Apologie du terrorisme : pourquoi la justice est accusée de taper trop fort
Plusieurs dizaines de procédures judiciaires ont été ouvertes afin de juger des cas d'"apologie du terrorisme" ou de "menace d’action terroriste". Le ministère de la Justice appelle les parquets à faire preuve de sévérité.
La liste s'allonge d'heure en heure. Après les attentats commis en France, plusieurs dizaines de procédures judiciaires ont été ouvertes en France pour "apologie du terrorisme" et "menaces d'actions terroristes", avec de nombreuses condamnations à la clé. De quoi choquer certains spécialistes du droit de la presse, comme Basile Ader, interrogé par l'AFP. "On est 'en temps de guerre'. Dans toute l'histoire, y compris en démocratie, des temps de guerre justifient des mesures exceptionnelles." Retour sur les principaux griefs adressés aux magistrats.
Parce que les parquets ont des consignes de sévérité
"A mon avis, si les faits s'étaient déroulés avant l'attentat du 7 janvier, il n'y aurait pas eu de peine ou alors d'une moindre importance." Le client de Me Catherine Perbet a été condamné à six mois de prison ferme pour avoir déclaré : "Ils ont tué Charlie, moi j'ai bien rigolé." La peine est excessive, estime l'avocate. "Il avait regardé la télé toute la journée, souffre d'un peu de retard intellectuel et avait bu." Le parquet, lui, avait requis un an. Il faut dire que le 12 janvier, la ministre de la Justice, Christiane Taubira, a adressé une circulaire aux procureurs afin de leur demander de faire preuve de "réactivité" et de "fermeté" dans ces affaires. Du coup, "les réquisitions font systématiquement référence aux attentats de début janvier, même quand l'affaire n'a aucun lien", reprend Catherine Perbet.
Parfois, les magistrats sont plus sévères encore que le parquet. Alors que trois mois de prison avaient été requis contre un jeune homme, à Béziers (Hérault), celui-ci a été condamné à six mois ferme, lundi 19 janvier.
Parce que le nombre de cas interpelle…
Depuis les attentats commis en France, quelque 157 procédures judiciaires avaient déjà été engagées vendredi, selon un décompte du ministère de l'Intérieur. Parmi elles, 69 concernaient une "apologie du terrorisme" ou une "menace d’action terroriste". Le nombre de condamnations s'élevait alors à une trentaine, selon un décompte réalisé par Libération. Depuis, ces chiffres ont bien sûr gonflé. La multiplication de ces cas fait-elle écho à des provocations plus fréquentes ou à une sévérité accrue ? Sans doute un peu des deux. "L’heure n’est pas à l’ouverture de procédures inspirées par des réactions à chaud, mais bien plutôt à la mise en place de mesures réfléchies qui protègent des vies et respectent les droits de tous", souligne toutefois Amnesty International.
… et qu'ils sont jugés en comparution immédiate
La rapidité des procédures interroge. "Les lourdes condamnations pleuvent, assorties d'incarcérations à l’audience, regrette le Syndicat de la magistrature. Telle est la désastreuse justice produite par le recours à la comparution immédiate dont la loi du 13 novembre 2014 a fait une nouvelle arme de lutte." Le texte législatif est tout à fait clair sur ce point : "L'insertion de ces délits dans le Code pénal permettra d'appliquer les règles de procédure et de poursuites de droit commun (…) comme la possibilité de saisies ou la possibilité de recourir à la procédure de comparution immédiate."
Parce que la définition de l'apologie est parfois floue
Il est parfois difficile de distinguer ce qui relève ou non de l'apologie du terrorisme, "dont la définition reste vague", regrette Amnesty International. Pour aider ses officiers, la préfecture de police de Paris a rédigé un document interne. Ce texte, consulté par francetv info, précise que "le simple fait pour un individu de crier 'Allah Akbar' sur la voie publique n'est évidemment pas constitutif de l'infraction prévue à l'art. 421-2-25 CP". Le délit est en revanche constitué quand "ce même cri" est contextualisé (adressé à des policiers, poussé devant une synagogue…), qu'il s'accompagne de gestes (par exemple, en mimant une arme) ou en cas d'attitude agressive ou menaçante.
D'autres critères entrent en compte. Ainsi, la justice a relaxé un Grenoblois accusé d'avoir célébré l'attentat contre Charlie Hebdo et d'avoir menacé de mort un collègue, car les faits s'étaient déroulés dans une entreprise et non en public. A l'inverse, un jeune homme a été condamné à un an de prison dont dix mois avec sursis pour avoir menacé de "flinguer" des policiers, une fois menotté dans leur fourgon. L'avocat avait pourtant plaidé la relaxe, puisque les propos n'étaient pas publics.
> Ce qu'il faut savoir sur le délit d'apologie du terrorisme
Parce que certains cas semblent relever de l'outrage
"On est les sœurs Kouachi, on va sortir les kalachnikovs !" a crié une Nantaise de 14 ans, lors d'un contrôle dans le tram par des agents. Elle a été mise en examen pour "apologie du terrorisme". Selon la blogueuse magistrate de francetv info, ce discours "pourrait mieux correspondre au délit d'outrage à personne chargée d'une mission de service public prévu par l'article 433-5 du Code pénal". Plus largement, la secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, Laurence Blisson, interrogée par 20minutes.fr, réclame "une réflexion pour savoir si leurs propos relèvent vraiment de l'apologie du terrorisme, ou si cela relève plus de la forme, hélas actualisée, de l'outrage à la police".
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