Résultats des européennes 2024 : régions, catégories socioprofessionnelles, tranches d'âge... Le RN a gagné des voix dans tout l'électorat
Le raz-de-marée attendu a bien eu lieu. Le Rassemblement national est le grand vainqueur de l'élection européenne en France, dimanche 9 juin. La formation d'extrême droite a obtenu 31,37% des voix lors du scrutin à l'échelle nationale contre 23,2% en 2019, soit une augmentation de plus de 8 points. La campagne a suscité plus d'intérêt que prévu et l'affluence aux urnes a encore progressé. Mais le score de Jordan Bardella, tête de liste du parti d'extrême droite, n'a pas été affecté par cette participation en hausse (51,5% contre 50,12% en 2019).
Quel est donc le profil des électeurs du RN lors de ce vote ? Cette poussée du RN est relativement homogène dans toutes les catégories d'âge, selon une enquête réalisée par l'institut Ipsos pour France Télévisions, Radio France, France 24, RFI, Public Sénat et LCP-Assemblée nationale. Elle est notamment marquée chez les 18-24 ans (+9 points) et chez les 25-34 ans (+10). Cette hausse, observée dans l'ensemble des catégories socioprofessionnelles, est encore plus marquée chez les ouvriers (54% contre 40% en 2019) et les employés (40% contre 27%).
La droite cannibalisée par le RN
Dans le même temps, la hausse du vote RN est spectaculaire dans les foyers déclarant plus de 3 000 euros de revenus par mois, la tranche supérieure retenue par Ipsos, puisque 30% d'entre eux ont choisi de voter RN, contre 18% en 2019. "Le RN a de nouveaux électorats de conquête : CSP+, diplômés, retraités..., souligne sur franceinfo le politologue Benjamin Morel, maître de conférences à l'université Paris 2. Aujourd'hui, le barrage ne marche plus, il n'avait déjà pas fonctionné en 2022."
Ce sont également 8% des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, 7% de ceux d'Emmanuel Macron et 18% de ceux de Valérie Pécresse au premier tour de la présidentielle 2022 qui ont cette fois choisi de voter pour le RN, toujours selon cette enquête Ipsos. Lors du scrutin européen de 2019, le parti avait déjà attiré 18% des électeurs du candidat de droite, François Fillon, à la présidentielle 2017. "On est l'un des rares pays en Europe où la droite conservatrice est à ce point marginalisée", analyse pour franceinfo Jean-Yves Camus. Le politologue pointe du doigt la désertion d'une partie de l'électorat des Républicains, qui s'est une nouvelle fois tournée vers le RN ou la majorité présidentielle.
"Il y a beaucoup de dimensions au vote du RN. Vous avez un vote lié à une colère vis-à-vis de la situation du pays, vous avez un vote quand même associé à des logiques d'hostilité à l'immigration, de racisme, analyse sur franceinfo Mathieu Gallard, directeur d'études chez Ipsos. Et puis vous avez une dimension qui était importante dans ces européennes, c'est tout simplement l'impopularité extrêmement forte du pouvoir en place, d'Emmanuel Macron, de son gouvernement..." Beaucoup d'électeurs, selon lui, se sont tournés "vers l'opposition qui leur paraissaient la plus solide".
Ce scrutin confirme également une tendance de fond : le RN dispose d'une base électorale de plus en plus large. Au total, 42% de ses électeurs avaient déjà arrêté leur choix il y a au moins un mois, loin devant les autres listes : 16% des électeurs du camp présidentiel et 11% pour le PS-Place publique avaient fait leur choix plus de trente jours avant le scrutin.
En tête en Bretagne pour la première fois
"Il y a, dans des parties entières du territoire, un vrai enracinement du Rassemblement national, qui est désormais un parti fort, et même arrivé en tête dans de très nombreux scrutins depuis très longtemps, souligne encore Mathieu Gallard. Il y a un étalement, une progression du RN dans certaines régions qui lui étaient plutôt hostiles dans le passé." La formation de Marine Le Pen continue effectivement de s'implanter partout, y compris dans le Massif central ou dans le Sud-Ouest, où le parti réalisait ses scores les plus faibles en 2019. Il arrive ainsi en tête dans la totalité des régions (Hexagone et outre-mer), à l'exception de la Martinique (devancé par La France insoumise pour moins d'un point).
Fait particulièrement notable, le RN décroche, pour la première fois, une première place symbolique en Bretagne. Dans cette région, longtemps rétive au vote frontiste, la liste de Jordan Bardella a obtenu 25,58%, contre 17,32% aux européennes de 2019. Le RN réalise même le Grand Chelem, arrivant en tête dans les quatre départements bretons (Finistère, Ille-et-Vilaine, Morbihan et Côtes-d'Armor). "C'est un véritable tremblement de terre !", s'est félicité la formation d'extrême droite, qui qualifiait encore la Bretagne de "terre de mission" il y a quelques années.
Le parti décroche également des scores inédits dans certaines communes, comme Châteauneuf-les-Martigues (54,78%), ville de 15 000 habitants dans la zone industrialo-portuaire proche de Marseille, les Saintes-Maries-de-la-Mer (54,34%), 2 600 habitants, en Camargue, ou encore Marignane (54,26%), 33 000 habitants, qui avait été une des premières villes de France à élire un maire d'extrême droite. Le RN, en revanche, peine encore à réaliser des scores similaires dans les très grandes villes. "Même en Bretagne, lors de la dernière présidentielle, on avait vu quand même qu'il y avait une progression. On est sur une poursuite de la tendance", analyse Mathieu Gallard.
"L'analyse par territoires (grande ville, périurbain, rural) est une réalité, mais une réalité à nuancer, poursuit-il. Dans la plupart des grandes villes, le RN reste effectivement à des niveaux bas. Mais il y a des grandes villes, dans le sud de la France notamment, plutôt en déclin, avec un centre-ville paupérisé où le RN explose. A l'inverse, il y a des zones rurales plutôt dynamiques, encore dans l'ouest de la France notamment, où certes le RN arrive en première position, mais il est bien en-dessous de sa moyenne nationale."
Quoi qu'il en soit, cette large victoire du RN, accueillie dans une explosion de joie par ses militants, contribue à la montée en puissance du camp nationaliste et souverainiste au Parlement européen. En France, elle a poussé Emmanuel Macron à dissoudre l'Assemblée nationale, ce qui renverse l'échiquier politique avant l'été. Invité sur franceinfo, lundi matin, le porte-parole du RN, Laurent Jacobelli, a évoqué tout sourire le "premier jour de la fin de la macronie".
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