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TEMOIGNAGES FRANCEINFO. Appel à vigilance après l'attaque à la préfecture de Paris : "C'est une chasse aux sorcières", dénonce un policier musulman

Certains policiers de confession musulmane vivent mal le climat post-attaque à la préfecture de police de Paris. Un mal-être qu'ils ont accepté de confier à notre reporter.

Article rédigé par franceinfo, Jérôme Jadot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4min
Photo d'illustration. (LOIC VENANCE / AFP)

Appel du président à une société de la "vigilance" ; encouragements du ministre de l'Intérieur à dénoncer les collègues suspectés de radicalisation, sur des critères parfois ressentis comme stigmatisants… Depuis l'attaque meurtrière menée par Mickaël Harpon à la préfecture de Paris, certains agents de confession musulmane sont confrontés à un climat pesant.  

"Ce qui m'a blessé, c'est qu'on fasse passer ma confession avant ma profession"

Même si certains n'ont pas perçu de changement ces derniers jours, d'autres racontent que, comme après chaque attentat, il y a des questions de la part de collègues, parfois même des remarques assimilant musulmans et terroristes. Mehdi, policier depuis 22 ans en Seine-Saint-Denis, a très mal vécu notamment un entretien avec sa cheffe de service, une semaine après l'attaque, pour faire un point sur les risques de radicalisation dans le commissariat. "Elle pensait qu'il y avait 'cinq-six personnes' de qui on aurait pu se méfier', rapporte-t-il. Ce sont des personnes d'origine étrangère : algérienne, marocaine, indienne, sri lankaise ou de Madagascar".   

Elle a fait l'amalgame entre les gens qui étaient possiblement musulmans et ceux qui avaient l'apparence de musulmans. J'ai trouvé que c'était complètement déplacé.

Mehdi, policier depuis 22 ans

à franceinfo

"S'il n'y a avait pas eu cet attentat, en d'autres temps, je pense que j'aurais pu faire un rapport ou même déposer plainte pour de la discrimination", affirme Mehdi, qui, choqué par l'entretien, a préféré poser un jour de congé le lendemain. Gradé, major, et aussi délégué unité SGP police, Mehdi répète qu'il serait le premier à dénoncer un comportement déviant. Il déplore que sa supérieure n'ait pas tout simplement fait circuler au sein des équipes la note du préfet de police appelant à signaler les cas de possible radicalisation. "Ce qui m'a blessé, c'est qu'on fasse d'abord passer la confession avant ma profession. On a d'abord vu le musulman avant de voir le policier et du coup, on a oublié ce que le policier avait fait dans sa carrière. C'est ça qui m'a vraiment touché."  

Les "signes de potentielle radicalisation" passent mal aussi

Les mots du ministre de l'Intérieur ont aussi heurté certains policiers musulmans. Parmi les signes de potentielle radicalisation qu'il a publiquement énumérés, le port de la barbe est assez mal passé tout comme la marque au front. Saïd est brigadier à la police aux frontières en Île-de-France. "Ça m'a choqué parce que la marque au front ne vient pas du fait qu'on est radicalisé. Ça vient tout simplement parce qu'on fait la prière, soit au front, soit au pied. Moi, je l'ai au pied, c'est invisible, tant mieux. Je me suis senti tout à fait visé. Ca veut dire quoi ? Qu'il faut qu'on abandonne la prière ? Il faut qu'on abandonne notre religion alors que c'est un pays laïque ? Pour moi, c'est une chasse aux sorcières."  

"J'ai peur d'être mis à l'écart"

Saïd préfère depuis plusieurs années cacher à certains collègues qu'il est musulman. Délégué syndical CFDT, il a fait preuve ces derniers jours d'une vigilance renforcée, comme lors de ce repas de service où on lui a demandé pourquoi il prenait du poisson. "J'ai dit que je ne mangeais pas de viande, chose qui est fausse. Dans la police, quand il y a un soupçon, on est suspendu le temps qu'on mène l'enquête et ça peut durer plusieurs mois. J'ai peur d'être mis à l'écart. Maintenant qu'il faut dénoncer, on se sent surveillé de partout donc les paroles, les gestes… Il faut faire très attention."  

Une autre crainte de Saïd est de figurer, avec ses coordonnées, dans la liste de policiers retrouvée dans la clé USB de Mickaël Harpon. Si ces données ont été transférées à des terroristes, à la fois policier et musulman, il redoute d'être considéré comme une cible privilégiée.

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