en citant une étude de son institut sur le sujet.
De Valérie Pécresse à Yannick Jadot en passant par Anne Hidalgo et Jean-Luc Mélenchon, les candidats éliminés au premier tour ont été nombreux à appeler à faire barrage à l'extrême droite, soit en appelant à voter directement pour Emmanuel Macron, soit en demandant qu'aucune voix n'aille à la candidate du RN. Les deux anciens présidents Nicolas Sarkozy et François Hollande ont aussi appelé à mettre un bulletin Macron dans l'urne. La société civile, qu'il s'agisse de sportifs, d'artistes ou de militants associatifs, s'est également mobilisée pour empêcher l'accession au pouvoir de Marine Le Pen.
L'électorat LR siphonné
Autre atout du locataire de l'Elysée : un électorat qu'il a su consolider. Le chef de l'Etat sortant "a renforcé au cours de son quinquennat son socle majoritaire en conquérant la droite modérée", analyse Mathias Bernard. On l'a vu aux européennes de 2019 où Les Républicains ont fait 8,48% des voix, on l'a encore constaté au premier tour de cette présidentielle où Emmanuel Macron a siphonné l'électorat de Valérie Pécresse (4,78%).
"Emmanuel Macron a consolidé politiquement et sociologiquement son électorat."
Mathias Bernard, historienà franceinfo
Au premier tour, le chef de l'Etat avait ainsi renforcé son score en gagnant trois points (27,85% en 2022 contre 24,01% en 2017). "On parle de procès en illégitimité, mais il a fait 28% quand un Chirac faisait 19", appuie un ministre.
"Une aspiration de retour à la vie normale"
Le candidat Macron a également tiré parti de la succession de crises qui ont émaillé son mandat : crise sociale avec le mouvement des "gilets jaunes", crise sanitaire et économique avec la pandémie de Covid-19 et crise internationale avec la guerre en Ukraine. "Aux yeux d'une bonne partie de l'opinion, Emmanuel Macron a bien géré ces crises, confirme Mathieu Gallard. Il y a surtout le sentiment qu'aucun de ses adversaires n'aurait été à même de faire mieux que lui."
Le surgissement de la guerre en Ukraine dans la campagne avait d'ailleurs fait bondir les intentions de vote en faveur d'Emmanuel Macron. "Le péril international favorise le sortant. On prend moins le risque de l'inconnu et de la rupture", assure Mathias Bernard. A en croire les spécialistes, les Français n'avaient pas tellement envie de basculer dans l'incertitude avec Marine Le Pen. "Il y a une aspiration au retour à la vie normale, hors Covid et hors guerre", selon Jérémie Peltier.
"La majorité de la population n'a pas vocation à voir sa vie chamboulée par du désordre politique, économique et social."
Jérémie Peltier, directeur des études à la Fondation Jean-Jaurèsà franceinfo
Tout cela a freiné la conquête du pays par la candidate du RN et favorisé Emmanuel Macron dont le mandat sera, cette fois, dénué de toute prétention électoraliste, puisqu'il ne pourra pas se représenter en 2027. "Ce nouveau quinquennat est essentiel. Il peut, en cinq ans, faire les réformes dont le pays a besoin", se réjouissait d'avance un chef de file LREM. Encore faudra-t-il avoir une majorité et un cap clair.
Car avant d'entamer toute réforme, le président va se lancer dans la bataille des législatives, qui auront lieu les 12 et 19 juin. D'Horizons, le parti d'Edouard Philippe, à LREM, en passant par le MoDem, mais aussi un groupe LR Macron-compatible, le chef de l'Etat aura fort à faire pour unifier et clarifier les différentes composantes de sa nouvelle majorité. D'autant plus "qu'à 20h01, la course de petits chevaux commence", grince un ministre au sujet des ambitions des uns et des autres. Et que Jean-Luc Mélenchon, arrivé troisième il y a deux semaines, compte bien faire de cette échéance le troisième tour de la présidentielle en rassemblant les forces de gauche, et ainsi contraindre Emmanuel Macron à une cohabitation.
Les citoyens plus associés à la prise de décision ?
L'annonce du futur gouvernement et le choix du Premier ministre devraient déjà donner des signaux sur les orientations politiques d'Emmanuel Macron. Ce dernier a opéré un virage à gauche dans la dernière ligne droite de la campagne dans le but de séduire l'électorat de Jean-Luc Mélenchon. Il a ainsi annoncé qu'il nommerait un Premier ministre en charge de la planification écologique. "La politique que je mènerai dans les cinq ans à venir sera écologique ou ne sera pas", a-t-il affirmé à Marseille.
Elle devrait aussi être moins "verticale", a encore assuré le chef de l'Etat, régulièrement attaqué pour son exercice solitaire du pouvoir. Emmanuel Macron a promis une autre méthode de gouvernement en associant davantage les citoyens. "Nous avons un devoir de rassemblement", prônait à quelques jours du second tour un ministre, parlant d'"une attitude politique" nouvelle.
"Le pays ne supporte plus le passage en force. Il faut une recherche du consensus avec les autres forces politiques."
Un ministreà franceinfo
La victoire d'Emmanuel Macron n'efface pas les erreurs de son quinquennat ni ne réconcilie cette France coupée en deux. "Je ferai tout, dans les cinq années qui viennent, pour qu'il n'y ait plus aucune raison de voter pour les extrêmes", avait-il lancé le 7 mai 2017 sur l'esplanade du Louvre. Cinq ans plus tard, fera-t-il de nouveau la même promesse ?
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