: Vrai ou faux Législatives 2022 : Emmanuel Macron prévoit-il 80 milliards d'euros d'économies et une augmentation de la TVA, comme le dit Jean-Luc Mélenchon ?
Plusieurs leaders de la Nupes dénoncent un "programme caché" de la majorité. L'intention du chef de l'Etat de ramener le déficit à 3% d'ici à 2027 n'est pas un secret. Mais le gouvernement dit tabler sur 40 milliards d'économies en 5 ans, combinés aux effets de la croissance.
C'est le nouvel angle d'attaque de la Nupes. En plein entre-deux-tours des élections législatives, plusieurs membres de l'alliance de la gauche dénoncent tantôt "le programme caché d'Emmanuel Macron", tantôt "l'agenda caché du gouvernement". Le président se serait "engagé auprès de l'Europe à ramener le déficit du pays à 3%, ce qui représente 80 milliards d'euros" d'économies, a fustigé Jean-Luc Mélenchon, mardi 14 juin, dans une interview au Parisien (lien réservé aux abonnés). Une semaine auparavant, il avait déjà évoqué ces "80 milliards d'euros par an" au micro de France Inter.
Cette affirmation a été reprise par d'autres représentants de la Nupes. Olivier Faure a ainsi évoqué sur France 2, lundi, "un plan qui fait état d'une obligation d'économies de 80 milliards par an". Pour le premier secrétaire du PS, cela passerait "vraisemblablement" par une "augmentation de la TVA", un scénario également évoqué par Jean-Luc Mélenchon.
Un objectif de réduction du déficit à 3% d'ici à 2027
Mais sur quoi se fondent ces affirmations ? Au micro de franceinfo, mardi, Adrien Quatennens, coordinateur de La France insoumise, a évoqué l'existence d'une "copie" transmise à la Commission européenne, dans laquelle Emmanuel Macron "propose un retour au 3% de déficit".
Emmanuel Macron a un programme caché. Il a promis à la Commission européenne un retour aux 3% de déficit, c'est-à-dire 80 milliards d'économie. Où ? Comment ? Il a déjà supprimé 17 900 lits à l'hôpital public. Prévoit-il des recettes supplémentaires avec la TVA ? #8h30FranceInfo pic.twitter.com/AJCE40TXcn
— Adrien Quatennens (@AQuatennens) June 14, 2022
Le site L'Insoumission, édité par La France insoumise, fait explicitement référence au "Programme de stabilité 2021-2027", rédigé par la direction générale du Trésor et remis à la Commission européenne en avril 2021. Ce document de 89 pages est public et accessible sur le site du ministère de l'Economie. Il détaille les prévisions et les objectifs de trajectoire des finances publiques. Habituellement, une nouvelle version est envoyée chaque printemps à Bruxelles. Mais cette année, sa publication a été reportée au début de l'été en raison des élections, comme l'explique Le Monde (lien réservé aux abonnés).
La dernière version de cette feuille de route prévoit de ramener le déficit "sous le seuil de 3% en 2027". Après une dégradation des comptes publics en 2020 et 2021 en raison de la crise sanitaire, le gouvernement anticipe une amélioration progressive de la situation "sur la période 2023-2027". Selon ses projections, le déficit public atteindrait 5% du PIB en 2022, passerait sous les 4% en 2024, avant de tomber à 2,8% en 2027.
En atteignant cet objectif, la France entrerait donc dans les clous du Pacte de stabilité et de croissance, qui demande aux pays de la zone euro de maintenir leur déficit public en dessous de 3% de leur PIB. Plusieurs pays, dont la France, se sont régulièrement écartés de ces critères, notamment lors de la crise économique de 2008-2010. Entre 2017 et 2019, l'Etat avait toutefois réussi à tenir cet objectif, avant que l'économie soit plombée par les répercussions de la crise sanitaire.
Emmanuel Macron n'a jamais caché sa volonté de réduire le déficit public. "Je veux (...) garder nos ancres de finances publiques, qui visent à commencer à réduire la dette à partir de 2026 et à repasser le déficit sous les 3 % du PIB en 2027", déclarait-il en mars lors de la présentation de son programme pour l'élection présidentielle, comme le rapportent Les Echos.
La hausse de la TVA démentie par le gouvernement
Toutefois, à aucun moment le président n'a mentionné la nécessité de réaliser 80 milliards d'euros d'économies pour y parvenir. Ce chiffre ne figure pas non plus dans le Programme de stabilité 2021-2027. Alors, comment la Nupes arrive-t-elle à une telle somme ? Elle base son calcul sur les données de l'Insee. En 2021, le déficit de la France était de 160,9 milliards d'euros, soit 6,5% du PIB. Si le niveau du PIB restait inchangé, il faudrait réduire le déficit de moitié, soit plus de 80 milliards d'euros, pour approcher la barre des 3%.
