Meurtre d'Alexia Daval : comment expliquer les trois mois de mensonges de Jonathann Daval ?
L'homme de 34 ans qui a avoué, mardi, avoir tué sa femme, Alexia Daval, est apparu à de nombreuses reprises en veuf éploré. Pour plusieurs psychiatres et psychanalystes, il s'agit autant d'un mécanisme de défense que de l'illustration de traits narcissiques et paranoïaques.
"Il l'a étranglée." Randall Schwerdorffer, l'un des avocats de Jonathann Daval, a mis fin, mardi 30 janvier, à trois mois de mensonges après la mort d'Alexia Daval, fin octobre à Gray-la-Ville (Haute-Saône). Son client, le mari de la victime, a avoué l'avoir tuée en l'étranglant "par accident", selon ses dires. Jonathann Daval a été "mis en examen pour meurtre sur conjoint, encourant la réclusion à perpétuité", a annoncé quelques heures plus tard Edwige Roux-Morizot, procureure de la République de Besançon.
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Pourtant, pendant trois mois, l'homme n'a caché ni ses larmes, ni sa douleur. Il était en tête d'une course en hommage à sa femme. "Elle était mon oxygène, la force qui me poussait à me surpasser", confiait-il à l'issue d'une marche blanche en l'honneur de la victime, quelques jours plus tard. "Comment a-t-il pu faire tout ce cirque ?" s'est interrogé, mercredi, un habitant de Gray-la-Ville, après ces révélations. Franceinfo tente d'y voir plus clair.
Un mécanisme de défense classique
Pourquoi Jonathann Daval a-t-il décidé de mentir à ce point ? Selon Alexia Delbreil, psychiatre et médecin légiste au CHU de Poitiers (Vienne), mais également spécialiste des homicides conjugaux, les auteurs de ces crimes "dissimulent leurs gestes dans 30 à 40% des cas". La réaction de Jonathann Daval est donc loin d'être exceptionnelle. Elle rappelle les propos de Patrick Henry, ou les larmes de Cécile Bourgeon, appellant à l'aide pour retrouver sa fille Fiona, qu'elle assurait disparue. La mère reconnaîtra plus tard que sa fille était morte sous les coups de son conjoint, et qu'elle n'avait jamais disparu.
"C'est un classique de la duplicité criminologique, explique auprès de Ouest-France Serge Bornstein, neuropsychiatre et expert national. Il n’est pas rare de voir des meurtriers qui sont proches de la victime adopter une attitude qui vise à duper les enquêteurs. C’est une façon de se protéger. Ils vont se forger de toutes pièces un scénario, un alibi et jouer le jeu de quelqu’un complètement éploré (...) afin d’éliminer les accusations à leur encontre."
Interrogée par franceinfo, Alexia Delbreil y voit également "un mécanisme de défense". Une stratégie pour faire disparaître tout soupçon les concernant, mais aussi parce que ces meurtriers peuvent être "dans une impossibilité d'accepter ce qu'ils ont fait". "C'est un déni", poursuit la psychiatre et médecin légiste.
Il s'agit probablement d'une réaction pour se dessaisir du crime. Ils se protègent des conséquences de leur acte, car il est impossible de les assumer.
Alexia Delbreil, psychiatre et médecin légiste, spécialiste des homicides conjugauxà franceinfo
Des traits paranoïaques et narcissiques
Comment traduire cette capacité à dissimuler un crime ? Plusieurs traits de personnalité se dessinent, selon les psychiatres et psychanalystes étudiant ces homicides. "En général, ceux qui cachent les corps ont des personnalités qui penchent sur un versant paranoïaque, développe Alexia Delbreil. Ils ont fortement tendance à retourner la responsabilité de ce qui s'est passé sur la victime."
La spécialiste des homicides conjugaux relève ainsi les arguments des avocats défendant Jonathann Daval. Ces derniers ont mis en avant qu'il s'agissait d'un "accident", qu'Alexia Daval, "en période de crise, pouvait avoir des accès de violence extrêmement importants à l'encontre de son compagnon". "Il n'y a jamais de reconnaissance complète de l'acte en tant que responsable", abonde Alexia Delbreil. Une réaction, mais aussi une tactique pour l'auteur d'un crime.
Les agresseurs passent leur vie à renverser la culpabilité. C'est une stratégie : le principe de l'agresseur, c'est de ne pas se faire prendre.
Ernestine Ronai, psychologue, responsable de l'Observatoire départemental des violences envers les femmes en Seine-Saint-Denisà franceinfo
Pour le psychiatre Samuel Lepastier, interrogé par LCI, "l'extrême sang-froid" de Jonathann Daval et sa mise en scène "réussie" traduisent aussi une personnalité "profondément narcissique". "Il ne pense qu'à lui-même, il ne se rend pas compte des conséquences de son geste, assure le spécialiste. Il n'a aucune compassion ni pour la victime, ni pour les parents de la victime."
Il y a une grande difficulté à se mettre à la place d'autrui, et la volonté, avant tout, de continuer à passer pour une bonne personne. On ne peut pas, d'un coup, devenir un criminel.
Alexia Delbreil, psychiatre et médecin légisteà franceinfo
La possibilité de larmes "sincères"
L'aveu de Jonathann Daval et ses trois mois de mensonges ont d'autant plus choqué au regard de l'émotion exprimée par le mari d'Alexia Daval les jours suivant la mort de la jeune femme. Sa souffrance et ses larmes pouvaient-elles, réellement, être sincères ? "C'est la surtension émotionnelle qui ouvre la porte aux larmes", interprète Serge Bornstein, interrogé par Ouest-France.
Ils pleurent parce qu’ils peuvent se rendre compte de la monstruosité de leurs actes, parce qu’ils sont eux-mêmes touchés par le drame… Parfois ils pleurent sur leur sort.
Serge Bornstein, psychiatreà "Ouest-France"
Pour Alexia Delbreil, la sincérité de l'émotion de Jonathann Daval est "possible". "Il peut réellement pleurer la perte de sa compagne, ressentir une souffrance psychique liée à sa perte, mais il peut aussi jouer un rôle", constate la psychiatre. La spécialiste des homicides conjugaux estime que les auteurs de ces crimes peuvent, eux aussi, avoir un certain "deuil à faire", car celle qu'ils ont tuée "n'est plus là au quotidien". "Ce n'est pas exceptionnel de les voir pleurer leur perte, et en même temps organiser la dissimulation du crime", explique-t-elle.
Un mensonge qui a ses limites
Trois mois jour pour jour après la découverte du corps d'Alexia Daval, l'étau s'est finalement resserré. Pourquoi, après 48 heures de garde à vue, a-t-il décidé d'avouer ? "A un moment donné, il y a beaucoup trop de preuves scientifiques, et beaucoup trop d'incohérences dans leur discours", répond Alexia Delbreil. L'un des avocats de Jonathann Daval, Randall Schwerdorffer, a reconnu, le matin de l'aveu, que "des éléments" de l'enquête posaient "de véritables questions", et que Jonathann n'était pas "soupçonné par hasard". Au bout d'un certain temps, "le mensonge ne tient plus", conclut la psychiatre.
Mais la fin du mensonge est-elle aussi une décision plus personnelle ? "Tous les grands menteurs disent : 'J'ai craqué à un moment donné parce que je n'en pouvais plus', relève le psychologue Pascal Neveu, interrogé par RMC. Ça n'excuse rien."
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