Dans l'ancienne mosquée des frères Kouachi, on condamne l'attaque contre "Charlie Hebdo"
Les imams de France ont été invités par les grandes fédérations musulmanes à condamner "avec la plus grande fermeté la violence et le terrorisme" lors de la grande prière du vendredi. Reportage dans le 19e arrondissement, à Paris.
La mosquée fréquentée au début de leur radicalisation par Chérif et Said Kouachi, les deux frères qui ont revendiqué l'attentat contre Charlie Hebdo et tués à l'issue de leur traque, vendredi 9 janvier, n'existe plus. Au 39 rue de Tanger, dans le 19e arrondissement de Paris, les anciens entrepôts des tissus Bouchara, reconvertis en un immense lieu de culte, ont été démolis. Les travaux de reconstruction durent depuis presque dix ans.
En attendant, la mosquée Adda'wa s'est installée à quelques stations de métro de là, au bord du boulevard périphérique, près de la porte de la Villette, sur un terrain octroyé par la mairie. Dans un vaste hangar de tôle ondulée, les fidèles se réunissent pour la grande prière du vendredi.
"Ils sont plus que bêtes"
L'attaque contre Charlie Hebdo, "c'est mal, c'est très mal", glisse timidement Sami. "Ici, ça se passe bien avec tout le monde. Français, juifs, chrétiens..." assure ce jeune musulman venu d'Espagne. "C'est pas bien ce qu'ils ont fait. Ils sont plus que bêtes", commente sans s'attarder un homme aux cheveux grisonnants et en gilet fluo, chargé de l'accueil des fidèles.
Lui se souvient de l'affaire de "la filière des Buttes-Chaumont", ce réseau qui, dix ans plus tôt, avait envoyé une dizaine de jeunes du quartier combattre en Irak. Elle avait valu à Chérif Kouachi, alors apprenti jihadiste, une condamnation. Mais "c'était il y a longtemps", lâche l'homme d'un ton définitif. Dans la salle de prière, ils sont un millier environ, alignés en rangs serrés, pieds nus ou en chaussettes sur l'épaisse moquette verte. L'imam commence son prêche.
"Nous vivons ce jour sous un ciel sans étoiles"
Les imams de France ont été invités par les grandes fédérations musulmanes à condamner "avec la plus grande fermeté la violence et le terrorisme" lors de la grande prière. Larbi Kerchat, figure historique de l'islam de France, ne déroge pas à la règle. Ce septuagénaire d'origine algérienne, cofondateur de la mosquée Adda'wa en 1979, s'exprime d'une voix grave et posée, en arabe puis en français.
"Nous vivons ce vendredi sous un ciel sans étoiles", commence-t-il. "Nous sommes très attristés par cet acte sauvage qui a abouti à faucher des innocents." "Chaque être humain sain d'esprit doit avoir face à cette barbarie un seul mot : 'condamnation'." Il le scande trois fois. "Nous condamnons cet attentat. Nous condamnons ses auteurs, quels qu'ils soient. Nous condamnons leurs soutiens. Nous condamnons ceux qui tirent les ficelles", martèle-t-il.
"Je ne justifie pas l'injustifiable"
"Une telle barbarie suscite la peur, la suspicion, crée un climat de méfiance. Tout le monde est dans le même bain", prévient-il. Le religieux rappelle un verset du Coran : "Quiconque tue un seul être humain est considéré comme s'il avait assassiné toute l'humanité." Son micro sature. "J'adresse sincèrement mes condoléances à toutes ces familles qui ont perdu des êtres chers", conclut-il. L'auditoire reste silencieux.
"L'islam est synonyme de paix", clame-t-il. Dans son sermon, des mots reviennent : "responsabilité", "bienveillance", "solidarité", "générosité", "ouverture". "Ce discours n'était pas circonstanciel", assure Larbi Kerchat à la sortie de la mosquée.
"En tant que musulman, les caricatures publiées par Charlie Hebdo me choquent, mais je respecte la liberté d'expression. A l'époque de leur publication, j'étais de ceux qui avaient appelé à ne pas manifester. La réponse à une expression ne peut être qu'une autre expression. Je ne justifie pas l'injustifiable."
Les frères Kouachi "sont le produit de ce qu'est la société"
Chérif et Said Kouachi ? "Je ne les connaissais pas du tout. J'ai découvert leur nom aujourd'hui", se défend l'imam. "Il faut laisser la religion de côté. Ils sont le produit de ce qu'est la société", argumente-t-il. Et les apprentis jihadistes de "la filière des Buttes-Chaumont" ? "Ce n'est pas mon rôle de les détecter. Ma fonction, c'est d'enseigner les bons principes de vie. La mosquée est ouverte à tout le monde, comme les églises ou les synagogues. La prière ne dure qu'une heure. Je ne suis pas responsable des 23 autres."
Larbi Kerchat a tenu à accueillir la presse dans sa mosquée et la remercie d'être venue – en dépit des regards sévères de certains fidèles. Il reproche cependant aux journalistes de ne s'intéresser à l'islam que dans ce genre de circonstances.
"Les musulmans sont humiliés"
Dans le quartier Stalingrad, à deux pas du chantier sans fin de la future mosquée, un jeune homme au fin collier de barbe fume sa cigarette sur le pas de porte d'une supérette. L'attaque contre le journal satirique, "ici, tout le monde en parle", reconnaît-il. Il n'approuve pas les caricatures publiées par l'hebdomadaire : "En France, il y a la liberté d'expression, mais en même temps on ne peut pas insulter les gens."
"Les musulmans sont humiliés", juge-t-il. Il évoque les mosquées prises pour cible dans plusieurs villes de France depuis l'attaque contre Charlie Hebdo et les manifestations islamophobes en Allemagne. Mais les humiliations ne sauraient justifier les crimes. Les assaillants de Charlie Hebdo ? "Ils se sont perdus. Ils croient avoir fait ça au nom du prophète mais ils se trompent. Si le prophète était là, il les combattrait." Lui voit comme un modèle l'Arabie saoudite et la charia qu'elle applique. Et il l'assure : "Des comme eux [comme les frères Kouachi], il n'y en a plus dans le quartier."
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