Mais cet objectif est fixé pour 2027. L'effort budgétaire serait donc étalé sur l'ensemble de cette période. Une note publiée en janvier par l'Institut Montaigne, un groupe de réflexion libéral, estimait qu'il faudrait "réaliser des économies pour un montant de presque 15 milliards d'euros par an et d’environ 70 milliards sur l’ensemble du prochain quinquennat". Cette estimation ne constitue cependant qu'une "tendance", qui reste "difficile à estimer et donc potentiellement faillible", en raison de l'incertitude sur l'évolution du contexte économique, mettent en garde les auteurs.
Bruno Le Maire a, quant à lui, réfuté mercredi sur France Inter le chiffre de 80 milliards brandi par la Nupes. Le ministre de l'Economie dit prévoir "40 milliards d'euros d'économies" sur l'ensemble du quinquennat, dont il a détaillé la provenance : 10 milliards seraient économisés dans le cadre de la réforme des retraites, 20 milliards seraient trouvés dans le budget de l'Etat, et 10 milliards dans celui des collectivités locales. Il conteste l'idée que réduire les dépenses serait la seule façon de tenir l'objectif d'Emmanuel Macron : "Ce qui permet principalement de réduire les déficits et la dette, (...) c'est la croissance, c'est l'emploi", assurait-il le même jour sur LCI. Une croissance qui réduirait le montant des économies nécessaires pour ramener le déficit dans les clous.
Cette idée figure aussi dans le Programme de stabilité 2021-2027 du gouvernement "Une telle trajectoire peut être atteinte par une action résolue de soutien à la croissance potentielle", écrit le Trésor. Qui estime cependant que l'objectif passe aussi par une "maîtrise de la progression de la dépense publique". Le texte mentionne explicitement la réforme des retraites, estimant que "la soutenabilité financière du système n'est pas assurée avec les paramètres actuels". Dans les collectivités locales, le Trésor présente comme une nécessité de poursuivre le recours aux contractuels, élargi par la loi de transformation de la fonction publique de 2019. "De façon transversale, une meilleure efficacité de la dépense publique devra être recherchée", résume le document.
Plusieurs membres de la Nupes agitent de leur côté le risque que le gouvernement ait recours à une hausse de la TVA pour augmenter les recettes de l'Etat, et ainsi réduire le déficit. "Nous avons des informations, quelques éléments, qui nous laissent penser que dans les tiroirs de Bercy, il y a un projet qui est d'augmenter une part de la TVA", assurait Olivier Faure sur France 2 lundi. Contacté par franceinfo, le patron du PS dit s'appuyer sur des "informations de hauts fonctionnaires de Bercy", sans plus de précisions. Le député LFI Alexis Corbière, quant à lui, a évoqué plus prudemment une "hypothèse" sur BFMTV. Du côté du ministère de l'Economie, on dénonce auprès de franceinfo une "fake news". Interrogé sur cette question mercredi sur France Inter, Bruno Le Maire a pris "l'engagement" qu'il n'y aurait "pas d'augmentation de la TVA pendant le quinquennat".
Des incertitudes liées au contexte économique
Reste à savoir si l'objectif de réduire le déficit à 3% d'ici à 2027 est tenable sans avoir recours à de telles mesures. Une mauvaise reprise de l'économie pourrait contrarier les plans du gouvernement. "Emmanuel Macron compte sur la croissance économique et le retour du plein emploi. Il fait l'hypothèse optimiste d'une croissance de 1,8% et d'un chômage à 5%. C'est une hypothèse sans crise économique, sanitaire, conflit armé...", prévient Eric Heyer, économiste à l'OFCE, interrogé par franceinfo. Le contexte international, marqué par la guerre en Ukraine, rend complexe les projections sur cinq ans. L'OFCE a d'ailleurs récemment revu à la baisse ses prévisions de croissance pour 2022 (lien vers un fichier PDF). "La baisse du chômage va être très lente", anticipe également l'économiste.
Toutefois, la "règle des 3%" n'est pas immuable. Les objectifs budgétaires du Pacte de stabilité et de croissance ont été suspendus jusqu'à fin 2023 pour permettre la relance économique après la crise sanitaire. "Les règles européennes ne nous obligent pas à être à 3% à la fin du quinquennat d'Emmanuel Macron", explique Eric Heyer. Alain Trannoy, professeur à l'Ecole d'économie d'Aix-Marseille, rappelle au Figaro (lien réservé aux abonnés) que "la crise du Covid, l'inflation et la situation en Ukraine pourraient pousser l'UE à reconsidérer les règles de stabilisation budgétaires".
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