: Récit franceinfo De la trahison à l'élection : comment François Hollande a vécu l'ascension d'Emmanuel Macron
En quelques mois, Emmanuel Macron a supplanté son ancien patron pour devenir président de la République.
Il n'imaginait pas cet épilogue-là. Le 26 août 2014, quand il nomme son ancien conseiller au poste de ministre de l'Economie, François Hollande est bien loin de se douter que c'est Emmanuel Macron qui le raccompagnera, un peu plus de deux ans et demi plus tard, sur le perron de l'Elysée pour les derniers instants de son quinquennat. "Macron, c’est un type gentil, gai, qui n’a pas mauvais esprit, ni une ambition dérangeante", confiait-il en mars 2015 à Challenges.
Dimanche 14 mai, c'est pourtant bien son protégé qui l'a remplacé à l'Elysée, après l'avoir contraint à renoncer à briguer un second mandat. Retour, en quatre actes, sur une trahison éclair.
Avril 2016, les premiers pas : "J'ai nommé Macron et je lui fais confiance"
Ce samedi 2 avril, François Hollande organise à l'Elysée une réunion politique. Au programme, la restitution par le sondeur Brice Teinturier, de l'institut Ipsos, et le politologue Martial Foucault, du Cevipof, d'une étude sur "la préparation de la présidentielle, l'état de l'opinion et la situation politique". Sont conviés Ségolène Royal, Julien Dray et Emmanuel Macron. "Royal et Macron sont deux personnalités originales. Leur réaction m'intéresse", justifie un peu plus tard le chef de l'Etat auprès des auteurs du livre Conversations privées avec le président (Albin Michel).
Profitant d'un aparté, le ministre de l'Economie fait une annonce au président : dans la semaine, il lancera un mouvement. "Mais ce n'est pas la première fois qu'il m'en parle. Il l'avait en tête depuis plusieurs semaines", raconte François Hollande. Témoin de la scène, Gaspard Gantzer, conseiller en communication à l'Elysée et camarade de promo d'Emmanuel Macron à l'ENA, assure à franceinfo que "le président l'a plutôt encouragé à le faire". Mais un ancien conseiller, cité par Le Monde, a un autre souvenir de l'échange : le ministre de l'Economie "a atteint ce jour-là un summum dans la duplicité".
François Hollande respecte beaucoup ceux qui s'engagent en politique, il n'allait pas blâmer quelqu'un qui s'investissait...
Gaspard Gantzer, conseiller en communication à l'Elyséeà franceinfo
Quatre jours plus tard, devant 100 à 200 proches, le jeune ministre lance à Amiens, sa ville natale, un mouvement qui porte ses initiales : En marche !. "Ce n'est pas un mouvement pour avoir un énième candidat de plus à la présidentielle, ce n'est pas ma priorité aujourd'hui ", lance-t-il. L'Elysée semble convaincu. "J'ai nommé Macron, je lui fais confiance", assure François Hollande dans Conversations privées avec le président. Mais le 14 avril, le chef de l'Etat semble un peu moins sûr de lui. Sur France 2, au cours d'un prime time exceptionnel, il lâche cette phrase : "Il sait ce qu'il me doit." Et prévient : "C'est une question de loyauté, de loyauté personnelle et politique."
Le choix d'Emmanuel Macron – qui répond le 22 avril au Dauphiné libéré qu'il n'est pas "l'obligé" du président – est pourtant déjà fait. Fin avril, Renaud Dutreil, ancien ministre de Jacques Chirac, le rencontre pour la première fois. Le dialogue, qu'il rapporte à franceinfo, est explicite :
"Vous devriez vous présenter à l’élection présidentielle.
– Oui oui, bien sûr."
"Il était très sérieux, reprend Renaud Dutreil. Je n’ai jamais vu quelqu'un d’aussi déterminé que Macron la première fois où je l’ai vu. C’était clair comme de l’eau de roche qu’il allait vers la présidentielle."
