C'est quoi l'affaire Tarnac ? On vous résume le dossier (qui s'est beaucoup dégonflé au fil des années)
Le procès en correctionnelle de huit membres du "groupe de Tarnac", d'abord mis en cause pour "terrorisme", qui s'ouvre mardi à Paris pourrait être aussi celui des dérives d'une enquête sous influence politique.
En 2008, ils étaient présentés comme de dangereux terroristes "d'ultragauche". Dix ans plus tard, huit membres du "groupe de Tarnac" comparaissent devant le tribunal correctionnel de Paris, à partir du mardi 13 mars, mais pour des dégradations de lignes TGV et des manifestations violentes.
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Une enquête controversée, la qualification terroriste de l'affaire abandonnée, une justice antiterroriste accusée d'être sous influence du pouvoir politique... Si vous avez perdu le fil de cette affaire très médiatique, on vous explique comment elle s'est dégonflée au fil des années.
Une opération policière spectaculaire est menée
L'affaire Tarnac débute le 11 novembre 2008 par la spectaculaire arrestation, par 150 policiers cagoulés, d'une dizaine de membres d'une communauté libertaire installée à Tarnac, un petit village de Corrèze. L'opération se déroule sous l'œil des caméras de télévision.
Neuf personnes sont placées en garde à vue. Elles sont soupçonnées d'avoir posé des crochets pour arracher des caténaires et stopper des TGV lors de leur passage, dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, dans l'Oise, l'Yonne et la Seine-et-Marne. Aucun risque de déraillement mais le sabotage provoque une véritable pagaille avec plus d'une centaine de TGV bloqués et 20 000 voyageurs en rade.
Le groupe était épié depuis la participation de son leader présumé, Julien Coupat, et de sa compagne Yildune Lévy, à une réunion d'anarchistes en janvier 2008 à New York et leur passage clandestin de la frontière américano-canadienne. Un policier britannique infiltré, Mark Kennedy, est soupçonné d'avoir alimenté les renseignements français sur les contacts de Coupat avec des militants d'extrême gauche allemands, grecs ou italiens et ses participations à des manifestations violentes lors de sommets internationaux.
L'affaire prend un tournant politique
Les perquisitions ne sont pas encore terminées quand la ministre de l'Intérieur de l'époque, Michèle Alliot-Marie, salue l'interpellation de membres de "l'ultragauche, mouvance anarcho-autonome, en lien avec les sabotages". La ministre UMP dénonce alors des "gens" qui "ont voulu s’attaquer à la SNCF car c’est un symbole de l’Etat". Et elle agite le spectre de "risques de résurgence violente de l'extrême gauche radicale".
De son côté, le procureur de la République de Paris, Jean-Claude Marin, décrit le groupe comme "une cellule invisible (...) qui avait pour objet la lutte armée" et parlait de leur ferme, "le Goutailloux", comme "d'un lieu d'endoctrinement, une base arrière d'actions violentes". Tous les médias s'emparent de l'affaire. "C’est le retour de l’ennemi invisible, dont le spectre fait brusquement ressurgir les vieux démons de l’extrême gauche radicale, en sommeil depuis la fin des années 1980 et le démantèlement d’Action directe", résume Libération.
A l'issue de leur garde à vue, neuf personnes sont mises en examen pour "association de malfaiteurs à caractère terroriste". Cinq, dont Julien Coupat, sont écrouées le 15 novembre 2008.
Un mystérieux témoignage accable Coupat
C'est sur la foi d'un témoignage anonyme que Julien Coupat est désigné comme le cerveau du "groupe de Tarnac". Identifié dans la procédure sous le numéro T42, ce témoignage est la pierre angulaire d'une enquête qui piétine rapidement.
Ce témoin sous X soutient que "lors de réunions", Julien Coupat a évoqué "la possibilité d'avoir à tuer, précisant que la 'vie humaine a une valeur inférieure au pouvoir politique' et que l'objectif final du groupe était le renversement de l'Etat". Les services de renseignements considèrent Coupat comme l'auteur de L'Insurrection qui vient, un pamphlet signé d'un "Comité invisible" qui prône "le renversement de l’Etat", l'émeute et notamment les attaques contre le réseau ferré.
Militant assumé, Julien Coupat a toujours cultivé le secret, érigé en principe de vie dans les milieux de la gauche radicale.
Dans l'imaginaire policier, il fallait un chef. Il fallait absolument personnaliser, 'peopliser' cette affaire pour la vendre. C'était assez commode de le prendre, lui : intellectuel, ancien éditeur, sans téléphone portable... Ça rentrait dans le fantasme.
David Dufresne, auteur de "Tarnac, Magasin général"à l'AFP
Finalement, en novembre 2009, l'identité du témoin anonyme fuite et son récit se dégonfle. Il s'agit de Jean-Hugues Bourgeois, un agriculteur bio de 30 ans. Il est filmé à son insu par TF1. Et il révèle "avoir signé sa déposition sans la lire" et s’être "associé à cette supercherie sous la pression des policiers". Un PV auquel les policiers auraient "ajouté des éléments, extraits de leurs dossiers", explique Libération.
