: Reportage Gironde : six mois après les incendies, élus et habitants vivent toujours dans la peur que tout recommence
Là où il y avait des parcelles foisonnantes de pins maritimes, il ne reste plus que des plaines à perte de vue, parfois clairsemées de quelques arbres maigrichons. Fait inédit, la vue est désormais dégagée. Que ce soit du côté de Landiras ou proche du Bassin d'Arcachon, entre La Teste-de-Buch et Biscarosse, où la dune du Pyla se dévoile désormais depuis la route, des immenses espaces vides ont succédé aux kilomètres carrés de pins calcinés par les incendies hors normes qui ont dévasté la Gironde l'an dernier. Sur ces landes ne subsistent parfois que des souches, parfois plus rien du tout.
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Il reste bien sûr des parcelles de forêt encore debout, mais à Guillos, une petite commune à quelques kilomètres de Landiras qui a perdu 95% de ses forêts dans les flammes l'été dernier, "il m'arrive de me perdre", confie la maire Mylène Doreau. "On n'a plus de repères. Ce n'est plus notre territoire."
"On a changé de planète. C'est le désert, c'est désolant."
Jean-Marc Pelletant, maire de Landirasà franceinfo
Sur ces terres planes, quelques arbres feuillus bien gringalets et quelques jeunes pins brûlés tentent d'exister, ajoutant à l'impression de désolation. Et de Landiras aux rives du bassin d'Arcachon, c'est un second choc, après celui des flammes. Des rives du bassin à Landiras, les habitants racontent tous un "second choc" : celui de voir leur paysage transformé. Grégory, habitant de Cazaux, est "traumatisé par le décor". Certains conservent encore des longs jours faits de flammes et de fumée quelques séquelles. Aurore, par exemple, n'a jamais repris la route qu'elle empruntait auparavant pour aller à son travail.
"S'il ne pleut pas, nous sommes particulièrement inquiets"
Si les forêts ressemblent déjà à des plaines, c'est grâce au travail colossal de nettoyage et de coupe mené depuis des mois. Sur les routes qui traversent la forêt des Landes de Gascogne, le bal des camions et engins de chantier qui découpent et transportent le bois ne semble jamais s'arrêter. Et si le chantier avance aussi vite, "c'est parce que la météo a été clémente", souligne Mylène Doreau. Un bon point pour éviter la prolifération d'insectes comme le scolyte, redoutés de tous car pour s'en débarrasser, il n'y a pas d'autre solution que de couper les pins atteints.
Mais elle a même été un peu trop clémente, reconnaît l'élue, inquiète. La France traverse en effet un épisode de sécheresse hivernale particulièrement intense : plus de 30 jours qu'il n'a pas plu de manière significative, un record historique a annoncé Météo France. Certaines nappes phréatiques ont "deux mois de retard en termes de remplissage", a même indiqué sur franceinfo le ministre de la Transition écologique Christophe Béchu, et ce ne sont pas les maigres gouttes de pluie tombées ces derniers jours en Gironde qui vont fondamentalement changer la donne. La semaine prochaine s'annonce déjà peu pluvieuse dans le département. Or, il faudrait un printemps très pluvieux, disent de concert les élus.
Ils gardent donc un œil constant sur le ciel, resté désespérément bleu en janvier et février, espérant qu'il finisse par déverser sur les forêts de Gironde l'eau dont elles ont besoin pour se renforcer. "Il y a une réelle inquiétude dans la possibilité de reprise des incendies, alerte Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde. Il faut impérativement que nous ayons de la pluie."
"Si les circonstances météo restent les mêmes, elles sont pires que ce que nous avions au printemps l'an dernier."
Jean-Luc Gleyze, président du département de la Girondeà franceinfo
"S'il ne pleut pas, nous sommes particulièrement inquiets", abonde Bruno Lafon, le président de la DFCI, l'association de défense des forêts contre les incendies. D'autant que le feu couve encore en sous-sol à Hostens, sur le site d'une ancienne mine de lignite. Ce minerai, proche du charbon, brûle encore en souterrain, et des volutes de fumée s'échappent toujours en surface. "On a mesuré des températures à 300 voire 400 degrés en surface", constate Franck Uteau, ingénieur pour le département de la Gironde, qui surveille régulièrement le site grâce à des survols en drone, équipés de caméras thermiques ou capables de modélisation 3D, afin de surveiller l'évolution de la situation.
Pour l'heure, le site est toujours fermé au public. Le maire de la ville demande au département, propriétaire du terrain, de noyer le site. Pas question lui répond Jean-Luc Gleyze : "Le seul moyen véritablement de le noyer efficacement, ce serait que les nappes phréatiques remontent. Donc tout cela va être très dépendant du printemps. Sinon, il faudrait beaucoup d'eau."
Selon lui, pas de doutes : le responsable de l'ampleur des incendies de l'an dernier, c'est bien le dérèglement climatique, aux effets multiples. "Je rappelle toujours que les communes qui ont été incendiées en 2022 étaient des communes qui, pour une partie d'entre elles, étaient inondées en 2020", dit l'élu girondin. "Ce qu'on peut craindre, ce sont des incendies hors normes beaucoup plus fréquents", s'inquiète le socialiste.
"Il faut que nous fassions comprendre à la France entière que tous les massifs forestiers seront concernés. Nous n'avons pas la culture du risque feux de forêts."
