Législatives 2024 : les personnalités politiques ont "une part de responsabilité" dans l'augmentation des violences et des attaques racistes, estime un politologue
Alors que les agressions racistes et les actes de violence se multiplient, ces dernières semaines à l'occasion des élections législatives anticipées, l'augmentation des tensions dépeint une nouvelle ère du racisme décomplexé en France ? Qui en est responsable ? Quels sont les risques après l'élection ? franceinfo a interrogé Olivier Rouquan, politologue et chercheur associé au Cersa (Centre d’Etudes et de Recherches de Sciences Administratives et Politiques).
franceinfo : Que vous évoquent les témoignages de plus en plus réguliers depuis les élections européennes de Français victimes d'agressions racistes qui se multiplient dans les médias ?
Olivier Rouquan : En tant que politologue, je ne vais pas être sur le terrain moral, mais ce que nous savons, c'est qu'il y a une augmentation des coups et blessures volontaires dans notre société. Une augmentation continue depuis 2017. La violence peut donc être symbolique, mais désormais on sait qu'elle est aussi physique. Tout ceci survient dans une société où l'on mesure régulièrement plus de fracturations idéologiques, mais aussi un niveau de tension et d'agressivité dans les rapports sociaux quotidiens qui affleurent. Évidemment, une campagne électorale, parce que c'est une confrontation, elle peut augmenter le passage à l'acte, elle peut augmenter ce qui vient d'être décrit et qui nous rend triste en tant que citoyen. Et notamment pour toute une partie des citoyens qui ont eu droit de traverser une période où les valeurs dominantes étaient des valeurs de débat public, de modération, de tempérance...
"Je pense qu'il faut quand même, au-delà des phénomènes généraux, imputer une part de responsabilité à ce qu'est devenue l'activité politique."
Olivier Rouquan, politologueà franceinfo
Ce sont les politiques qui, d'une certaine manière, par leur comportement, favorisent ces comportements-là de violence ?
Je dirais qu'il s'agit d'un complexe qui est fait à la fois de réseaux sociaux, de médias de masse et évidemment d'acteurs communicants et politiques. Ce que l'on appelle la polarisation ou ce clivage qui revient sans arrêt, qu'est-ce que ça signifie ? Cela veut dire qu'il y a de plus en plus de distance idéologique, donc d'outrance dans le vocabulaire, dans le discours, parfois même dans la gestuelle, et que, en plus, au-delà de la distance, il y a une baisse du respect de l'adversaire. Et à partir de là, si les responsables se laissent régulièrement aller à ce type de comportement, encouragés en cela par certains réseaux sociaux et certaines chaînes d'information en continu, évidemment, cela libère aussi ce qui se passe du côté des militants.
Prisca Thévenot, la porte-parole du gouvernement et son entourage, a été prise à partie à lors d'un collage d'affiches. Une candidate RN, aussi, a été prise à partie en Savoie... Ça, vous l'imputez directement à la parole politique, au fait que les politiques sont dans l'outrance et que donc ça ouvre la porte à tous les débordements ?
Il y a toute une série de facteurs, mais il ne faut pas exonérer les acteurs d'une part de responsabilité. J'ai préalablement indiqué le fait que la violence a augmenté dans les sociétés, dans les rapports sociaux. Les élus sont, depuis plusieurs années, victimes de plus en plus d'agressions : +32 % il y a deux ans, +15 % l'an dernier, alors que la loi a été durcie et le droit sanctionne très sévèrement ces agressions envers des élus. Donc on voit bien qu'il y a toute une série de facteurs, mais qu'il y a presque un retour parfois au climat des années 30. Rappelons que dans notre histoire de longue durée, il y a eu plusieurs périodes où la vie politique était marquée par un échange de coups qui étaient parfois physiques et par des discours tout à fait discriminatoires. Dans les années 60-70, les gaullistes et les communistes passaient souvent, pendant les campagnes électorales, à des affrontements très violents. Et puis, dans les années 80, n'oublions pas qu'il y avait eu, lorsque le FN est arrivé en politique et a fait ses premiers résultats, sur le terrain, notamment sud méditerranéen, des discours racistes et des affrontements entre militants.
Comment, politiquement, peut-on répondre à cette hausse de la violence ? Est-ce qu'il y a une solution qui pourrait émerger après ces élections législatives pour tenter d'endiguer ce phénomène-là ?
Disons qu'au-delà des sanctions, il y a la question de revenir à la raison dans le débat public. Je pense que les appels à la tempérance et la pédagogie, ça passe aussi par des enseignements à l'école ou dans les formations professionnelles.
"La façon dont on peut débattre dans un pays démocratique de façon raisonnée et tempérée, le sens de la négociation, doit retrouver la primeur par rapport à cette excitation, cette volonté de toujours tout dramatiser."
Olivier Rouquanà franceinfo
Pensez-vous que, face à la situation politique qui s'annonce avec trois blocs à l'Assemblée, ce dialogue apaisé peut-il renaître ?
Il y a une question qui va devoir être réglée : c'est celle de la gouvernabilité du pays. Et cela va amener notamment les acteurs politiques à négocier, à trouver des terrains d'entente. C'est un impératif éthique qui se pose à la fois au personnel politique, mais à toute la population. Il faut retrouver une certaine culture, celle qui dominait dans les années 80 - 90, et qui avait été amenée par, notamment, les grands responsables politiques.
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