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Meurtre d'Alexia Daval : entre volte-face et surexposition médiatique, Randall Schwerdorffer, l'avocat qui croyait "défendre un innocent"

Article rédigé par Kocila Makdeche
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Randall Schwerdorffer, le 30 janvier 2018, à Besançon (Doubs).  (SEBASTIEN BOZON / AFP)

Pendant deux jours, il a écumé les plateaux de télévision pour défendre son client, devenant la cible de nombreuses critiques. Mais qui est donc Randall Schwerdorffer, l'avocat de Jonathann Daval ? Franceinfo brosse son portrait.   

"Les médias, les caméras, il aime ça, glisse un proche du personnage. Il adore se montrer, ce n'est pas un secret ici." Me Randall Schwerdorffer est devenu, mardi 30 janvier, un acteur-clé et exposé dans l'affaire Alexia Daval. Devant les caméras, l'avocat de Jonathann Daval relate les terribles aveux de son client considéré par tous, il y a quelques jours encore, comme un veuf éploré. "Il l'a étranglée", explique-t-il, avant de répéter, comme un refrain : "Nous ne défendrons pas un meurtrier, un assassin. Nous défendrons un jeune garçon qui, dans une crise de couple, a tué son épouse par accident."

Sa stratégie de défense – convaincre que Jonathann Daval n'est pas l'archétype du mari violent mais un homme qui s'est laissé submerger par ses émotions lors d'une dispute – a provoqué une levée de boucliers. Notamment de la part de Marlène Schiappa, la secrétaire d'Etat à l'Egalité entre les femmes et les hommes. Dans un contexte de prise de conscience générale de l'ampleur des violences faites aux femmes, cette dernière l'a accusé de "minimiser" les violences conjugales. 

Mais c'est surtout sa communication pendant la garde à vue de son client qui a scandalisé plusieurs observateurs de la chronique judiciaire. Avant même que Jonathann Daval passe aux aveux, autour de 17 heures, Me Randall Schwerdorffer répondait déjà aux questions de BFMTV, concédant que certains éléments présentés par les enquêteurs "posent de véritables questions" et que "l'étau se resserr[ait] violemment" autour de Jonathann Daval. 

"Il doit oser ce que son client est interdit de faire"

Le Code de procédure pénale est pourtant strict avec ce genre de pratique. Il interdit aux avocats de communiquer, pendant la garde à vue, sur les pièces du dossier ou sur les entretiens qu'ils ont eus avec leur client. D'après LibérationRandall Schwerdorffer et Ornella Spatafora, sa consœur dans ce dossier, ont d'ailleurs été convoqués par le bâtonnier de Besançon pour un rappel déontologique après leur passage télé intempestif. 

"Un avocat pénaliste qui rase les murs et qui ne va pas vers la lumière n'est pas fait pour ce métier. Il doit oser ce que son client est interdit de faire, parce qu'il est broyé par la machine judiciaire", défend auprès de franceinfo son mentor Me Patrick-Victor Uzan, persuadé que Randall Schwerdorffer "a toujours su ce qu'il faisait dans ce dossier". Après des études de droit à l'université de Franche-Comté, le jeune Randall prête serment en 2001. "C'était un garçon intelligent et brillant, qui avait déjà un sens aigu du droit pénal, se rappelle Patrick-Victor Uzan. Je l'avais repéré comme un pénaliste montant et j'ai fait de lui mon associé."

"Il rafle tous les gros dossiers du coin"

Dans les tribunaux de Bourgogne-Franche-Comté, tout le monde connaît Randall Schwerdorffer. Cet imposant avocat à la coiffure d'Elvis Presley est considéré comme l'un des meilleurs pénalistes de la région, "si ce n'est le meilleur", flatte un confrère. "C'est bien simple, il rafle tous les gros dossiers du coin", peste un autre. L'affaire de l'anesthésiste de Besançon soupçonné d'empoisonnement ? C'est lui. Le meurtre d'Aurélia Varlet : lui encore.

Après la mort de ma sœur, nous cherchions un conseil. Et à l'époque, on nous a dit : 'Si vous voulez un avocat, c'est lui qu'il faut prendre.'

Giovanni Varlet

à franceinfo

Depuis que Jonathann Daval est passé aux aveux, le frère d'Aurélia Varlet s'est retrouvé malgré lui au milieu d'un tourbillon. "Je reçois des dizaines de messages par jour d'insultes où on me dit que je dois changer d'avocat parce qu'il défend un meurtrier, déplore Giovanni Varlet, lui aussi soufflé par l'onde de choc. Il faut arrêter de tout confondre. Je veux qu'on fasse la différence entre ma sœur et l'histoire d'Alexia."

