Municipales 2020 : comment le Rassemblement national a géré les villes conquises en 2014
Le FN a gagné 11 villes de 9 000 habitants en 2014. Six ans après, le parti de Marine Le Pen espère que sa politique au niveau local lui permettra de renforcer son ancrage territorial.
Le Rassemblement national a décidé de se retrousser les manches pour les élections municipales. Gilles Penelle, directeur de campagne du parti de Marine Le Pen, a lancé, début janvier 2019, un cinglant "Au boulot ! Les vacances, c'est fini !" aux candidats venus assister à une convention pour les municipales. Car en 2014, le Front national a créé la surprise en remportant 11 villes de plus de 9 000 habitants. Six ans après, l'heure est au bilan. Et le RN mise beaucoup sur ce scrutin pour accroître son ancrage territorial et préparer sa future campagne présidentielle. Tout en évitant de répéter les erreurs du passé.
Les leçons de l'échec de 1995
Le parti de Marine Le Pen nourrissait de grandes ambitions il y a sept ans en présentant près de 600 listes au premier tour des élections municipales. Et il a connu un certain succès, avec 11 villes gagnées par des candidats frontistes ou soutenus par le Front national. Une première, pour le parti d'extrême droite.
A Beaucaire, Hayange, Fréjus, Mantes-la-Ville, Cogolin, etc., l'objectif est clair : pas question de reproduire les erreurs de 1995. Cette année-là, le Front national se réjouit d'avoir conquis quatre mairies : Toulon (Var), Vitrolles (Bouches-du-Rhône), Orange (Vaucluse) et Marignane (Bouches-du-Rhône). Six ans plus tard, c'est la soupe à la grimace : trois des quatre maires sont condamnés pour infraction sur la législation au financement électoral, subornation de témoins, emploi fictif, dépassement du plafond autorisé des dépenses de campagne... Des affaires qui entachent l'image du parti.
Dès 2001, le Parti socialiste reprend Vitrolles et la droite récupère Toulon. A Marignane, Daniel Simonpieri est réélu (mais sous l'étiquette du MNR de Bruno Mégret). Jacques Bompard reste aussi à la tête d'Orange – il quittera toutefois le Front national en 2005 pour rejoindre le Mouvement pour la France de Philippe de Villiers. "Le FN a échoué parce qu'il manquait de compétences", analysait en 2009 Nonna Mayer, chercheuse au Cevipof-Sciences Po dans un article du Monde. Le parti de Marine Le Pen décide de changer de stratégie en 2014 et mise sur la dédiabolisation et la montée en compétence de ses candidats.
Des jeunes mieux préparés que leurs aînés
En 2014, ce sont Cyril Nauth, 32 ans, Julien Sanchez, 30 ans, David Rachline, 26 ans, Joris Hébrard, 31 ans, qui remportent respectivement les villes de Mantes-la-Ville, Beaucaire, Fréjus et Le Pontet. "Les consignes étaient de mettre en avant des jeunes, des gens compétents", se rappelle Frédéric Boccaletti, membre du Front national depuis les années 1990 et candidat à la mairie de Six-Fours (Var). "Ils représentent un certain renouveau de façade. Ils sont plus dynamiques et savent très bien faire", observe de son côté Cédric Bottero, président de VISA, une association intersyndicale qui dénonce l'immixtion sociale de l'extrême droite.
Ces nouveaux élus sont mieux préparés à l'exercice du pouvoir que leurs aînés. "Le parti fait vraiment un effort depuis des années sur la formation des élus", souligne ainsi Valérie Igounet, historienne spécialiste de l'extrême droite française. "Il ne faut pas globaliser, mais quand on parle d'une équipe comme celle d'Hénin-Beaumont, c'est vrai qu'il y a une certaine professionnalisation." La ville emblématique du Pas-de-Calais élit Steeve Briois, vice-président du parti. Un des profils les plus expérimentés parmi les candidats FN.
Il y a eu des consignes très claires oui. Mais aucune interférence du bureau national. Les maires ont géré comme ils le voulaient leur ville.
Frédéric Boccalettià franceinfo
Des gestions individuelles qui présentent des points communs, à commencer par la politique financière. Les maires sortants se targuent ainsi de ne pas avoir augmenté les impôts locaux au cours de leur mandat et d'avoir, pour certains, comme David Rachline, redressé les comptes de leur ville.
Une gestion austère
En 2014, Fréjus occupait la 5e place des villes les plus endettées de France, contre la 12e place en 2018, selon l'analyse des comptes des collectivités effectuée par Le Figaro. Une évolution positive qui doit cependant être nuancée par la "faible capacité" de la ville à se désendetter. En effet, la durée nécessaire au remboursement de cette dette est estimée selon cette étude à 51 ans (quand le gouvernement a fixé un plafond de référence à 12 ans). Après la commune de Bagnolet (Seine-Saint-Denis), Fréjus est la ville qui présente la plus "faible capacité de désendettement lissée".
On ne peut pas dire qu'ils ont creusé les déficits, mais ils ont eu une politique très claire de baisse des dépenses publiques.
Cédric Botteroà franceinfo
Coupe des subventions des associations, effectifs municipaux réduits ou agents non remplacés après leur départ... Les membres de l'association intersyndicale VISA ont listé les mesures d'"austérité" mises en place par les maires frontistes.
