: Document France 2 Affaire Tarnac : la revendication allemande passée sous silence par les services français
"Envoyé spécial" met en lumière un courrier émanant d’un groupe de militants antinucléaires allemands qui a revendiqué les sabotages réalisés en 2008 en France. Un document que les services français avaient en leur possession dès le début de leur enquête.
Tarnac n'a pas fini de livrer tous ses secrets. Alors que le procès des huit membres du "groupe de Tarnac", pour des dégradations de lignes TGV en 2008 et des manifestations violentes, se tient jusqu'au vendredi 30 mars, "Envoyé spécial" dévoile de nouveaux éléments qui jettent un trouble sur cette affaire, notamment sur les dissimulations des services français.
Le 14 novembre 2008, le procureur Jean-Claude Marin vient faire un point sur les arrestations spectaculaires survenues trois jours plus tôt à Tarnac. Le chef du parquet antiterroriste fait face à une quarantaine de journalistes. Lors de cette conférence de presse, un journaliste demande si les sabotages contre les lignes TGV imputés au "groupe de Tarnac" ont été revendiqués. Le magistrat répond : "Pas de revendication !"
Une affirmation contredite par des documents que nous avons pu consulter. Au moment où Jean-Claude Marin s'exprime, les enquêteurs ont bien connaissance d’une revendication allemande.
L'antiterrorisme français était informé
Un courrier émanant d’un groupe d’antinucléaires allemands a, en effet, été envoyé depuis Hanovre le 8 novembre 2008, le lendemain du sabotage des lignes SNCF, au Berliner Zeitung. Le journal allemand le reçoit le lundi 10 novembre 2008 et prévient dans la foulée le BKA, l'Office fédéral de police criminelle. Dans cette longue lettre que nous publions en intégralité, ce groupe revendique de manière très précise les quatre sabotages français (dont celui imputé à Julien Coupat) et une demi-douzaine survenus en Allemagne la nuit du 7 au 8 novembre.
Pour des raisons administratives, les autorités françaises ne sont mises au courant de ce courrier que le mardi 11 novembre 2008, en fin de matinée. Dans un document que nous avons pu consulter, un commissaire de la Sous-direction antiterroriste (Sdat) certifie le jour même "recevoir de la part de l’officier de liaison français (…) en poste en Allemagne et du bureau Interpol de Wiesbaden [siège du BKA] des renseignements desquels il ressort que le 10 novembre 2008, le quotidien allemand Berliner Zeitung a été destinataire d’un courrier dactylographié de revendication posté (…) de Hanovre évoquant de récentes actions ayant eu pour objectif de perturber le trafic ferroviaire en France et en Allemagne."
Problème : quand les services français découvrent cette revendication, l’opération policière et médiatique vient d’être lancée, à 6 heures du matin. Alors que les gardes à vue ont démarré depuis moins de quatre heures, la ministre de l’Intérieur de l’époque, Michèle Alliot-Marie, improvise une conférence de presse dans son bureau et salue le succès de l’opération antiterroriste.
Une revendication prise au sérieux en Allemagne
Le vendredi 14 novembre 2008, c’est au tour du procureur de la République de prendre la parole. Il n'évoque à aucun moment cette revendication allemande, pourtant consignée dans le dossier depuis trois jours. Pourquoi une telle dissimulation ? Jean-Claude Marin a-t-il voulu couvrir la précipitation de Michèle Alliot-Marie ? Ce mensonge était-il destiné à préserver le secret de l’enquête ? Jean-Claude Marin n’a pas souhaité répondre à nos questions. Désormais procureur général à la Cour de cassation – ce qui en fait le plus haut magistrat de France –, promu en décembre dernier commandeur de la Légion d’honneur par le président Emmanuel Macron, Jean-Claude Marin a refusé de comparaître comme témoin pendant le procès Tarnac.
Le tribunal n’en saura donc pas plus sur cette piste allemande occultée. Pourtant, cette revendication, prise à l'époque au sérieux par Berlin, est loin d’accréditer la thèse d’un réseau terroriste organisé depuis la Corrèze.
Les auteurs (de la revendication) n’ont vraisemblablement pas de relation concrète ou tout du moins profonde avec le mouvement antinucléaire en France.
un expert allemanddans un document daté du 11 novembre 2008
Après neuf ans de procédure judiciaire, la Cour de cassation a fini par abandonner la qualification terroriste l’an dernier. Mercredi 28 mars, des peines allant d'une amende de 1 000 euros à 6 mois de prison ferme ont été requises contre les huit membres de la communauté libertaire jugés dans "l'affaire de Tarnac".
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