Bruno Lafon, président de la DFCIà franceinfo
"Passer du tout lutte au tout prévention"
Pour faire face à ce risque, le président du département déplore un manque de soutien de la part de l'Etat. "Sur le pacte capacitaire, c'est-à-dire les moyens qui sont désormais alloués en supplément aux Sdis, il reste 150 millions d'euros, divisés par 100 de département. Ça fait 1,5 million par département, calcule Jean-Luc Gleyze. Quand on sait qu'un camion de défense contre les feux de forêt coûte à peu près 400 000 euros, on voit vite que les moyens ne sont pas à la hauteur des besoins en France." À titre de comparaison, il rappelle que les incendies de l'an passé ont coûté à la Gironde plus de 10 millions d'euros.
"Il faut passer du tout lutte au tout prévention", plaide de son côté Bruno Lafon, le patron de la DFCI (défense des forêts contre les incendies). "L'Espagne, le Portugal l'ont déjà fait. Ils ont mis un maximum d'argent dans la lutte, ce qui était indispensable. Il faut toujours le faire, mais il faut surtout qu'il n'y ait pas de départs de feux."
"Il faut que l'Etat casse la tirelire. Ce ne sont pas les morceaux de sparadrap qu'on est en train de mettre par ci, par là, sur la jambe de bois qui vont arranger l'histoire."
Bruno Lafon, président de la DFCIà franceinfo
Et si Bruno Lafon espère des aides de l'Etat, lui qui préside également le syndicat des sylviculteurs, c'est parce qu'entretenir la forêt coûte cher et qu'il y a du travail après les ravages de l'an passé pour remettre en état les chemins forestiers empruntés par les pompiers. Car la prévention, c'est d'abord et avant tout l'entretien des bords de pistes, pour éviter tout départ de feu. C'est aussi la création de pares-feux, des espaces sans végétation pour stopper net l'avancée des flammes. C'est enfin des campagnes de prévention à destination du public, des touristes, pour avertir au maximum sur les comportements à risque. "Combien de fois voit-on des personnes balancer leur mégot de cigarette par la fenêtre ?", déplore la maire de Guillos, Mylène Doreau. "Les incendies n'ont pas suffi comme avertissement. J'en ai vu le faire alors qu'on était encore en train d'éteindre les résidus de feux", fustige-t-elle.
Le passage à ce "tout prévention", "c'est déjà trop tard pour cette année, regrette Bruno Lafon. On fera avec les moyens du bord, mais il faut qu'on ait tout pour l'été 2024." Tout, ce sont les Canadair, promis par le président de la République, qu'élus locaux et habitants espèrent, ce sont ces brigades de gendarmerie dédiées aux forêts, toujours pas en place, et surtout, ce sont des moyens pour la prévention, c'est-à-dire pour l'entretien des forêts et leur surveillance. "Nous avons assez peu de nouvelles aujourd'hui de la part de l'État sur des attentes que nous avions exprimées", déclare, diplomatique, Jean-Luc Gleyze, qui ne cache pourtant pas son impatience à voir les Canadair être prépositionnés dans son département.
Des patrouilles de bénévoles pour intervenir rapidement
En attendant des nouvelles de l'Etat, chacun à son niveau s'organise comme il le peut. Jean-Luc Gleyze a fait appel à son collègue de l'Hérault, qui a accepté de lui prêter 15 camions de lutte contre les incendies pour ce printemps. La Gironde entre en effet dès à présent dans la saison de risque incendies avec une flotte de camions bien réduite : 40% d'entre eux sont encore en réparation après les feux de l'an dernier. Les pièces détachées manquent, retardant les travaux de remise en état et faisant craindre un été tendu si tous les véhicules ne sont pas réparés. La Gironde a aussi décidé d'investir "entre deux et trois millions d'euros" pour avancer sur la vidéoprotection des forêts.
L'Office national des forêts et la DFCI sont de leur côté en train de mettre sur pied des patrouilles, comme elles existent déjà dans le Sud-Est. "L'idée, c'est d'avoir des agents de l'ONF et de la DFCI dans un véhicule avec une cuve derrière, explique Francis Maugard, responsable risques à l'ONF Landes-Nord-Aquitaine. On fait de la surveillance et en même temps, si une équipe détecte une fumée, un incendie, elle peut arriver et arroser. Et si on le fait rapidement, on peut éviter pas mal de choses." Canadair, vidéosurveillance, patrouilles d'intervention rapide... L'objectif est donc d'agir dès les toutes premières flammes pour ne pas laisser au feu la possibilité d'exploser, comme ce fut le cas l'an passé. La dernière étape de la prévention avant que le feu ne prenne trop d'ampleur et ne ravage des milliers d'hectares.
En attendant huit mois après, les habitants n'ont rien oublié des flammes hautes qui ont illuminé pendant de trop longues nuits le ciel girondin. Certains ont-ils envisagé de fuir face au risque répété d'incendies ? Pas du tout, répond le maire de Landiras. "Pourquoi on partirait ?, répond Christophe, habitant de Cazaux. Les enfants sont bien ici. Et puis, il n'y a plus grand chose à brûler." Tout le monde est unanime : il faut replanter la forêt, quand bien même la question du comment divise.
La nature, elle, est résiliente. Sur les landes brûlées de Gascogne, de petites pousses commencent à ressortir de terre, crevant d'un peu de couleur le sol sombre et nu. "Au début, c'était noir partout, on aurait dit une forêt de sorcière enchantée, se souvient Kevin, habitant de Landiras, dont la maison a été encerclée par les flammes. Là, il y a un peu de vert. Les animaux sont revenus. J'ai des petites caméras : il y a des biches, des renards. La vie reprend doucement."
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