Une politique d'austérité qui connaît toutefois des exceptions, comme à Cogolin (Var). Le maire, Marc-Etienne Lansade, proche de Marion Maréchal y est accusé de "dérives financières" par ses opposants. L'élu, qui a quitté en 2017 le RN, a vu ses ardeurs immobilières tempérées par le tribunal administratif. Si deux recours de l'opposition ont été rejetés par le tribunal administratif de Toulon, le projet immobilier du Yotel fait encore l'objet d'un contentieux : les quatre permis de construire sont ainsi en passe d'être annulés, selon le quotidien Var-Matin.
L'obsession de la sécurité
Mais les élus frontistes se sont signalés autrement que par leurs cures d'austérité. "Ce sont des gens très présents sur le terrain. Ils font leur boulot de proximité et d'affichage, observe l'historienne Valérie Igounet. Je ne parlerai pas de 'bonne gestion' mais d'une gestion qui convainc ou qui plaît aux habitants de ces municipalités, qui répond à leurs attentes."
Combien de fois j'ai croisé Julien Sanchez ou Steeve Brivois, que ce soit au marché ou dans des dîners dansants. C'est ce qui plaît.
Valérie Igounetà franceinfo
Une présence locale dont se réjouit le Rassemblement national. "Les gens nous parlent à présent de vrais sujets locaux, alors qu'avant, ils ne nous parlaient que de sujets nationaux", sourit Frédéric Boccaletti.
Ces enjeux locaux n'éclipsent pas pour autant l'idéologie du parti. Partout, la même priorité : la sécurité. Les effectifs de la police municipale ont ainsi été renforcés et les caméras de vidéosurveillance ont proliféré. A Beaucaire, le nombre de caméras a doublé pour atteindre la quarantaine. Idem à Béziers, où Robert Ménard a annoncé début 2019 son intention d'en avoir 200 à la fin 2020 contre une centaine actuellement. "Les élus vous prouvent que c'est justifié dans les magazines municipaux. Ils mettent en avant des faits divers, racontent les courses-poursuites afin de faire régner un climat de peur. Et quelques pages plus loin, ils annoncent la mise en place d'un système d'accompagnement des personnes âgées aux distributeurs bancaires", explique Cédric Bottero.
Autres signaux forts : les mesures liées à l'immigration. Julien Sanchez a supprimé à Beaucaire les menus de substitution des cantines scolaires, Robert Ménard a multiplié les campagnes de stigmatisation des personnes démunies et immigrées, Steeve Briois a lancé une "charte anti-migrants", Marc-Etienne Lansade a interdit la tenue d'un spectacle de danse orientale... Autant de décisions qui permettent de "donner le change à son électorat", selon Francis José-Maria, opposant au maire de Cogolin et président du collectif citoyen Place Publique, créé à l'arrivée du FN aux affaires municipales. "C'est un spectacle permanent", soupire-t-il.
La dédiabolisation a payé
En dépit des polémiques, des condamnations de plusieurs élus et des accusations d'ambiance délétères, la gestion des onze villes est jugée satisfaisante au sein du RN. "C'est un bilan positif : on le voit aux scrutins qui ont été tenus d'année en année, où nos scores ont été largement supérieurs", se félicite Frédéric Boccaletti. En effet, les scores du parti dans les différentes municipalités aux élections régionales de 2015, législatives de 2017 et européennes de 2019 ont été importants : dans 6 des 11 villes, le Rassemblement national est arrivé en première position dans tous les scrutins. Une réussite locale que l'historienne Valérie Igounet impute à la stratégie de dédiabolisation du parti, mais aussi à la conjoncture économique et sociale.
Pour autant, ce n'est pas un parti 'normal'. C'est toujours un parti d'extrême droite.
Valérie Igounetà franceinfo
Une analyse que partage Raphaël Challier, docteur en sociologie à l'université Paris 8. Le chercheur, qui a étudié l'implantation du Rassemblement national dans le Grand Est et les rapports des classes populaires au politique, qualifie la dédiabolisation entamée par le parti dès les années 2000 de "mise en scène". "Au sein du cercle des dirigeants du RN, il y a toujours la présence d'éléments radicaux ou des liens avec des nébuleuses islamophobes comme les identitaires", affirme-t-il.
Pourtant, ce lissage a un effet sur certains électeurs plus modérés. Le parti compte d'ailleurs en profiter, en ouvrant ses listes pour les élections municipales de 2020 à des élus des Républicains et à d'autres sans étiquette. "Sur ma liste, j'ai un tiers de gens RN, un tiers de gens LR et un tiers de gens sans étiquette", soutient Frédéric Boccaletti. A Lunel, dans l'Hérault, six membres Les Républicains ou assimilés ont ainsi rallié la liste de la candidate RN Julia Plane, rapporte Le Monde.
Le courant de la société est plutôt hostile aux plus démunis et aux minorités. D'autres acteurs politiques légitiment le discours du RN et le banalisent.
Raphaël Challierà franceinfo
Une banalisation qui devrait permettre au Rassemblement national de poursuivre son ancrage territorial en vue de la présidentielle de 2022.
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