Cinq questions après l'agression de deux surveillants à la prison de Condé-sur-Sarthe
Outre les investigations du parquet antiterroriste, une enquête administrative du ministère de la Justice doit tenter de répondre aux nombreuses zone d'ombre.
Après dix heures de retranchement au sein de la prison d'Alençon-Condé-sur-Sarthe (Orne), le Raid a donné l'assaut, mardi 5 mars. Michaël Chiolo, l'agresseur de deux surveillants, a été interpellé. Sa compagne a succombé à ses blessures. Au lendemain de cette agression qualifiée de "terroriste" par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, de nombreuses interrogations persistent. Franceinfo fait le point.
L'agresseur était-il placé dans une unité pour détenus radicalisés ?
Michaël Chiolo purgeait une peine de trente ans de réclusion criminelle pour "arrestation, enlèvement, séquestration suivie de mort et vol avec arme", et d'un an d'emprisonnement pour "apologie publique d'acte de terrorisme". L'homme de 27 ans était "un détenu de droit commun, placé au regard de ses antécédents dans l'un des établissements les plus sécuritaires du pays", a rappelé la ministre de la Justice lors d'une conférence de presse.
Il était inscrit au fichier des signalements pour la prévention et la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT), mais ne comptait pas parmi la douzaine de détenus du quartier de prévention de la radicalisation (QPR), ultra-sécurisé, de Condé-sur-Sarthe, signale Le Monde. "L'unité pour détenus radicalisés n'a ouvert qu'en septembre 2018 donc M. Chiolo est arrivé bien avant l'ouverture de ces quartiers", justifie Damien Pellen, premier secrétaire du syndicat national des directeurs pénitentiaires (SNDP) sur franceinfo. "Au quotidien, il n'était pas quelqu'un qui montrait des signes de passage à l'acte violent ou imminent. Toute notre difficulté au sein de l'administration pénitentiaire c'est d'évaluer la potentialité d'un passage à l'acte."
Néanmoins, Michaël Chiolo, comme 1 000 autres détenus de droit commun radicalisés, aurait dû être évalué dans le quartier d’évaluation de la radicalisation (QER) à partir du printemps, rapporte Le Parisien. A l’issue de cette évaluation, les détenus peuvent être orientés à l’isolement ou cette fois vers des QPR, précise le quotidien.
Comment un couteau a-t-il pu entrer dans l'établissement ?
C'est une des questions centrales posées dès mardi par Nicole Belloubet. La garde des Sceaux a indiqué vouloir "comprendre précisément" comment un couteau en céramique a pu être introduit dans la prison et "comment est-ce que ça n'a pas été repéré". Un rapport de l'Inspection générale de la justice a été commandé à ce sujet.
"La céramique n'est pas détectable dès l'instant où on rentre en prison. Les visiteurs passent par un portique qui ne mesure que la masse métallique. La céramique n'en contient pas donc ça ne sonne pas", a expliqué de son côté Yoan Karar, secrétaire général adjoint du syndicat national pénitentiaire Force ouvrière, sur franceinfo.
"Légalement, un personnel de surveillance n'a pas le droit de procéder à une palpation sur les visiteurs sans leur accord. Donc, comme le portique n'a pas sonné, il n'y avait pas lieu de faire cette palpation de sécurité supplémentaire, donc le couteau est rentré très facilement", a-t-il ajouté.
Pourquoi avait-il droit à un week-end en unité de vie avec sa compagne ?
Depuis 2003, certaines prisons sont équipées d’unités de vies familiales (UVF). Aujourd'hui 50 établissements pénitentiaires, sur les 186 existants en France, en possèdent, signale le ministère de la Justice. Il s'agit d'appartements témoins où les détenus, peuvent passer de 6 à 72 heures avec leurs proches, le plus souvent femmes et/ou enfants.
Le chef d’établissement autorise ces UVF, sur recommandation de la commission pluridisciplinaire unique (CPU). Selon les informations du Parisien, Michaël Chiolo, avait déjà eu droit à plusieurs UVF. Elles s’étaient bien déroulées jusqu’à présent. "Il y a des contrôles régulièrement, à des heures définies pour voir si tout se passe bien au sein de ces unités de vie", détaille Damien Pellen. Sa compagne, elle, bénéficiait d’un permis de visite délivré par le même chef d’établissement, poursuit le quotidien.
Ces droits de visite accordés à Michaël Chiolo au sein de l'unité de vie familiale ne choquent pas Damien Pellen du SNDP. "Pour un établissement accueillant des détenus qui sont majoritairement condamnés à plus de vingt ans, [cette possibilité] ne me paraît pas du tout étrange. Ce sont des décisions qui se prennent régulièrement. La longueur de peine ne fait pas forcément la dangerosité en détention", précise-t-il sur franceinfo.
Quel est le rôle exact de sa compagne ?
Plusieurs questions se posent quant à l'implication de la compagne de Michaël Chiolo dans l'attaque. Selon des sources concordantes citées par l'AFP, elle aurait pu cacher le couteau céramique, ainsi qu'une ceinture d'explosifs factice dans un faux ventre de femme enceinte. D'autres médias affirment que la femme de 36 ans, tuée lors de l'assaut, était bel et bien enceinte.
D'après une source proche du dossier à franceinfo, elle a simulé un malaise pour faire venir un agent pénitentiaire. Par ailleurs, c'est elle qui aurait donné le premier coup de couteau au surveillant, selon les informations de France Télévisions.
Les surveillants étaient-ils suffisamment armés ?
Le rapport commandé devra aussi répondre à cette question. La ministre de la Justice s'est en effet demandé, lors de la conférence de presse, si "toutes les ressources du renseignement pénitentiaire" ont bien été "mobilisées" dans cette affaire, et si les surveillants qui sont venus rejoindre le détenu "étaient parfaitement équipés".
« Ce sont des détenus dangereux qui n’hésitent pas à attaquer les surveillants, et nous on a un sifflet et une radio pour travailler. Il faut repenser nos conditions de travail. » #surveillants #prison #Alençon @OuestFrance61 pic.twitter.com/hCqLMPaz95
— Victor Guillaud-Luce (@Victor__GL) 6 mars 2019
Pour Yoan Karar, secrétaire général adjoint du Syndicat National Pénitentiaire Force ouvrière, la fouille des visiteurs devrait "clairement" être systématique en période de menace terroriste. ll regrette que ce ne soit pas autorisé aujourd'hui par la loi.
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