Débat de la présidentielle : les experts et les invités de franceinfo refont le match et donnent la victoire, de peu, à Emmanuel Macron
Peu d'engouement populaire, un débat assez aseptisé, quelques punchlines... Au final, qui d'Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen a le mieux tiré son épingle du jeu lors de ce débat de l'entre-deux-tours ? On a posé la question à nos experts.
Quelque 2h45 de débat, de sourires crispés ou entendus, d'yeux rivés sur les chronomètres des temps de parole des candidats, un coup d'envoi raté et une question : qui d'Emmanuel Macron ou de Marine Le Pen a remporté ce match de l'entre-deux-tours ? franceinfo demande la VAR. Parole à nos invités et aux experts de la rédaction.
2 - 1 pour Macron après un match serré, selon Neila Latrous et Renaud Dély
Journaliste politique à franceinfo, Neila Latrous estime qu'"Emmanuel Macron a été très léger vainqueur". "Une victoire aux points" qualifie de son côté Renaud Dély, éditorialiste politique de franceinfo et animateur des informés du matin. "Ce qui fonctionne, c'est les deux uppercuts dès le début du débat, quand il y avait le plus de téléspectateurs. Il case son attaque sur le pouvoir d'achat en rappelant qu'elle n'a pas voté le bouclier tarifaire sur l'énergie, et puis la passe d'armes très commentée sur la Russie".
"Vous dépendez du pouvoir russe et vous dépendez de Monsieur Poutine... Vous parlez de votre banquier quand vous parlez de la Russie", affirme Emmanuel Macron à Marine Le Pen #debatmacronlepen pic.twitter.com/mnWaLrR1De
— franceinfo (@franceinfo) April 20, 2022
Pour autant, "stratégiquement, Marine Le Pen a été très habile", juge Neila Latrous. "Elle a réussi ses objectifs : faire oublier 2017, ne pas perdre les nerfs. A contrario, Emmanuel Macron est parfois apparu arrogant, condescendant, ce qu'elle cherchait pour dégoûter l'électorat de Jean-Luc Mélenchon".
"Marine Le Pen a poussé Emmanuel Macron dans des excès de technicité, l'a embarqué dans une bataille de chiffres pour dire ensuite : 'moi, je suis au niveau des petites gens'."
Neila Latrousfranceinfo
"Elle s'est comportée comme un boxeur qui est dans les cordes : elle s'est accrochée à son adversaire pour éviter les coups", estime de son côté Renaud Dély. Mais finalement, "Emmanuel Macron a porté des solutions aux constats qui étaient faits par Marine Le Pen".
Avantage Macron donc pour nos journalistes politiques.
Les ex-conseillers de présidents ont vu un bon 2 - 1 pour Emmanuel Macron
Franck Louvrier, ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy, et Gaspard Gantzer, ex-conseiller de François Hollande, ont tous deux salué la prestation d'Emmanuel Macron. "C'était un excellent débat. Emmanuel Macron a plié le match sur le fond comme sur la forme", a indiqué le premier. "On l'attendait en joueur de fond de court laissant Marine Le Pen monter au filet et finalement, c'est lui qui a pris l'offensive tout de suite. Mais elle a quand même réussi un bien meilleur débat qu'en 2017", a estimé pour sa part Gaspard Gantzer, qui participe aussi au podcast "C'est tout com" de franceinfo.
Quelles petites phrases vont rester ? ➡️ "Vous parlez à votre banquier quand vous parlez à la Russie”, pour Franck Louvrier. “Ce qui m’a le plus surpris, c’est la séquence pouvoir d’achat”, répond de son côté Gaspard Gantzer. pic.twitter.com/CEEm7zGwuS
— franceinfo (@franceinfo) April 21, 2022
Au tableau d'affichage, on a donc 2 - 1 en défaveur de la candidate du Rassemblement national.
Sur la stratégie rhétorique, Clément Viktorovitch voit surtout des buts contre leur camp
Pour l'expert en rhétorique et professeur à Sciences Po Paris Clément Viktorovitch, qui tient tous les jours une chronique sur franceinfo, on a assisté hier soir à un "débat à fronts renversés". "C’est Emmanuel Macron qui a demandé à Marine Le Pen de rendre des comptes sur son bilan en tant que responsable politique de l’opposition, analyse-t-il. Sur ses votes à l’Assemblée nationale ; sur la cohérence de son programme avec celui qu’elle défendait il y a cinq ans ; sur l’emprunt contracté auprès d’une banque russe et, plus largement, sur ses positions en matière de politique étrangère."
Clément Viktorovitch a d'ailleurs été frappé de ne pas entendre plus parler de l'affaire McKinsey, qui "n’a été évoquée qu’une seule fois", "la preuve que Marine Le Pen a, pour partie, renoncé à attaquer Emmanuel Macron sur son bilan".
