Remaniement : Edouard Philippe de plus en plus Havrais, l'Elysée de plus en plus agacé
Le Premier ministre est en campagne. Il multiplie les allers et retours entre Paris et Le Havre. Même en pleine semaine, discrètement, il n’hésite pas à déserter Paris pour filer au Havre. Une attitude qui irrite à l'Elysée.
"Il y est allé plein de fois depuis le 11 mai", remarque l’un de ses amis. Samedi 20 juin, au pas de charge, Edouard Philippe célèbre un mariage à la mairie du Havre, s’arrête sur le chantier d’une ancienne caserne et vante son amour du port normand aux micros qui virevoltent autour de lui. Comme si la sous-préfecture de Seine-Maritime n’était plus seulement un enjeu électoral pour le Pemier ministre, lancé dans la campagne des élections municipales, mais de plus en plus une possible base de repli. "Il n’y a plus que Le Havre qui compte pour Edouard Philippe, remarque un proche du Président de la République. Il ne porte plus les sujets nationaux. Son silence au cours des trois jours de violences à Dijon a été assourdissant. Imagine-t-on un Valls ou même Ayrault ne pas se rendre sur place ?"
Les proches du Premier ministre sont également en campagne, dans le 7e arrondissement de Paris, quartier des ministères et de l’Assemblée. "Son entourage se bat pour qu’il reste Premier ministre, même s'ils ne sont pas très adroits pour une fois", observe un dirigeant de la majorité pointant un manque de discrétion supposé. Quant à Edouard Philippe, il multiplie les petites phrases, du type "Le président sait qui je suis, ce que j'incarne, ce que je peux faire et ce que je ne peux pas faire" et s’offre la couverture de Paris Match en pantalon jaune moutarde. Zen, confiant sur son sort… Trop ?
Le 16 juin, dans le quotidien Paris-Normandie, il expliquait qu’il serait de retour au Havre "au plus tard en mai 2022, mais peut-être beaucoup plus tôt", sous-entendant avec sérénité que c’est au président de décider de son avenir. Une semaine plus tard, le 22 juin, l’horizon semble brutalement s’être rétréci. Oublié 2022. Edouard Philippe souligne sur France 3 que son "objectif, c’est d’être maire du Havre, vite. Ça peut arriver très vite. Si ça arrive très vite, ça sera très bien."
Changer de Premier ministre pour "retrouver du rythme" ?
Depuis quelques jours, le climat vire à l’orage. Le Premier ministre ne compte pas que des amis dans l’entourage du président. Et les dagues sont sorties. Pour les partisans d’un profond remaniement, l’équation est simple. "Si on continue comme ça, on est morts ! Il faut retrouver du rythme, prendre des risques, revenir à la promesse initiale de disruption", explique un membre du premier cercle présidentiel. Autrement dit : changer de Premier ministre. "S’il n’y a pas de changement à Matignon, il n’y aura pas de changement dans l’opinion car les Français ne connaissent plus les ministres."
En 2010, François Fillon avait dû prouver à Nicolas Sarkozy son envie impérieuse de demeurer à Matignon. "Edouard Phillipe n’est pas un collaborateur. Le président parle avec le Premier ministre des chantiers qui pourraient s’ouvrir d’ici 2022. Mais c’est au président de jauger si la chefferie gouvernementale doit être remaniée", souligne un poids lourd de La République en marche. "Ils ont fait peu ou prou les mêmes études, ils ont été rocardiens tous les deux, ils ont en commun le sens de l’Etat", renchérit un fidèle d’Emmanuel Macron.
La question c’est de savoir si Emmanuel Macron et Edouard Philippe sont d’accord sur la manière de faire redémarrer le pays.
Un membre de l'entourage du présidentà franceinfo
Dans le premier cercle du président, on est persuadé qu’il ne reste que quelques mois "utiles". Deux ou trois grandes réformes emblématiques, comme la réforme de la dépendance, seront portées par le gouvernement d’ici le printemps 2021. Le redressement du pays sera directement assumé par le président, qui n'oublie pas qu'il a été ministre de l’Économie. Ensuite, la France se tournera vers l’élection présidentielle.
