Chauffeur de bus tué à Bayonne : cinq questions sur le procès qui s'ouvre aujourd'hui
Un peu plus de trois ans ont passé, mais l'émotion reste intacte pour les proches de Philippe Monguillot. Ce chauffeur de bus de 58 ans, qui exerçait à Bayonne (Pyrénées-Atlantiques), avait été frappé par des passagers le 5 juillet 2020. Laissé en état de mort cérébrale, il avait succombé à ses blessures après cinq jours de coma. Les circonstances de sa mort avaient suscité l'indignation, notamment dans le monde politique avec la visite sur place des ministres des Transports et de l'Intérieur.
Trois hommes sont jugés devant la cour d'assises de Pau à partir du vendredi 15 septembre. Deux d'entre eux, Wyssem Manai et Maxime Guyennon, sont accusés d'avoir donné les coups qui ont causé sa mort. Un troisième homme comparaît libre sous contrôle judiciaire pour avoir fourni un logement aux deux suspects. Franceinfo revient sur les enjeux de ce procès, qui doit se tenir jusqu'au 21 septembre.
1Que s'est-il passé le 5 juillet 2020 ?
Il est 19h10, dimanche 5 juillet 2020, au cœur de la crise du Covid-19 et des restrictions sanitaires, lorsque des policiers se rendent au niveau de l'arrêt Balishon du trambus de Bayonne. Ils constatent un attroupement et voient un homme à terre. Il s'agit du chauffeur du véhicule, qui gît en position latérale de sécurité. Philippe Monguillot est transporté à l'hôpital en urgence : son pronostic vital est engagé.
Cinq jours plus tard, ce conducteur de bus, qui exerçait depuis plus de trente ans et allait avoir 59 ans le mois suivant, succombe à ses blessures. D'après des éléments du rapport du médecin légiste consultés par franceinfo, "la cause médicale du décès est à relier à un traumatisme crânien fracturaire", qui a notamment créé "des lésions hémorragiques importantes".
Selon une douzaine de témoignages recueillis par les enquêteurs, auxquels franceinfo a eu accès, des passagers ont relaté avoir vu ou entendu Philippe Monguillot arrêter le trambus qu'il conduisait pour s'adresser à plusieurs jeunes hommes au fond du véhicule et leur demander de descendre, car ils étaient dépourvus de masque.
Le contenu des images de vidéosurveillance de la société de trambus permet de compléter le déroulé de la scène. Sans son, elles défilent comme un film muet. "A 19h07, il était constaté que, lors d'une discussion entre le chauffeur de bus et le jeune à la casquette, le chauffeur de bus [lui] assénait un violent coup de tête. Une bagarre démarrait entre ces deux hommes ainsi que le jeune à la queue de cheval", notent les enquêteurs dans leur rapport.
Ils précisent que la "bagarre" se poursuit "à l'arrière du bus" pendant une minute et 43 secondes. Puis, alors qu'ils se faisaient face, "l'individu à la casquette assenait alors un violent coup de poing au visage du chauffeur, lequel tombait lourdement au sol en heurtant celui-ci avec l'arrière de la tête", à l'extérieur du bus, selon les enquêteurs.
2Qui sont les trois accusés ?
L'exploitation des bandes de vidéosurveillance permet d'identifier rapidement Mohamed Akrafi, un quadragénaire déjà connu des services de police. Il est renvoyé devant les assises de Pau pour avoir fourni son assistance à ses deux coaccusés en les hébergeant. Dès le lendemain des faits, les policiers découvrent à son domicile Wyssem Manai, facilement reconnaissable avec ses cheveux teints en rouge.
Cet homme de 22 ans est originaire de Nîmes (Gard). Il est en vacances à Bayonne depuis deux semaines avec un ami du même âge qui vit sur place, Maxime Guyennon, décrit par les enquêteurs comme "le jeune à la queue de cheval". Les deux hommes ont déjà été condamnés trois fois. Wyssem Manai pour trafic de stupéfiants et un vol aggravé, Maxime Guyennon pour vols aggravés, tentative de vol avec violence et recel de bien.
Le dimanche 5 juillet 2020, ils prennent la fuite après la chute de Philippe Monguillot. Interpellés, ils sont placés en garde à vue puis mis en examen le 7 juillet 2020. Tous deux sont jugés pour "violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner" et non pour "meurtre aggravé", comme le souhaitait le parquet de Bayonne.
3Quelle est leur version des faits ?
