Reportage Législatives 2024 : dans l'Yonne, l’amertume d'électeurs du Rassemblement national après la défaite de l'extrême droite au second tour

Article rédigé par Valentine Pasquesoone - Envoyée spéciale à Brienon-sur-Armançon (Yonne)
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le centre-ville de Brienon-sur-Armançon (Yonne), le 9 juillet 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)
Si le parti d'extrême droite n'est finalement arrivé que troisième au niveau national, dimanche, il a néanmoins remporté les trois circonscriptions du département.

Christelle sert un premier café aux habitués en ce début de matinée, mardi 9 juillet. L'ambiance est encore très calme au bar-restaurant Le Balcon, repris il y a six mois par l'habitante de longue date de Brienon-sur-Armançon (Yonne). Une atmosphère bien différente de dimanche soir, lors de l'annonce des résultats des élections législatives. "Beaucoup de clients étaient là. Un groupe a dit : 'On a évité le pire', mais d'autres répétaient qu'on était mal barrés", relate Christelle.

Dans cette commune de 3 000 âmes comme dans le reste de la France, le succès du Nouveau Front populaire au second tour, suivi du bloc présidentiel constitue une surprise. Le Rassemblement national et ses alliés, en tête une semaine plus tôt, ont été relégués à la troisième place après une série de désistements chez ses adversaires et d'appels à faire barrage à l'extrême droite. 

"Les autres ont retourné le peuple"

Si l'extrême droite a manqué son pari d'une entrée à Matignon, elle a réussi, dimanche soir, à conquérir un peu plus les territoires de l'Yonne. Les trois circonscriptions du département sont aujourd'hui entre les mains du RN ou de ses alliés, contre deux jusqu'alors. La deuxième circonscription, celle qui inclut Brienon-sur-Armançon, a choisi de peu Sophie-Laurence Roy, candidate ciottiste alliée du Rassemblement national. Le député sortant André Villiers (Horizons-Ensemble), au Palais-Bourbon depuis 2017, a été évincé pour un peu moins de 400 voix (49,58% des suffrages exprimés).

Brienon-sur-Armançon, bourg rural traversé par le canal de Bourgogne, a plébiscité l'extrême droite : Sophie-Laurence Roy y a obtenu 64,56% des voix dimanche. A chaque scrutin, depuis la présidentielle de 2022, le RN n'a cessé de se hisser au premier rang dans la commune. "Je ne sais pas trop pourquoi on vote surtout RN ici", glisse Christelle, qui elle-même a soutenu la candidate ciottiste au second tour. Un choix guidé par une "envie de changement" face au député sortant, même si la gérante vote d'habitude plutôt à gauche. Elle avait d'ailleurs choisi le Nouveau Front populaire au premier tour.

Des affiches électorales près de la mairie dans le centre de Brienon-sur-Armançon (Yonne), le 9 juillet 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Philippe, installé au Balcon un café à la main, ne décolère pas depuis deux jours. Le retraité de 64 ans, qui a travaillé pour une scierie désormais fermée, votait à gauche "dans le temps". "A force d'être pris pour des cons, à force d'être déçu par la gauche et la droite, je me suis dit qu'il fallait donner une chance au RN", souffle le Brienonnais aux yeux bleus, la carrure imposante. Sa réaction, face au barrage qui a bloqué l'extrême droite si près du pouvoir, est catégorique : "Les autres ont voulu faire barrage et ont retourné le peuple. En deux semaines, on se retrouve troisième. Ça me dégoûte."

Pour le retraité, "c'est la peur qui a provoqué le barrage". Une réaction qu'il a du mal à comprendre car, à ses yeux, le RN n'est plus aussi "dur" que lorsqu'il était dirigé par Jean-Marie Le Pen. Nombre de candidats du parti ont pourtant été épinglés durant la récente campagne pour avoir tenu des propos racistes, xénophobes, complotistes ou encore climatosceptiques. "Dans le groupe, il y a des brebis galeuses", reconnaît l'habitant. Cependant, il considère le parti d'extrême droite comme le seul à pouvoir apporter "le changement". 

