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Marseille : et s'il manquait autre chose que des policiers ?

A chaque nouvel homicide, de nouveaux fonctionnaires de police sont envoyés en renfort dans la cité phocéenne. Mais ce n'est pas ce que réclament les habitants des quartiers sensibles. 

Article rédigé par Salomé Legrand - Envoyée spéciale à Marseille,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Plusieurs centaines de personnes, principalement des habitants des quartiers nord, marchent contre la violence et les inégalités à l'appel du Collectif du 1er juin, le 1er juin 2013 à Marseille. (MAXPPP)

Il pleut des policiers sur Marseille (Bouches-du-Rhône). A chaque nouveau "règlement de comptes" – "assassinat", précisent les habitants –, de nouveaux effectifs sont envoyés dans la deuxième ville de France. Plus de 650 "renforts" en un an. Et 80 supplémentaires dans la besace de Jean-Marc Ayrault, qui doit annoncer un plan de 2,5 milliards d'euros pour la cité phocéenne, vendredi 8 novembre. Sur place, habitants des quartiers sensibles et autorités ne sont pas convaincus. "On n'est plus au niveau de la ZUS [Zone urbaine sensible], là, ce qu'il faut, c'est le plan Orsec", confie l'un d'eux. "On a besoin de sécurité, mais pas plus que les autres, c'est pas l'essentiel", balance un autre.

"La seule intervention répressive et pénale ne peut répondre à la situation", résume le Collectif du 1er juin. Avec celui des quartiers populaires, au sein duquel les habitants s'autoproclament "experts de [leur] propre merde", ils dégagent trois priorités qui, selon eux, permettraient aux cités sensibles de sortir du cercle infernal dans lequel elles se trouvent : "Education, emploi, prévention." Mais aussi et surtout une participation de plein droit aux décisions qui les concernent. Tour d'horizon de ce qu'ils proposent.

 L'éducation, nerf de la guerre

C'est le début de la fin. "Tout part de l'éducation, de l'école. Quand un professeur n'est pas remplacé pendant plusieurs mois, ça part un peu en biberine [en sucette]", dénonce Amina, une travailleuse sociale qui a grandi et vit toujours dans les quartiers nord. A entendre le Collectif des quartiers populaires, l'Education nationale chez eux manque de tout. Et d'abord de mixité. "Même les profs et les élus qui vantent le brassage se débrouillent pour mettre leurs enfants ailleurs", dénonce Zoubida. Pour y "ramener les élèves qui tiennent la route", Salim, lui-même prof au lycée, réclame des classes européennes et une classe de musique reliée au conservatoire de Marseille, par exemple, dans les collèges.

Les élèves manquent également d'accompagnement. Faute de moyens, le dispositif des parents-relais, inventé à Marseille en 1994 et étendu à toute la France, se réduit à peau de chagrin. Sur trois arrondissements sensibles, ces intermédiaires entre les familles et les établissements, capables notamment de prévenir l'absentéisme, sont passés de dix-sept début 2000 à deux aujourd'hui. Le Collectif des quartiers populaires met aussi en avant le comité éducation santé et citoyenneté (CESC), qui associe personnel éducatif, centre social, familles et élèves pour accueillir temporairement des enfants exclus entre trois et huit jours afin qu'ils ne traînent dans la rue.

L'orientation pèche elle aussi. Un exemple parmi tant d'autres : celui d'une jeune Comorienne orientée en section professionnelle malgré sa demande et ses 14 de moyenne. Face à ses parents qui insistaient pour faire "comme le prof a dit, c'est lui qui a raison", elle a dû faire appel à une association, qui a intercédé en sa faveur pour lui permettre de suivre la filière générale. "Les enfants des 13e, 14e, 15e et 16e arrondissements de Marseille [les quartiers nord] représentent 50% des collégiens de la ville, mais seulement 25% des lycéens", pointe Salim, entouré d'habitants qui réclament "l'égalité de traitement" dans ce domaine. 

L'emploi, meilleur rempart contre les réseaux

"On veut du boulot, du boulot", chantonne Adil, esquissant un pas de danse, un joint au bec en déboulant de la cage d'escalier dont Khalil, son cousin, surveille l'accès. "Les jeunes en ont ras le bol de tenir les murs, ils n'ont pas envie de rentrer dedans [le trafic de drogue]", martèle Nordine Moussa, éducateur de la Protection judiciaire de la jeunesse (PJJ). "Ils savent que c'est soit la prison, soit le boulevard des allongés", dit en écho Amina. Tous les jeunes sont unanimes, ils sont discriminés à l'embauche. Jusqu'à l'ingénieur, major de sa promo, qui essuie les "hé, heureusement que je me suis arrêté en quatrième !" de certains dealers au pied de son immeuble.