Août 2016, la démission : "Il m'a trahi avec méthode"
Entre François Hollande et son ministre, l'été a été chaud. Le 12 juillet 2016, deux jours avant la traditionnelle intervention du chef de l'Etat pour la fête nationale, Emmanuel Macron s'offre la Mutualité, une salle parisienne historique de la gauche, pour le deuxième meeting de son mouvement. Et il se cache de moins en moins : "Ce mouvement, personne ne l'arrêtera. Nous le porterons ensemble jusqu'en 2017 et jusqu'à la victoire." Dans la salle, des "Macron président !" fusent.
La rentrée scelle le divorce. Le 29 août 2016, Emmanuel Macron est convoqué par François Hollande pour une franche explication. "Tu connais les règles. Quand on est ministre, on se consacre entièrement à son action au gouvernement. On doit agir pour la croissance, redresser l’industrie, stimuler l’économie, mettre en œuvre les lois que nous avons engagées. Pas se consacrer au développement d’un mouvement politique personnel", lance le chef de l'Etat à son ministre, selon des propos rapportés par Le Monde.
Emmanuel Macron prend acte. Le lendemain, il quitte le gouvernement pour "entamer une nouvelle étape de son combat". François Hollande accuse le coup. "Il est un peu scotché par l'audace du jeune homme. On est en août 2016, les Français ne le connaissent que depuis deux ans", se souvient Bernard Poignant, conseiller à l'Elysée et proche du chef de l'Etat. Le président comprend enfin que son ancien ministre ira jusqu'au bout.
Après ce départ, il ne s’est plus fait d’illusions. Il disait qu’on ne sort pas du gouvernement pour faire un petit tour de piste.
Julien Dray, proche de François Hollandeà franceinfo
Le lendemain de la démission d'Emmanuel Macron, François Hollande résume son sentiment dans cette phrase citée par Le Monde – démentie depuis par l'Elysée : "Il m'a trahi avec méthode."
Novembre 2016, la candidature : "Tu as vu ce qu'a dit Emmanuel ?"
Dans l'avion présidentiel qui le ramène de Marrakech, le 16 novembre, le député socialiste Razzy Hammadi est plongé dans la lecture de l'autobiographie de Jean d'Ormesson – Je dirai malgré tout que cette vie fut belle (Gallimard) – quand le président tape sur son épaule. "Tu as vu ce qu'a dit Emmanuel ?" l'interroge François Hollande. Dans la cabine de retransmission, le chef de l'Etat vient de regarder le journal de 20 heures de France 2, où Emmanuel Macron a fait le service après-vente de sa candidature, annoncée quelques heures plus tôt. "Il a dit que sa candidature était irrévocable", glisse le chef de l'Etat. "Comme la tienne, François", tente Sébastien Denaja, député de l'Hérault et fidèle du chef de l'Etat. François Hollande ne répond pas.
Il a laissé planer un de ces silences qui d’habitude laissent penser que tout est ouvert. Mais, le connaissant depuis plus de dix ans, j'ai compris que tout était fermé.
Razzy Hammadi, député de Seine-Saint-Denisà franceinfo
Julien Dray se souvient aussi de la réaction de François Hollande dans les jours qui ont suivi. "Il a fait la tête, parce que cela fermait un peu plus la porte", raconte-t-il. En cette mi-novembre, les obstacles s'amoncellent sur la route du chef de l'Etat. Il y a les mauvais sondages, ce livre de confessions – Un président ne devrait pas dire ça (Stock) – critiqué de toute part, cette primaire, à laquelle son camp veut le contraindre et dans laquelle les frondeurs veulent lui faire mordre la poussière... "Macron, il faut le mettre dans un ensemble, (...) il est dans le lot de ce qui le pousse à renoncer, mais il est loin d'être le seul", estime avec le recul Bernard Poignant, aujourd'hui soutien du candidat d'En marche !. Le 1er décembre, François Hollande jette l'éponge et annonce aux Français qu'il ne briguera pas un second mandat.
