La "honte" et la "peur" du restaurateur de Tremblay-en-France, jugé pour avoir refusé de servir deux femmes voilées
En août 2016, le gérant du Cénacle avait été filmé en pleine altercation avec deux clientes voilées. Il était jugé, ce jeudi, au tribunal de Bobigny.
L'accusé ne s'est pas présenté à l'audience. Par "honte" et par "peur", affirme son avocate, après avoir reçu des "sacs de lettres d'insultes" et de nombreuses menaces de mort visant sa famille. Près de six mois après une altercation avec deux clientes voilées, un restaurateur de Tremblay-en-France (Seine-Saint-Denis) était jugé à Bobigny, jeudi 16 février, pour "discrimination en raison de l'appartenance à une religion". La scène, en partie filmée par l'une des jeunes femmes, avait défrayé la chronique au mois d'août 2016, lors de sa diffusion sur internet.
"Des gens comme vous, j’en veux pas chez moi"
Ce samedi 27 août, deux jeunes femmes ont réservé dans le restaurant gastronomique Le Cénacle pour dîner. Voilées, elles sont installées à leur table, quand le gérant du restaurant vient les voir. La vidéo mise en ligne débute alors que la situation semble déjà tendue. "On ne veut pas être servies par des racistes, Monsieur !", lâche l'une des clientes. "Tous les terroristes sont musulmans et tous les musulmans sont terroristes, assène le patron en tablier blanc. Les racistes mettent pas des bombes et ne tuent pas des gens." Un peu plus tard, le même homme ajoute "Des gens comme vous, j’en veux pas chez moi. (…) Maintenant, vous le savez, alors partez !"
Rapidement, la vidéo est publiée sur les réseaux sociaux et est très largement partagée, en pleine polémique sur le port du burkini sur les plages françaises. Le lendemain, la ministre des Droits des femmes, Laurence Rossignol, demande des sanctions contre le restaurateur. L'une des deux clientes porte plainte pour "discrimination" et le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) indique son intention de se constituer partie civile et demande des sanctions exemplaires. Face au tollé, le restaurateur présente ses excuses aux deux jeunes femmes et "à toute la communauté musulmane". "J'ai pété un plomb, plaide-t-il à l'époque. Un ami est mort au Bataclan, j'ai tout mélangé."
Des "propos inacceptables", reconnaît l'avocate du prévenu
Au tribunal de Bobigny, l'avocate du prévenu, Me Nathalie Barbier, a réitéré ces excuses. Pour autant, elle a demandé la relaxe de l'homme de 65 ans : si les "propos sont inacceptables", il n'empêche qu'"à aucun moment on ne donne la preuve que [son] client a refusé de servir" ces femmes. De l'autre côté de la barre, l'avocat de la plaignante a vivement regretté l'absence du restaurateur et a insisté sur le contexte d'islamophobie dans lequel vit sa cliente. Le prévenu "est resté dans les années 1930, sauf que cette fois, c'est contre l'islam, a-t-il dénoncé. Les musulmans en France font l'objet d'une stigmatisation persistante."
Une situation qui l'a amené à demander une "condamnation exemplaire et un suivi psychologique" pour le prévenu, ainsi qu'une indemnisation du préjudice moral de sa cliente. Cette dernière explique avoir déjà fait l'objet de discriminations religieuses dans le passé et suivre une psychologue depuis les événements d'août 2016.
Je me suis sentie en insécurité, humiliée. J’ai mis beaucoup de temps à m’en remettre.
La plaignantelors de l'audience au tribunal de Bobigny
Une amende requise contre le restaurateur
Du côté du Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF), l'avocat de l'association a souhaité que cette audience ait "un rôle pédagogique" sur l'islamophobie en France car, selon lui, l'absence de réaction des clients du restaurant est "tout aussi inacceptable". Balayant la défense du prévenu, qui a évoqué la perte de chiffre d'affaires du restaurateur après la diffusion de la vidéo, il a affirmé avoir plutôt observé sur les réseaux sociaux "un regain de clientèle ouvertement islamophobe" pour l'établissement.
De son côté, la procureure a voulu recarder le débat sur les faits et non sur "la politique" ou "l'histoire". Selon le parquet, ces deux jeunes femmes n'étaient pas venues par hasard dans ce restaurant, mais pour révéler le caractère discriminatoire du gérant. Un "testing" légal. Pour "réparer l'outrage fait à ces femmes et, plus largement, à la société entière", la procureure a requis 5 000 euros d'amende, dont la moitié avec sursis, contre le restaurateur ainsi que la publication de la décision de justice pendant deux mois. Il encourait une peine de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende. Les juges rendront leur décision le 16 mars.
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