En garde à vue, puis devant la juge d'instruction, Maxime Guyennon reconnaît avoir porté deux coups, dont l'un à la tête du chauffeur à terre. Il affirme que Philippe Monguillot a tenu des propos racistes avant de donner un "coup de boule" à Wyssem Manai. Ce dernier reconnaît avoir "saisi le chauffeur par la gorge" et l'avoir sorti du bus avant de lui porter "deux patates" au visage, puis des coups de pied quand il était à terre et un dernier coup de poing au visage, sans pour autant avoir eu l'intention de le tuer.
"Ce coup unique a provoqué la chute fatale qui a ultérieurement conduit au décès, soutient son avocat, Thierry Sagardoytho. Le jeune homme a toujours admis sa culpabilité sur ce geste fatal." Son confrère Frédéric Dutin, qui défend l'autre suspect, avait déclaré à l'AFP il y a un an qu'il plaiderait pour son client des "violences volontaires sans référence à la mort" car Maxime Guyennon "n'est pas à l'origine du coup de poing fatal".
Wyssem Manai, qui avait nié dans un premier temps toute implication, raconte par la suite aux enquêteurs qu'il avait pris le bus avec son ami une première fois, en début d'après-midi, pour acheter une bouteille de whisky. Or, lors de ce trajet aller, Philippe Monguillot est déjà au volant. "Ce n'est pas un événement anodin", souligne Alexandre Novion, qui représente la femme et les filles du chauffeur.
"Déjà, on voit Philippe Monguillot sur les images de vidéosurveillance s'interposer entre ces deux individus sans ticket et sans masque. Cette première confrontation laisse des traces."
Alexandre Novion, avocat de la famille du chauffeurà franceinfo
Et de conclure : "C'est de l'ensemble des violences subies qu'il est mort, dans l'exercice ordinaire de son métier. On ne peut pas dire que c'est une bagarre qui a mal tourné."
4Pourquoi ne sont-ils pas jugés pour "meurtre aggravé" ?
Deux jours après les faits, les deux jeunes hommes sont mis en examen pour "meurtre aggravé" et placés en détention provisoire. Mais le 16 mai 2022, au terme de l'information judiciaire, la juge d'instruction de Bayonne requalifie les faits reprochés en "violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner sur un agent d'un exploitant de réseau de transport public de voyageurs dans l'exercice ou du fait de ses fonctions". Le fait que Philippe Monguillot était une personne chargée d'une mission de service public constitue donc une circonstance aggravante.
Pour sa famille, la requalification, qui écarte toute volonté de donner la mort, a suscité "beaucoup de sidération". Leur avocat a donc fait appel de cette décision, tout comme le parquet de Bayonne. Mais quatre mois plus tard, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Pau a confirmé la requalification des faits. "L'accusation de meurtre est sèchement écartée", salue aujourd'hui l'avocat de Wyssem Manai.
5Pourquoi ce procès se tient-il aux assises ?
Initialement, la juge d'instruction avait demandé le renvoi des accusés devant une cour criminelle départementale, en l'occurrence celle des Pyrénées-Atlantiques. Composée uniquement de juges professionnels, cette nouvelle juridiction se généralise depuis le début de l'année sur l'ensemble du territoire français pour le jugement des crimes punis de 15 à 20 ans. Pour les crimes punis de plus de 20 ans, les cours d'assises restent compétentes.
Le parquet de Bayonne et la famille de Philippe Monguillot ont fait appel de cette décision. Cette fois, ils ont obtenu gain de cause : la chambre de l'instruction a ordonné, le 16 septembre 2022, un procès devant une cour d'assises. La décision est notamment motivée par le fait que les deux principaux accusés étaient en état de récidive légale, en raison de condamnations délictuelles antérieures. Ils encourent donc la réclusion criminelle à perpétuité.
Cela signifie que les trois accusés seront jugés par trois magistrats professionnels et six jurés, des citoyens tirés au sort. Une décision qui satisfait Alexandre Novion. L'avocat souligne que la marche blanche, organisée le 8 juillet 2020 à Bayonne par l'épouse de Philippe Monguillot, a scellé "une symbiose de l'opinion autour de sa famille". De son côté, Thierry Sagardoytho espère que la cour d'assises "appliquera le droit, rien que le droit". "Celles et ceux qui dénaturent les faits, pour s'arroger les faveurs de l'opinion, font obstacle à l'œuvre de justice", considère l'avocat de la défense.
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