Avril 2017, l'élection : "Il vaut mieux que ce soit Macron"
Détaché des contingences électorales, François Hollande profite des derniers mois de son mandat pour sillonner la France et défendre son bilan. Le 20 avril, il est dans le Lot pour une visite chez Andros, le fabricant de compotes. Au magazine Society, qui le suit dans cette dernière ligne droite, le président dit quelques mots de la campagne de son ex-protégé. "Il y avait beaucoup à dire sur ce que l’on a fait. Pour Macron, c'était difficile parce que la droite le caricature en Hollande bis. Mais finalement, cela ne l'a pas fait baisser dans les sondages. Et sans son passage au gouvernement, il ne serait pas là", semble-t-il se féliciter. La victoire d'un frondeur, Benoît Hamon, à la primaire socialiste l'a sans doute aidé à changer de regard sur le candidat d'En marche !, politiquement plus proche de ses idées.
La journée se poursuit par un déjeuner privé chez le sénateur Gérard Miquel, où la campagne est évidemment au menu, entre la truffe et le foie gras. A trois jours du premier tour, le président est confiant. "Moi, j'avais des inquiétudes à la veille d'un premier tour où on nous annonçait Mélenchon et Le Pen très haut, raconte à franceinfo l'élu lotois. Mais Hollande m’a dit, en aparté : 'c’est Emmanuel Macron qui va gagner'." François Hollande ne le lui dit pas clairement, mais Gérard Miquel sent que cette perspective séduit le chef de l'Etat.
Il a toujours eu un œil bienveillant pour Emmanuel Macron, même s’il n’a pas apprécié qu’il s’émancipe comme il l’a fait. Il préfère que ce soit lui qui lui succède. Macron a probablement réalisé ce qu'Hollande aurait souhaité : rassembler les progressistes.
Gérard Miquel, sénateur du Lotà franceinfo
Une analyse partagée par Bernard Poignant. "S'il doit accueillir quelqu'un pour lui succéder, il vaut mieux que ce soit Macron. (...) Son quinquennat sera mieux préservé, dans le commentaire et les appréciations, avec Macron à l'Elysée", estime l'ancien maire de Quimper. Au palais, Gaspard Gantzer croit déceler chez le président "une forme de fierté d’être en situation de passer le témoin à quelqu’un qui a été son collaborateur".
Proche du président, Julien Dray est plus nuancé. "Je pense que François Hollande a vécu cette campagne de manière contradictoire. Il a eu le sentiment qu’on lui avait fait un sale coup et, en même temps, Macron n’en a pas trop fait dans la trahison", analyse-t-il. Le 24 avril, au lendemain du premier tour, le président a apporté officiellement son soutien au candidat d'En marche !. Comment la passation de pouvoir se déroulera-t-elle ? "Ce sera émouvant et chaleureux", prédit Gaspard Gantzer. Julien Dray est plus circonspect : "Les ponts ne sont pas rompus, ils se parlent un minimum. On peut imaginer que leur relation ne sera pas hostile, estime le conseiller régional PS. Mais de là à parler d’un rabibochage…"
Mai 2017 : "Il s'est émancipé"
Un sourire, une poignée de main chaleureuse... Au lendemain de l'élection d'Emmanuel Macron, les deux hommes se sont retrouvés devant l'Arc de Triomphe pour les cérémonies du 8 mai. ""Quand j'avais été élu, mon prédécesseur m'avait invité (...) Cette année, je voulais qu'Emmanuel Macron puisse être avec moi, pour qu'une sorte de flambeau puisse être passé", a déclaré François Hollande.
Devant les caméras de France 2, le président réfute toute trahison. "C'est vrai qu'il m'a suivi durant ces années, de ma candidature à ma présidence. Il s'est émancipé, a voulu proposer un projet aux Français. Il est maintenant le président", a commenté François Hollande, avant de lâcher :
C'est à lui, fort de l'expérience acquise auprès de moi et de ce que nous avons fait ensemble, de continuer sa marche.
François Hollande, président de la Républiqueà France 2
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