"Voilà donc un débat dans lequel, à nouveau, la candidate du RN opte pour une stratégie discutable, qui lui fait passer en grande partie à côté de l’enjeu du débat : en 2017, démontrer qu’elle pouvait être crédible comme présidente, en 2022, démontrer qu’Emmanuel Macron ne serait pas crédible candidat à sa réélection."
Clément Viktorovitchà franceinfo
Du côté d'Emmanuel Macron, si sa stratégie, qui consiste "à souligner les points de convergence" pour mieux "insister sur les erreurs", "semble avoir payé", sa posture "du professeur atterré par les âneries d’un mauvais élève" n'a fait que "renforcer l’image d’arrogance qu’il possède déjà, au moins auprès d’une partie de l’électorat".
Un but chacun contre son camp, ça nous donne 1 - 1 sur la feuille de match.
0 - 0 sur l'écologie pour le WWF
Pour lui, le débat était "à côté de la plaque" : Pierre Cannet, directeur du plaidoyer et des campagnes du WWF France, a déclaré sur franceinfo être "resté sur sa faim", alors qu'il attendait des précisions. Un débat qui n'était donc pas, selon lui, "à la hauteur des enjeux". Et s'il reconnaît des "projets très distincts", il fustige d'un côté "celui de Marine Le Pen [qui] est clairement un projet d'extrême droite : ralentir la transition", et de l'autre un Emmanuel Macron qui "n'est pas dans le déni climatique, mais [qui] par son action, pour l'instant, des petits pas n'est pas au niveau".
Match nul donc pour cet observateur.
3 - 3 dans le match des porte-parole
Philippe Ballard, porte-parole du Rassemblement national, invité de franceinfo, a estimé que le débat d'hier soir, "c'est 2017 à l'envers". Lors de la précédente élection présidentielle, la candidate du Rassemblement national avait pâti de sa mauvaise prestation lors de ce traditionnel exercice, reconnaissant elle-même par la suite l'avoir "raté".
DIRECT - Quel bilan dans le camp Le Pen ? ➡️ “Ce débat, c’est 2017 à l’envers. D’un côté, vous avez Marine Le Pen, claire, précise, calme. Et de l’autre côté Emmanuel Macron, qui nous dit 'je vais faire, mais pourquoi n’a-t-il pas fait pendant 5 ans ?'”, dit Philippe Ballard. pic.twitter.com/BDs9I1Rl1E
— franceinfo (@franceinfo) April 21, 2022
"D'un côté, vous avez une candidate, Marine Le Pen, claire, précise, calme, pédagogique, avec des solutions concrètes. C'est la candidate du bon sens, prête pour gouverner le pays, lance le porte-parole du RN. Et puis, d'un autre côté, vous avez vu Emmanuel Macron désinvolte, énervé, qui nous a dit : "Je vais faire", mais pourquoi ne l'a-t-il pas fait pendant cinq ans ? Emmanuel Macron ne connaît pas ses dossiers, sur la dette par exemple".
"Depuis 2017", Marine Le Pen "a peut-être changé de ton, mais n'a pas changé sur le fond", a estimé quant à lui le porte-parole du gouvernement Gabriel Attal, invité du 8h30 franceinfo. "Quand on attaque sur la forme, c'est qu'on a, a priori, assez peu d'arguments à donner sur le fond", a-t-il contrattaqué, jugeant le projet d'Emmanuel Macron "sérieux, crédible, financé, qui répond aux préoccupations des Français".
Pour chaque porte-parole, le candidat de leur camp a remporté la partie largement, avec de superbes buts. Au total, ça nous fait donc un beau 3 partout.
Pour le Cevipof, un match nul sans passion
Pour Cécile Alduy, chercheuse associée au Cevipof à Sciences Po et membre de l’Observatoire des radicalités politiques de la Fondation Jean-Jaurès, "personne n'a gagné, mais surtout, personne n'aura vraiment perdu".
La candidate du RN "a essayé d'accroître le clivage sociologique avec Emmanuel Macron, plutôt que de tenter d'attaquer sur son bilan", avec une "maîtrise de la forme" et une "certaine aisance dans sa répartie", pour tenter de "se poser en porte-parole des souffrances des Français et des classes qu'elle appelait les plus vulnérables".
Restons donc ici sur un 1 partout sans éclats.
On fait les comptes ?
Si on se résume les choses, Marine Le Pen a de l'avis général mieux géré son débat qu'en 2017. À en croire nos experts, elle n'en reste pas moins la perdante une fois encore, 9 à 7. En résumé, un match long, où chacun a bougé ses pions, mais n'a pas marqué de buts spectaculaires. N'attirant en conséquence pas vraiment les foules : l'audience du débat est la plus faible de toute la Ve République.
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