Au procès des viols de Mazan, la juge d'instruction détaille le "colossal" travail d'enquête effectué dans le dossier Pelicot

Article rédigé par Juliette Campion - De notre envoyée spéciale à Avignon
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Temps de lecture : 6min
Gisèle Pelicot et ses avocats à la cour criminelle d'Avignon (Vaucluse), le 6 novembre 2024. (CHRISTOPHE SIMON / AFP)
Pendant près de deux heures, Gwenola Journot a justifié certains choix et décrit les investigations menées. "Au départ, on pensait qu'on aurait 15 personnes à investiguer", a-t-elle expliqué. Cinquante et un hommes sont finalement jugés.

Elle aura dédié plus de trois ans de travail à ce dossier tentaculaire. La juge d'instruction Gwenola Journot était citée, vendredi 8 novembre, devant la cour criminelle du Vaucluse, lors du procès de Dominique Pelicot et de ses 50 coaccusés pour avoir violé pendant une décennie Gisèle Pelicot à son domicile de Mazan. 

Saisie en novembre 2020, après l'interpellation du septuagénaire un mois plus tôt dans un supermarché de Carpentras, la magistrate avait rendu son ordonnance de mise en accusation en juin 2023 : un document de près de 370 pages, pour 31 tomes d'instruction. "Sur un dossier de cette ampleur, on aurait pu faire dix ans d'instruction", explique Gwenola Journot, vêtue d'une robe noire et d'un gilet blanc.

"Avec les enquêteurs, on a voulu être pragmatiques et faire en sorte que monsieur Pelicot puisse être jugé dans un délai raisonnable."

Gwenola Journot, juge d'instruction

devant la cour criminelle du Vaucluse

La partie civile lui demande des précisions, notamment ce qu'il est advenu des "femmes endormies et non identifiées", visibles sur certaines photos de Dominique Pelicot. La magistrate précise avoir signalé "4 ou 5 profils de coauteurs susceptibles d'avoir reproduit les agissements sur leur conjointe", soulignant qu'une enquête a été ouverte pour une femme qui était effectivement victime de soumission chimique par son mari. "Ça, c'était une satisfaction", souligne-t-elle.

"J'ai visionné toutes les vidéos" 

Antoine Camus, l'un des avocats de la partie civile, l'interroge : pourquoi n'a-t-elle pas essayé d'approfondir les enquêtes sur d'éventuelles agressions subies par Caroline Darian, la fille du couple Pelicot ? Des photos d'elle, nue et endormie, ont en effet été retrouvées sur le disque dur de son père. Elle pense qu'elle a été droguée et violée par lui. "C'est un peu le seul point où Dominique Pelicot n'a pas eu d'explications. Il a nié en bloc", relève la juge d'instruction. Le principal accusé a maintenu ses dénégations lors du procès. 

L'avocat poursuit et rapporte que "l'intérêt du visionnage des vidéos a été âprement débattu et critiqué", au motif notamment qu'il y aurait "une forme de gratuité de leur visionnage, confinant au voyeurisme". Cette semaine encore, un avocat de la défense s'est insurgé contre le fait de montrer les images de son client. Celles-ci ne sont diffusées que lorsqu'un accusé ne reconnaît pas les faits de viol. Parfois, des avocats de la défense ont quitté la salle, en signe de protestation. 

"Pour moi, c'est l'élément central, les vidéos. Je les ai toutes visionnées", rétorque Gwenola Journot, précisant qu'elles ont presque toutes été montrées "en interrogatoire puis en confrontation". La magistrate a donc dû parcourir des centaines de films de viols, pour les besoins de l'enquête, comme l'ont également fait les policiers, qui ont tout retranscrit dans leurs procès-verbaux.

"On a été obligé de faire des vagues d'interpellations" 

Stéphane Babonneau, l'autre avocat de Gisèle Pelicot, prend le relais et lui demande de revenir sur sa méthodologie. Elle se souvient qu'au moment de l'ouverture de l'information judiciaire, Dominique Pelicot "parlait d'une trentaine de personnes venues à son domicile, dont la moitié qui n'aurait fait que regarder". "Au départ, on pensait qu'on aurait 15 personnes à investiguer", se souvient-elle. "Très rapidement, les enquêteurs ont estimé qu'on serait à 60 ou 70."

"On a vite saisi qu'on ne pourrait pas faire toutes les interpellations en même temps. On savait qu'on aurait très probablement des perditions de preuves, notamment numériques, mais on a été obligés de faire des vagues d'interpellations", relate Gwenola Journot. Dix vagues au total, par groupes de dix hommes, selon les capacités du commissariat d'Avignon.

"On s'est rendus compte que [le site] Coco était l'élément central. Il n'y avait pas de liens dans la vraie vie entre les mis en cause."

Gwenola Journot, juge d'instruction

devant la cour criminelle du Vaucluse

Lors de l'enquête, la magistrate avait d'ailleurs noté que la version du "scénario libertin", mise en avant par plusieurs accusés et peu présente lors des premières interpellations, était devenue de plus en plus évoquée au fur et à mesure des vagues d'interpellations et de la médiatisation de la défense de certains mis en examen.

"Le cabinet était vraiment très chargé"

En concertation avec la police judiciaire, elle décide de mettre un terme aux investigations, même si une vingtaine d'auteurs, dont certains "que l'on voit à peine, de façon très floue", n'ont pas pu être identifiés. Pour ceux pour lesquels il a été possible d'extraire des photos exploitables, une planche a été diffusée "dans toutes les gendarmeries, toutes les polices municipales et nationales", ce qui a permis la reconnaissance d'un des accusés.  

L'avocat général lui demande de rappeler dans quelles conditions "humaines et matérielles" Gwenola Journot a instruit cette affaire "en 31 mois". "Vous étiez en responsabilité d'un cabinet d'instruction et c'était un des dossiers de votre cabinet", souligne-t-il. La magistrate explique avoir d'abord géré l'ensemble seule, puis avoir reçu l'aide de collègues, qui ont absorbé les défèrements. "Le greffe a été dédoublé", ajoute-t-elle, reconnaissant du bout des lèvres "des conditions compliquées"

D'autant qu'entre 2020 et 2023, elle a reçu d'autres dossiers, "lourds". "On avait beaucoup de règlements de comptes sur le trafic de stupéfiants à Cavaillon. Donc le cabinet était vraiment très chargé", pointe la magistrate.

"Après, le dossier Pelicot était une priorité. Donc je l'ai fait passer en priorité."

Gwenola Journot, juge d'instruction

devant la cour criminelle du Vaucluse

L'avocat général lui demande de préciser combien d'autres dossiers elle devait gérer, en plus de celui-ci. "Quatre-vingt-dix dossiers en moyenne", répond Gwenola Journot. Le mot de la fin revient à Olivier Lantelme, un autre avocat de la défense : "Je pense, qu'au milieu de la pénurie judiciaire, vous avez fait un travail colossal et de qualité", la rassure-t-il. 

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