Dans ce contexte, si la réforme des retraites n’est pas enterrée, plus question d’une polémique à rallonge comme celle sur l’âge pivot. "Si le président n’avait pas voulu de l’âge pivot, Edouard Philippe aurait dû obtempérer", rétorque un grand élu. Dans le camp du Premier ministre on dément la vision d’un "Cosaque prêt à tout faire péter pour faire passer sa réforme. Ce qui importe à Edouard Philippe c’est la puissance de la France dans tous les domaines. Et le constat que l’économie somnole depuis vingt ans car la France n’a pas fait les réformes que les autres pays ont menées. Pour le reste Edouard Philippe n’est pas granitique."
L'épreuve du confinement pour le couple exécutif
Ces derniers temps, les frottements ont pourtant semblé se multiplier entre Emmanuel Macron et Edouard Philippe. En particulier sur le rythme du déconfinement. "Le président avait tendance à vouloir aller vite. Le Premier ministre à vouloir y aller mollo, résume un bon connaisseur de l’Elysée. Le Premier ministre est dans la gravité, le président est tourné résolument vers des jours meilleurs."
Conséquence : lors de son allocution du 13 avril, quand Emmanuel Macron annonce le calendrier du déconfinement, il est critiqué pour son excès de précipitation. Sans recueillir des lauriers pour la liberté retrouvée par les Français. À l’inverse, le Premier ministre voit sa popularité s’envoler. "Edouard Philippe, c’est l’intendant du déconfinement, il déroule. Il y a eu une injustice dans le récit politique qui a été fait de ces dernières semaines", tranche, amer, un intime du président de la République.
Cet agacement s’invite parfois jusqu’à la table présidentielle. Chaque lundi, Emmanuel Macron déjeune avec Edouard Philippe, Alexis Kohler, le secrétaire général de l’Elysée, et Benoît Ribadeau-Dumas, le directeur de cabinet du Premier ministre. C’est Alexis Kohler qui avait soufflé le nom d’Edouard Philippe à Emmanuel Macron en 2017. Et le secrétaire général de l’Elysée forme un duo très efficace avec le directeur de cabinet du Premier ministre. À tel point qu’il arrive à Emmanuel Macron d’avoir un front uni contre lui. "Mais c’est le boss ! Donc même à un contre trois, il ne perd jamais le match", sourit un responsable de la majorité qui a l’oreille du président. Emmanuel Macron n’aura pu cependant empêcher l’enterrement de la réforme de l’ENA ou les à-coups sur le calendrier parlementaire de la PMA.
La copie du président n'est pas encore prête.
Un proche d'Emmanuel Macronà franceinfo
Au-delà du gouvernement, l’ensemble de la majorité devrait être bouleversée par le prochain remaniement. "Il faut redonner de l’oxygène aux parlementaires, comme aux ministres. Le centralisme démocratique de Matignon ne peut plus avoir cours", estime un familier de l’Elysée. Les stratèges du président, qui ont déjà les yeux rivés sur la présidentielle, veulent remédier à ce qu’ils appellent la "balkanisation" de la majorité présidentielle. Le fait qu’Edouard Philippe a toujours refusé de prendre sa carte de La République en marche exacerbe la question de son maintien à Matignon. Le Premier ministre, dont la mission sera de conduire un gouvernement de combat jusqu’à l’orée de l’élection, peut-il ne pas appartenir au mouvement présidentiel ?
"Emmanuel Macron réfléchit beaucoup, consulte beaucoup, mais sa copie n’est pas encore prête", observe un familier du président. Alors, partira, partira pas ? Comme à son habitude, Emmanuel Macron, se hâte… lentement. Lundi, au lendemain du second tour des municipales, il recevra à l’Elysée les 150 membres de la Convention citoyenne sur le climat. Dans la soirée, il sera en Allemagne, en conversation avec la chancelière Angela Merkel. Toujours maître de l'avenir de son couple singulier avec Edouard Philippe. Et d'un suspense qui met à vif les nerfs de la majorité.
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