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Les mesures annoncées par Valls auraient-elles permis d'arrêter les terroristes ?

Le Premier ministre a annoncé une série de mesures pour renforcer la lutte contre le terrorisme à la suite des attentats perpétrés par les frères Kouachi et Amedy Coulibaly.

Article rédigé par Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Le Premier ministre, Manuel Valls, annonce une série de mesures pour lutter contre le terrorisme, à Paris, le 21 janvier 2015. (PHILIPPE WOJAZER / AFP)

"Le risque zéro n'existe pas, mais notre devoir, c'est d'agir", a affirmé Manuel Valls lors de la présentation de son plan de lutte contre le terrorisme, mercredi 21 janvier à l'Elysée. L'objectif du Premier ministre : montrer que le gouvernement ne reste pas inactif après les attentats à Charlie Hebdo, à Montrouge et à la porte de Vincennes, qui ont coûté la vie à 17 personnes : plus de 400 millions d'euros vont notamment être mobilisés.

Pour quelle efficacité ? Ces mesures permettront-elles vraiment de protéger la France d'attentats semblables à ceux perpétrés entre le 7 et le 9 janvier ? Francetv info s'est penché sur trois des principales mesures de ce dispositif et a interrogé d'anciens professionnels du renseignement pour savoir si elles auraient pu faire la différence dans le cas des frères Kouachi et d'Amedy Coulibaly.

Un fichier de terroristes potentiels

Un nouveau fichier va voir le jour. Les individus recensés dans cette base de données auront obligation de déclarer à intervalles réguliers leur adresse et leurs déplacements à l'étranger. Si ce fichier avait existé avant les récents événements, les frères Kouachi et Amedy Coulibaly auraient eu leur place dans la liste au regard de leurs parcours. Tous trois ont été inquiétés par la justice lors d'un projet visant à faire évader de prison l'islamiste Smaïn Aït Ali Belkacem, auteur de l'attentat du RER C à la station Musée d'Orsay en octobre 1995, à Paris. Amedy Coulibaly a même été condamné à cinq ans de prison dans cette affaire.

Cela aurait-il changé quelque chose ? "Cela ressemble à un pansement sur une jambe de bois, il existe déjà des fichiers, confie à francetv info un ancien de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). On sait que certains peuvent se radicaliser très vite sans être inscrits sur ce fichier. On ajoute une nouvelle structure pour rendre le système encore plus illisible." Interrogé par francetv info, un autre membre des services tempère : "Ce fichier peut être utile au niveau de la prévention et du suivi des personnes, car il peut se révéler plus efficace que les fichiers existants."

Des quartiers spécifiques au sein des prisons

La mesure est déjà expérimentée à la maison d'arrêt de Fresnes (Val-de-Marne), mais le gouvernement souhaite créer cinq nouveaux quartiers spécifiques afin d'isoler les détenus jugés radicalisés du reste de la population carcérale. Pour mémoire, Chérif Kouachi et Amedy Coulibaly se sont rencontrés à la prison de Fleury-Mérogis (Essonne), en 2005. Ils y ont aussi fait la connaissance de Djamel Beghal, une figure de l'islam radical incarcéré pour avoir projeté un attentat contre l'ambassade des Etats-Unis à Paris.

Cela aurait-il changé quelque chose ? "C'est une bonne mesure qui aurait dû être prise depuis longtemps", juge un ancien des services, en précisant que l'administration pénitentiaire doit faire en sorte de couper efficacement les communications de ces détenus isolés, notamment en luttant contre les téléphones clandestins. En effet, en 2005, Amedy Coulibaly s'était lié d'amitié avec Djamel Beghal alors que celui-ci se trouvait pourtant à l'isolement.

Pour un ancien membre de la DGSE, la mesure va dans le bon sens : "De nombreuses conversions se déroulent en prison sous l'influence de guides spirituels douteux. Les gens sont vulnérables, influençables et les jihadistes ont souvent une image de caïds." En ayant pris cette mesure plus tôt, "on aurait sans doute pu éviter certains drames en empêchant ces radicalisations".

Des moyens humains et financiers supplémentaires

Manuel Valls a promis 425 millions d'euros de crédits d'investissement, d'équipement et de fonctionnement et 2 680 emplois supplémentaires sur trois ans, dont 1 100 alloués aux services de renseignement intérieur. La responsabilité de ces derniers a été pointée du doigt après les attentats. Alors même qu'ils étaient surveillés, les frères Kouachi sont parvenus à se jouer des services et Amedy Coulibaly est également passé à travers les mailles du filet après sa libération pour bonne conduite. Pour leur défense, les services de renseignements avancent le manque de moyens.

Cela aurait-il changé quelque chose ? Difficile à dire. "Comme l'a dit le Premier ministre, il y a un énorme potentiel de personnes à surveiller - 3 000 reste un minimum, selon moi", s'inquiète un ancien membre du renseignement. Selon lui, chaque suspect nécessite une équipe de 18 personnes pour une surveillance complète, et chaque cible développe une arborescence autour d'elle. "Il faudrait donc des dizaines de milliers de recrues supplémentaires pour s'approcher du risque zéro", ajoute un ancien de la DGSE. Actuellement, la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) dispose de 3 000 employés.

"Les services vont devoir continuer à faire des choix", pointe un ancien du renseignement. Des choix comme celui qui a conduit les services à arrêter la surveillance des frères Kouachi à l'été 2014 par manque de preuves, après deux ans de surveillance. "Mais il ne s'agit pas uniquement d'un problème de moyens. Le renseignement est devenu une administration ronronnante installée dans des habitudes, ce qui est dramatique dans ce domaine", regrette un ancien des services. Celui-ci considère que le renseignement s'est "planté sur Coulibaly comme sur Mohamed Merah"en sous-estimant leur dangerosité : "Les deux présentaient des profils clairs de psychopathes."

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