Une carte d'électeur déchirée

A ses côtés, Jean-Luc raconte avoir déchiré sa carte d'électeur dimanche, après la défaite du RN. Le quinquagénaire est un électeur de longue date de l'extrême droite, tout comme sa famille. En situation d'invalidité, il est d'accord avec "tout" ce que propose le parti, du pouvoir d'achat aux discours xénophobes opposés à l'immigration. Pour lui, les désistements républicains sont une injustice. 

"Les gens ont suivi les bonnes paroles comme des moutons. Faire barrage, je ne suis pas d’accord. C’est une victoire un peu volée."

Jean-Luc, électeur RN habitant à Brienon-sur-Armançon

à franceinfo

Jean-Luc craint de voir ce scénario se répéter lors des prochains scrutins. "A chaque fois, cela se passe comme ça, fustige-t-il. On vote RN, on a plein de voix au premier tour, mais ensuite, le mouton rentre dans la bergerie." A minima, note-t-il, le RN sera désormais le parti le plus représenté à l'Assemblée nationale. 

Dans les rues de Brienon-sur-Armançon, nombre d'habitants préfèrent, contrairement à Jean-Luc et Philippe, ne pas trop parler de politique. Certains se sont abstenus, d'autres ont voté mais "pas pour le RN". Une habitante, croisée dans un supermarché Leclerc avec son mari, souhaite rester anonyme pour témoigner. "J'avais l'habitude de voter à droite avant", pointe la sexagénaire. Cette fois-ci, elle n'a pas choisi André Villiers mais sa rivale ciottiste.

"On se moque un peu de nous"

La Brienonnaise évoque la délinquance, ainsi qu'une perte des traditions. Elle tient à son tour des propos anti-immigration. "Et je suis loin d'être la seule à penser ça." L'alliance anti-RN, durant l'entre-deux-tours, l'interroge. "Je comprends très bien que la gauche soit contre le RN. Mais ça m'a surprise qu'autant de gens à droite soient contre, développe-t-elle. Il y a eu des alliances entre des partis que tout oppose. On se moque un peu de nous."

Joé Gruet, mécanicien automobile dans un garage voisin du supermarché, va dans le même sens. "Ceux qui se sont retirés ont demandé au peuple de voter contre le RN. C'est de la magouille politique. L'opinion publique était différente", glisse le salarié de 33 ans, qui a voté pour Sophie-Laurence Roy. 

Joé Gruet dans le garage où il travaille, le 9 juillet 2024 à Brienon-sur-Armançon (Yonne). (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Un peu plus loin dans la ville, le long de rails de chemin de fer, Lucas Créneau et Frédéric Quatre travaillent au cœur d'une imposante coopérative agricole. Très vite, ils confient leur dépit. "On s'est encore fait voler", dénonce le premier, magasinier de 20 ans qui a "toujours voté pour l'extrême droite".

Dans sa circonscription, voisine de celle de Brienon-sur-Armançon, le député RN Julien Odoul a été réélu dès le premier tour. Mais à l'échelle nationale, "on est en minorité maintenant, le Français n'a pas le courage d'aller voter RN", déplore le jeune homme. Lucas Créneau, qui se dit "nationaliste", en est convaincu : "Il y a eu des fraudes" lors du second tour. Aucune irrégularité n'a pourtant été démontrée.

"Chacun doit faire ce qu’il veut"

A ses côtés, Frédéric Quatre partage le ressentiment de son collègue. Lui aussi vote RN "depuis toujours", surtout "pour l'immigration". "Ils ne veulent pas qu'on passe, c'est inadmissible qu'on fasse des barrages. Pourquoi on nous met des bâtons dans les roues ? Chacun doit faire ce qu’il veut", s'agace le responsable de 38 ans. 

Frédéric Quatre à la coopérative agricole où il travaille à Brienon-sur-Armançon (Yonne), le 9 juillet 2024. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Comme beaucoup, Frédéric Quatre attend de voir la composition du prochain gouvernement, et les mesures prises au fil des mois. "On reste très méfiants", avoue le trentenaire.

Malgré la frustration laissée par les législatives, il garde un espoir pour le prochain scrutin national : la présidentielle de 2027. "Avec ce qu'il va se passer [le nouveau gouvernement], d'ici trois ans, c'est sûr que le RN va faire un bond", assure-t-il.

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