"Lorsqu'il y a des pépites comme ça, il faut qu'ils deviennent des exemples, martèle Salim, on ne peut pas avoir que des Zidane, il nous faut des plombiers, des informaticiens… Des jeunes qui ont du potentiel, les quartiers n'en manquent pas." "Les meilleurs comptables de France sont dans les réseaux", lançait même un grand flic marseillais après une descente dans une cité, où la police avait saisi des livres de comptes à la tenue exemplaire.   

A deux pas de la cité Félix-Pyat, les chantiers d'Euromed n'emploient pas un seul jeune des environs, déplore l'éducateur de la PJJ. "Les zones franches, les travaux d’intérêt public financés par les institutions doivent être contraints de favoriser l’emploi des jeunes des quartiers en difficultés", réclame le Collectif du 1er juin, pour qui un "recrutement significatif d’habitants issus des quartiers concernés doit devenir une condition pour bénéficier des appels d’offre publics".

La prévention, le chaînon manquant

"Il faut mettre le paquet sur les financements des éducateurs, rouvrir les gymnases, faire revenir les services publics, merde, on n'a plus rien !" s'enflamme Amina. Et de dénoncer, entre autres, la fermeture des piscines des quartiers nord l'été dernier, qui a obligé les habitants à traverser la ville en transports pour aller dans les bassins des autres arrondissements, en payant plus cher.

Partant du vécu de certaines mères qui ont sollicité sans succès police, juges des enfants et services sociaux pour tenter d'empêcher leurs enfants de sombrer dans le trafic, le Collectif du 1er juin réclame la refonte de la justice des mineurs, "facilement exploités par les grands". Au delà des sanctions, il souhaite que la justice prononce des mesures d'accompagnement réel, voire d'éloignement. Michel Bourgat, adjoint au maire UMP, ancien boxeur et médecin dans les quartiers, regarde en amont : "Dès lors qu'il y a absentéisme, tabagisme ou alcoolisme et problèmes de discipline, il faut garder un œil sur les minots." 

Quant à la police, "elle manque d'ancrage", diagnostique un ancien gradé de Marseille, pour qui un changement d'organisation et de méthode est nécessaire pour atteindre les têtes de réseaux. Outre que les trafiquants vont plus vite que les policiers, qui manquent de renseignements de terrain, ces derniers n'inspirent pas confiance aux populations des quartiers. Et d'épingler au passage les manquements de l'autorité judiciaire : "Quand on a des individus qui sont condamnés mais qui n'exécutent pas leur peine, c'est une question d'affichage pour le reste de la cité."

La participation des habitants, "essentielle"

"Il y a perpétuellement un regard dominant-dominé" sur les quartiers, dénoncent les membres du Collectif des quartiers populaires, qui oscillent entre fatalisme, colère et espoir. Tous les quinze jours, ses membres organisent des réunions dans des quartiers différents, afin d'élaborer "dix thèmes de réflexion qui [leur] ressemblent". "On est comme des paysans qui essaient de semer dans chaque quartier une graine de citoyenneté critique", résume, poète, Karima Berriche, directrice du centre social l'Agora. "On veut de la concertation, pas de la consultation", scande Salim. Et Amina d'avertir, de son côté : "Il y a un boom, les jeunes voient de plus en plus la différence de traitement et ont envie d'agir."

"Transparence dans les attributions des logements sociaux, refus du clientélisme  et présence des habitants dans les conseils d’attribution", exige de son côté le Collectif du 1er juin, qui voit, lui aussi, les habitants comme "des forces de proposition, garants du bon fonctionnement de la démocratie participative".

"Pour l'instant, on est dans un entre-soi, comme à Neuilly mais vers le bas", souligne Karima, qui réclame "des signaux forts". "Est-ce que la France voit les habitants des quartiers comme des Français à part entière ? Jusqu'à quand on va demander l'égalité ?" s'interroge Fatima. Dans son sobre bureau de la mairie, Michel Bourgat, qui abandonne la politique - trop court-termiste -, prévient : "C'est un travail à mener à l'échelle de vingt-cinq ans, d'une génération."

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