Amis devenus adversaires 

Randall Schwerdorffer est arrivé de façon étonnante dans l'affaire Daval : lorsque le corps d'Alexia a été retrouvé dans un bois de Haute-Saône, en octobre dernier, Jonathann Daval est d'abord allé voir Jean-Marc Florand, l'actuel avocat des parents de la victime. Mais celui-ci ne se sentait pas en mesure de défendre à la fois les parents et l'époux de la défunte, alors considéré comme un veuf éploré.

Me Florand a alors conseillé à Jonathann de se rendre dans le cabinet de son ami Randall Schwerdorffer. Ironie du sort : les deux avocats qui pensaient assurer ensemble la défense des parties civiles pourraient bien se retrouver face à face devant une cour d'assises. "On est amis, mais on est surtout très professionnels, affirme Randall Schwerdorffer. L'un contre l'autre, on sait que l'on peut être des adversaires pugnaces. On ne se fera aucune concession."

S'il assure qu'en acceptant le dossier Daval, il "pensai[t] vraiment défendre un innocent", Randal Schwerdorffer précise être avant tout un avocat de défense. "Je suis parfois assez mal à l'aise quand je conseille des parties civiles. Je préfère la confrontation, combattre les injustices quand une personne est condamnée à tort." "Il aime parler de l'institution judiciaire au sens large et est parfois très critique avec celle-ci", constate auprès de franceinfo Willy Graff, qui suit l'actualité judiciaire pour L'Est républicain.

Randall Schwerdorffer et la procureure de la République de Besançon ne sont pas les meilleurs amis du monde. Au palais de justice, ce n’est un secret pour personne.

Willy Graff, journaliste à "L'Est républicain"

à franceinfo

Un "carnivore repenti"

Pourtant, l'avocat semble compter peu d'ennemis là où il exerce, en Bourgogne-Franche-Comté. En plus de son activité professionnelle, ce père de trois enfants est connu pour être un ardent défenseur de la cause animale. "On l'a rencontré lors du procès d'une terrible affaire de vaches qui avait été massacrées en Haute-Saône. On a discuté, et il nous a appris qu'il était végétarien ou plutôt 'carnivore repenti', comme il dit", s'amuse Mathilde Vernerey, porte-parole de Humanimo. Depuis, Randall Schwerdorffer donne des conseils juridiques à l'association de défense des animaux. "Il prend toujours du temps pour nous. Une fois, il nous a même rejoints un soir pour une action symbolique devant un abattoir, sourit-elle. C'est quelqu'un de très engagé."

Après avoir été encarté au MoDem en 2007, Randall Schwerdorffer a décidé, l'année dernière, de rejoindre les rangs de La République en marche. Laurent Croizier, patron du parti de François Bayrou dans le Doubs, ne lui en veut même pas pour cette infidélité. "Nous gardons de très bonnes relations", assure-t-il à franceinfo. 

Patrick-Victor Uzan ne semble pas non plus tenir rigueur à son ancien élève, malgré un bras de fer qui les a opposés, en 2015. A l'époque, Randall Schwerdorffer avait saisi le conseil de l'ordre du Jura pour empêcher son mentor de réinstaller son cabinet à Dole (Jura), craignant que ce dernier lui fasse concurrence, explique Le Progrès. "C'est une histoire qui appartient au passé", balaie aujourd'hui Me Uzan, avant de faire à nouveau l'éloge de son élève : "Nous avons eu un différend, mais ce qu'il est surtout important de dire, c'est qu'il est un excellent pénaliste."

"Une stratégie dépassant l’affaire Daval"

La réputation sans tache de Randall Schwerdorffer risque-t-elle d'être écornée par l'affaire Jonathann Daval ? A-t-il commis une erreur en médiatisant, étape par étape, le passage aux aveux de son client ? "Son positionnement surprenant participe à mon sens d’une stratégie dépassant l’affaire Daval. En substance, il veut dire 'je suis un conseil crédible et pragmatique', puisque je m’incline devant les charges présentées par les enquêteurs", analyse une source judiciaire locale, qui y voit surtout une habile manière de se mettre en avant.

"Mon travail n'est pas d'être un communicant, se défend de son côté Randall Schwerdorffer. Je ne regrette rien de ce que j’ai dit. Je dis simplement que je ne suis pas un professionnel de la communication",  BFMTV, CNEWS, "C à vous"... Une chose est sûre : après avoir fait le tour les chaînes de télévision, son visage est désormais connu de tous. 

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