L'enquête se dégonfle de plus en plus
Les enquêteurs sont accusés d'avoir eu recours à d'autres procédés douteux. Le procès-verbal D104 est capital pour l'accusation mais considéré comme un faux par la défense. C'est un PV de filature du véhicule qui atteste de la présence du couple Julien Coupat-Yildune Lévy près des voies ferrées, en Seine-et-Marne, le soir du 7 novembre 2008. Toutefois, aucun des 18 agents impliqués dans la filature ne les a vus effectuer le sabotage.
Le procès-verbal est pour le moins déconcertant, "bardé d’incohérences, comme si les policiers avaient recomposé a posteriori le trajet des suspects, via un site bien connu de cartographie", écrit Libération. Et le quotidien égraine le "panthéon des erreurs commises : une départementale qui n’existe pas, des distances impossibles à parcourir à moins de rouler à 160 km/h et des tunnels remplaçant des ponts".
En 2012, la défense d'Yildune Lévy produit un relevé bancaire attestant que sa carte a été utilisée à Paris dans la nuit du 7 au 8 novembre 2008, loin du lieu de sabotages. À 2h44, je retirais de l’argent avec ma carte bleue à Pigalle, donc j’étais à Paris", affirme-t-elle sur France Inter.
La manipulation ici, elle est policière. Les policiers écrivent noir sur blanc qu’on savait qu’on était suivis et on veut faire croire que deux personnes qui se savent suivies vont commettre une infraction ? Qui peut croire une bêtise pareille ?
Yildune Lévyà France Inter
Que reste-t-il alors de la procédure ? "Tout ça – des mois de filature, 15 000 heures d’écoute, un dossier de 27 000 pages – pour ça", résume Le Monde (article payant). Faute de preuves matérielles, l'enquête s'enlise et les neuf mis en examen pour association de malfaiteurs terroristes sont rapidement remis en liberté, le dernier étant Julien Coupat, après six mois de détention.
"Il apparaît de plus en plus clairement que la qualification terroriste a été utilisée imprudemment", dénonce à l'époque François Hollande, alors président du conseil général de Corrèze. Dans une tribune publiée par Slate.fr en mai 2009, il parle de "ratage policier", d'une "palinodie judiciaire" et d'une "affaire politique".
Cela a été des années de surveillance, l'hypothèse qu'après le CPE [contrat première embauche, en 2006] se serait constitué un groupuscule radicalisé qui s'acheminerait vers la constitution d'un réseau pré-terroriste international.
Julien Coupaten 2016
"C'étaient les obsessions de la ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie et la première affaire de la DCRI récemment créée", dénonce Julien Coupat lors du procès de l'un de ses anciens avocats en 2016. A l'époque, l'affaire représente une "aubaine" pour la toute nouvelle Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI qui deviendra DGSI), ce "FBI à la française", réclamé par Nicolas Sarkozy, élu à la présidence de la République en 2007.
Un policier qui a participé aux filatures du "groupe de Tarnac" raconte aujourd'hui à Libération qu'"il y avait une grosse pression de la hiérarchie" dans cette affaire. Et l'enquêteur d'ajouter : "Certains tauliers ont voulu se faire mousser en rajoutant sur la dangerosité supposée du groupe. Du jus de crâne. Ça permettait de faire vivre la boutique et d’avoir quelque chose à dire aux responsables politiques."
La qualification terroriste est abandonnée
Au final, après neuf ans de bataille judiciaire et le dessaisissement du juge chargé de l'enquête, la Cour de cassation a définitivement abandonné la qualification terroriste en janvier 2017. Parmi les prévenus renvoyés devant le tribunal correctionnel figurent donc Julien Coupat, 43 ans, son ex-compagne Yildune Lévy, 34 ans, Elsa Hauck, 33 ans, et Bertrand Deveaud, 31 ans. Ils sont poursuivis pour "association de malfaiteurs" et encourent dix ans de prison. Comparaissent également Christophe Becker, 41 ans, et Manon Glibert, 34 ans, poursuivis pour falsification ou recel de documents volés. Enfin, Benjamin Rosoux, 39 ans, et Mathieu Burnel, 36 ans, sont poursuivis, comme quatre des autres prévenus, pour refus de se soumettre à un prélèvement biologique.
Il fallait évidemment que cette procédure qui avait commencé en fanfare finisse par un procès, ça ne pouvait pas donner un non-lieu. C'est une question d'honneur de l'institution.
Julien Coupatsur France 2
"L'affaire Tarnac, c'est l'histoire d'une instrumentalisation du judiciaire par le politique", explique à l'AFP Marie Dosé, l'avocate de Yildune Levy, qui dit attendre du tribunal "une indépendance totale". L'avocat de Julien Coupat, Jérémie Assous, dit lui souhaiter "un procès de la police" antiterroriste. La défense a appelé pour cela à comparaître de nombreux témoins dont l'ex-ministre de l'Intérieur Michèle Alliot-Marie ou l'ancien procureur Jean-Claude Marin, tout en sachant que tous ne viendront pas s'expliquer. Le procès des huit membres du "groupe de Tarnac" doit durer jusqu'au 30 mars.
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